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Guide 2018 de l’accompagnement à l’export-France : entretien avec Christophe Lecourtier

Le directeur général de Business France ne manque pas une occasion de le rappeler : « la bataille de l’export se joue d’abord en France ». Avec deux enjeux : « augmenter le nombre d’exportateurs » – à 200 000 au lieu de 125 000 sous le quinquennat – et « augmenter les exportations » en volume. Ce qui passe par une simplification de l’accès aux aides – le fameux concept de « guichet unique » –, une meilleure préparation et un meilleur suivi des entreprises. C’est ce que Christophe Lecourtier a proposé dans son rapport Team France Export, accepté par ses ministres de tutelle dès fin novembre 2017. Repris largement par le Premier ministre Edouard Philippe dans la nouvelle « Stratégie en matière de commerce extérieur » présentée le 23 février 2018, ce projet vise à construire une Équipe de France de l’accompagnement à l’export plus efficace, la « Team France Export ».

 

Le Moci. Avec cette ‘Team France Export’, qu’est-ce qui garantit que cette fois-ci, le millefeuille des acteurs du soutien à l’export a vraiment du souci à se faire ?

Christophe Lecourtier. Il y a une prise de conscience très claire de la part de tous les acteurs que les formules précédentes n’ont pas marché. C’est une première chose qui est partagée.

Par ailleurs, chacun convient que c’est maintenant qu’il faut construire quelque chose d’efficace. Et ce pour deux raisons : la première c’est que les conditions économiques sont beaucoup plus favorables et les entreprises beaucoup plus désireuses d’aller à l’international. En 2017, nos exportations ont progressé de 4,5 % par rapport à 2016 : c’est donc maintenant qu’il faut que le dispositif se réforme afin de mieux répondre à leurs attentes.
La deuxième raison, c’est que nous sommes à un moment de notre histoire où plus aucune situation acquise ne peut être considérée comme légitime si elle n’arrive pas à faire la démonstration qu’elle est efficace pour le pays. C’est vrai pour Business France, c’est vrai pour d’autres réseaux. Alors que le pays est en mouvement, chacun doit réfléchir à la manière d’être plus performant et accepter d’en tirer les conséquences. Je crois que sur ce point également, il y a un large consensus de la part de tous les acteurs.

La dernière dimension est la dimension budgétaire : tout le monde a globalement moins de ressources disponibles et le fait est que cela crée un contexte favorable pour mettre des choses en commun.
J’ai élaboré mon projet en partant justement de ce contexte : une disponibilité des acteurs à construire ensemble une véritable Équipe France, tout en souhaitant disposer de la garantie que leur légitimité ne s’en trouverait pas diluée, mais au contraire renforcée. En termes de méthode, je me suis attaché à leur dire : « vous êtes tous légitimes là où vous êtes, et je me propose de mettre en commun toute une série de ressources que Business France a accumulé au long des dix dernières années – les informations sur les clients, sur les marchés, les filières, des ressources humaines aussi – non pas pour vous concurrencer, mais mieux servir ensemble nos entreprises dans vos territoires. »

En réalité, j’ai la conviction que nous sommes fondamentalement plus complémentaires que concurrents. Ainsi, dans la future Équipe France, chacun des acteurs, que ce soit les Régions, les CCI de France, les opérateurs privés, se trouvera renforcé au sein d’un dispositif infiniment plus intégré, qui sera capable de faire beaucoup plus et beaucoup mieux.

 

Le Moci. Cette alliance avec les chambres de commerce peut faire craindre à d’autres acteurs qu’elle soit un peu exclusive. Quelles garanties donnez-vous dans ce domaine ?

C. L. Elle ne sera pas du tout exclusive. En fait, l’idée fondamentale du projet que j’ai proposé, vous l’aviez très bien écrit et elle a été reprise par le Premier ministre, c’est que la bataille de l’export se joue d’abord en France. Vous pouvez avoir les plus belles équipes, les plus beaux bureaux à l’étranger, les meilleurs spécialistes, si les entreprises ne sont pas bien préparées lorsqu’elles arrivent dans le marché, on n’améliorera pas réellement nos performances à l’export. D’où deux grandes nouveautés de cette réforme : le repositionnement de Business France à la fois sur la proximité, en France, et une véritable posture de conseil. D’une certaine manière, cela revient à prendre du recul pour analyser les carences du dispositif de ces dernières années et ce qui a fait défaut. Nous en avons déduit que le principal enjeu est bien de créer, en France même, ce qu’on appelle un « guichet unique », en tout cas une organisation commune qui permette de donner envie aux PME d’exporter, de les préparer, de les orienter, et enfin de les accompagner vers le marché où elles auront le plus de chance de réussir.

Cela, Business France ne peut pas le faire tout seul. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous associer avec les CCI – l’acteur public de proximité, qui dispose d‘une grande légitimité dans les territoires, car il est de plus gouverné par des chefs d’entreprises. Dans cette association, nous apportons la spécialisation internationale et toute l’expertise acquise depuis la création de l’agence en matière d’export.

BF et CCI, c’est le noyau dur, en quelque sorte, de ce guichet unique, mais ce n’est évidemment pas une fin en soi. D’une part, parce que ce noyau dur se place, d’un point de vue stratégique, au service des politiques des Régions auxquelles nous disons : « cette boîte à outils que nous allons constituer, elle est là pour que vous vous en serviez pour exercer au mieux votre mission, celle qui vous est donnée par la loi, de développement international des entreprises. Nous vous proposons de puiser dans nos ressources et d’orienter nos actions en fonction de ce qui vous semble le plus adapté à vos stratégies et aux besoins de votre territoire ».

Et d’autre part, parce que cette association se repositionne pour offrir une première approche reposant sur une orientation réellement personnalisée. À partir du moment où l’enjeu n’est pas seulement d’orienter les entreprises vers un marché, mais de les préparer et de les coacher, on change de logique : il ne s’agit plus de placer ou de vendre un produit, une mission, un salon, mais d’abord de comprendre ce dont l’entreprise a besoin pour réussir à l’export.

Et parmi ses besoins, il y en aura beaucoup que la task force CCI-Business France ne pourra pas satisfaire seule : financement, digitalisation, ressources humaines, représentation commerciale, etc. Ainsi, à travers ce qu’on appelle les « plateformes des solutions », qui rassembleront dans les Régions toutes les solutions publiques et privées répondant aux besoins des exportateurs, l’enjeu est d’orienter chaque entreprise vers les options pertinentes pour lui permettre de réussir son aventure à l’international.

 

Le Moci. Une sorte de « fair broker » ?

C. L. Ma logique est en effet celle d’un partenariat public-privé où l’acteur public que nous sommes, CCI et Business France, se met dans la situation du « fair broker » (je n’ose dire « l’honnête courtier ») pour orienter les entreprises vers toutes les solutions que nous aurons auparavant répertoriées, cartographiées, labellisées. Nous serons en quelque sorte le guide de la PME dans l’univers de la préparation à l’export.

Ensuite, nous demeurerons aussi son guide dans l’univers de l’export « terrain » bien sûr. Les deux dimensions sont très importantes : se préparer à l’export et en suite « y aller ». Dans le passé, on a trop souvent omis la dimension de la préparation. Du coup, nous-même avons contribué à accompagner du mieux qu’on pouvait des entreprises sur des marchés qui n’étaient peut-être pas ceux où elles auraient dû aller ou, en tout cas, pour lesquels elles n’étaient pas suffisamment préparées.

 

Le Moci. La Team France Export va s’appuyer sur un outil CRM commun. Avez-vous d’ores et déjà un calendrier de réalisation ?

C. L. L’idée est qu’on évite de demander à chaque fois à l’entreprise toutes les informations sur elle-même et sur le bilan des missions précédentes. Le CRM, sera en quelque sorte, « l’identité numérique » du client de Team France. Il lui évitera de répéter les choses trente-six fois et, un peu comme la carte Vitale pour les assurés sociaux, il portera l’historique de sa trajectoire et de ses relations avec l’international. Mais c’est aussi l’outil qui va permettre à des acteurs de nature différente de travailler ensemble au service de l’entreprise : en France les CCI, les Régions, Business France et à l’étranger, nous-mêmes, nos futurs concessionnaires privés et nos partenaires.

Je me suis demandé pourquoi toutes les conventions et les Chartes signées ces dernières années n’avaient pas réellement fonctionné : parce qu’on cherchait à s’inscrire exclusivement dans une logique amont aval, vous avez souvent écrit là-dessus, un peu comme un train dont on essaierait d’assembler des wagons de nature différente. Le wagon des CCI apparaissait placé en queue, celui de Business France au milieu et en tête, et on voulait faire circuler les clients dans ce train alors qu’en réalité, les wagons ne communiquaient pas vraiment.

Aujourd’hui, dans les territoires, nous serons ensemble dans le même wagon : les équipes Business France seront dans les CCI et travailleront avec elles pour assurer le coaching. Nous serons solidaires, en matière d’objectifs comme dans le travail quotidien. Et nous le ferons dans le cadre des stratégies régionales, pour assurer la plus grande cohérence possible, et ainsi donner réellement confiance aux entreprises : chacun avec tous, tous pour un ! (…)

 

Le Moci. Vous l’aviez évoqué lors d’une audition au Sénat : dès cette année vous allez donc redéployer des collaborateurs de Business France à l’étranger en France, dans des CCI ?

C. L. Oui, de pays étrangers mais venant aussi de Paris. Nous les avons appelés les « conseillers export France». Il y a d’ailleurs un réel engouement pour assumer cette mission, parce que justement, il s’agit d’un travail de contact avec les entreprises, au sein des chambres de commerce. Nous sommes en train de regarder avec les régions pilotes – pour le moment c’est Normandie et Sud Provence-Côte d’Azur mais elles seront suivies rapidement par d’autres – le déploiement de ces conseillers dans leurs équipes et la manière dont ils travailleront.

Nous souhaitons également déployer avec les CCI une approche par filières, comme Business France l’a fait avec succès depuis dix ans. Cela correspond à la stratégie des régions et installe une réelle compréhension des problématiques singulières des entreprises.  C’est une dynamique en plein essor et nous publierons pour notre part au printemps la liste des postes correspondant à ces besoins (…)

Pour réussir en France, « il nous faut nous désengager d’un certain nombre de marchés à l’étranger »

 

Le Moci. L’autre grand volet de cette réforme de l’accompagnement, c’est l’étranger avec la perspective d’un recentrage de Business France sur la France, son renforcement dans quelques grands marchés – Allemagne, Chine, Afrique – et des délégations de service public (DSP), sous la forme de ce que vous appelez des « concessions », ailleurs. Comment ont été choisis les huit pays pilotes où vont être expérimentées ces nouvelles DSP ?

C. L. Avant de répondre, je souhaite insister sur le fait que la grande nouveauté de la réforme proposée, c’est l’idée que l’export, ça se joue en France. C’est là où nous allons « mettre le paquet », que ce soit en ressources humaines, ou via les plateformes et le CRM, dans le cadre des stratégies régionales. C’est ça la nouveauté. J’ai appelé cela la révolution copernicienne car, en tout cas pour Business France, c’est véritablement un changement d’approche et nous nous y engageons de manière résolue.

Comme vous le savez, depuis dix ans on a construit ce réseau à l’étranger, dont nous sommes très fiers car il a bien fonctionné et continuera de jouer un rôle majeur au bénéfice de la Team France. Mais la priorité que nous donnons à l’investissement que nous allons faire en France pour développer, avec les CCI, les Régions, et les autres acteurs, cette Team France de proximité avec les entreprises, impose également des choix.

En termes de ressources humaines, nous ne pouvons pas être partout à la fois et choisir une stratégie, c’est aussi en tirer les conséquences. L’une de ces conséquences est que l’on ne peut rester à l’étranger dans les 65 pays où nous avons une présence BF. D’ailleurs, j’estime que ce réseau est déjà probablement trop étendu au regard des contraintes budgétaires et de plafonds d’emploi, les contraintes de nombre de salariés qui pèsent sur nous comme sur toutes les organisations publiques. Nous sommes ici et là en risque de qualité. À la fin, celui qui risque d’en payer les conséquences, c’est le client, car si vous réduisez vos équipes, vous réduisez la qualité de vos services, et vous vous mettez en risque…

Je veux éviter ça et pour réussir le repositionnement en France, il nous faut nous désengager d’un certain nombre de marchés à l’étranger. Mais nous le ferons d’une manière positive, qui prendra la forme de concession donnée à des acteurs privés qui feront pleinement partie du réseau Team France. Les futurs concessionnaires seront en effet reliés au CRM pour prendre le relais et suivre le parcours des entreprises orientées par le guichet unique en France. Ils exerceront exactement le même type d’activité que les bureaux Business France, en termes de standards de qualité

 

Le Moci. Il fallait aussi en finir avec certaines rivalités locales…

C. L. C’est un aspect mineur, au regard des enjeux du commerce extérieur, mais qui a parfois attiré l’attention des ministres et des responsables politiques lorsqu’ils voyagent : dans un certain nombre de pays, il y a depuis trop longtemps des concurrences parfois exacerbées entre les bureaux de Business France et certaines chambres de commerce françaises à l’étranger notamment.

En concevant cette réforme, j’ai cherché avec toutes les parties prenantes à la réflexion à sortir par le haut d’une situation qui ne peut être considérée comme satisfaisante : dans la mesure où nous devons mener à bien notre repositionnement en France, ce doit être également l’occasion de réduire les « overlaps » (chevauchements) et les concurrences dans certains marchés suffisamment mûrs pour qu’une de ces organisations puisse nous remplacer.

 

Le Moci. Et pour le choix des pays tests ?

C. L. Je me suis limité à énoncer le principe selon lequel le futur réseau Team France à l’étranger pourrait à l’avenir être composé à la fois de bureaux Business France et, dans certains marchés « concédés », d’acteurs privés (chambres de commerce ou société privées). L’idée principale est bien de ne pas procéder avec les acteurs privés à un « Yalta », où chacun partirait de son côté d’un rideau de fer, protégé par des champs de mines.

Bien au contraire, ma proposition est de faire travailler ensemble, dans une logique de partenariat public privé, des entités différentes, au service de nos entreprises. Les marchés susceptibles de faire l’objet d’une expérimentation nous ont été suggérés par nos partenaires, mais pour la plupart d’entre eux, je n’ai guère été surpris. Mais une expérimentation, c’est bien… une expérimentation.

Avec le concours de l’État, nous définirons dans les prochaines semaines (un groupe de travail a été constitué) les principaux paramètres de ces futures concessions : de mon point de vue, l’objectif est que les entreprises françaises trouvent demain, chez un concessionnaire, la même capacité et la même qualité d’accompagnement qui était mise à leur disposition par le bureau BF. C’est sur ces bases qu’il appartiendra aux « candidats » concessionnaires, qu’il s’agisse de Chambre de commerce ou d’autres acteurs privés de l’accompagnement (membres, ou non, de l’OSCI par exemple) de se déterminer.

 

Le Moci. Il a été évoqué une procédure d’appel d’offres ouvert…

C. L. Une fois défini le cahier des charges, il y aura probablement un appel d’offres sous une forme à déterminer. D’ici là, nous sommes à la disposition de tous les acteurs économiques qui seraient intéressés par la perspective de ces concessions pour leur apporter un maximum d’information sur l’activité de BF, les équipes, les revenus et les coûts, dans les pays concernés par l’expérimentation.

Propos recueillis par Christine Gilguy

 

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