Les forces en présence ne sont les mêmes. Le secteur naval est propulsé par son leader industriel, Naval Group, dont le président est aussi le chef de file du syndicat professionnel. Rien de tel dans le textile, une filière complexe, éparpillée. À côté de l’union des producteurs, les pôles de compétitivité jouent un rôle important dans l’internationalisation des PME. Dans le sport, on est en phase de construction.
Industrie navale : vers une union de tous les syndicats de la mer
Après la reprise du Conseil national de l’industrie (CNI) fin 2017, le Comité stratégique de la filière (CSF) des industries navales et maritimes a été un des premiers à être relancé, rappelait Delphine Gény-Stephann, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des finances, à l’occasion de l’Assemblée générale du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican), le 5 juin.
Président du CSF et du Gican, mais aussi du principal opérateur de la filière, Naval Group, Hervé Guillou racontait que Philippe Varin, vice-président du CNI, et Pascal Faure, directeur général des Entreprises à Bercy, lui avaient confié « qu’ils n’y comprenaient rien, qu’il y avait des comités Théodule partout » et « que nous avions intérêt à nous rassembler et à simplifier le paysage, à restructurer les circuits de décision ». D’où le rapprochement avec le Groupement des entreprises des hydrocarbures aux énergies du futur (Evolen), le Syndicat des énergies renouvelables (Ser) et la Fédération des industries nautiques (Fin) pour constituer un pôle de 27 milliards de chiffre d’affaires annuel, dont 60 % à l’export, et un total de 90 000 emplois.
Ce rapprochement s’est concrétisé avec la mise en place d’un comité exécutif avec les quatre présidents de fédération, ainsi que leurs homologues des groupes STX, Bernard, Doris et IxBlue.
Quatre sujets ont été dégagés :
1/ Innovation. « En matière de recherche & développement, on est mal loti », entend faire comprend Hervé Guillou à l’État. Or, selon lui, la haute technologie est essentielle pour qu’on « avance » dans une compétition croissante contre la Chine, la Russie, le Japon, la Corée, Singapour, l’Inde et la Turquie.
2/ Corollaire du premier point, la transformation numérique, pas seulement dans les relations avec les clients, mais aussi la digitalisation à l’intérieur des entreprises.
3/ Formation. « C’est le frein principal à la croissance », selon le président du Gican, qui ambitionne d’ouvrir un campus naval.
4/ International. « Pour les chantiers comme pour les équipements, l’entraînement des PME est fondamental pour une profession réalisant à l’étranger 50 % de ses ventes dans le militaire et 95 % dans le civil », a souligné le président du Gican, qui s’est félicité du « travail parfait » réalisé en Australie (contrat du siècle en matière sous-marins). Lequel doit être renouvelé dans toute une série de pays « où il y a beaucoup d’opportunités », comme l’Inde, le Brésil, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar.
Sur le plan pratique, le CSF des industries navales et maritimes, s’est doté d’un Comité international des entreprises et de l’export, coordonné par Thierry Régnault, ancien dirigeant des chantiers CMN. « Parmi les thèmes prioritaires : les regroupements à l’export, les salons avec la Fin, les facteurs de blocage », détaille François Lambert, délégué permanent de la filière et délégué général du Gican.
Pour aider les PME et ETI, Delphine Gény-Stephann a délivré deux conseils : pour l’innovation, travailler avec les pôles de compétitivité (Pôle Mer Méditerranée, Pôle Mer Bretagne Atlantique, EMC2) ; et, en matière d’export, de travailler avec les acteurs publics, comme Business France. Au sein du Gican, ce sera l’une des actions que devra mener son nouveau responsable Export, Arnaud Martins da Torre, actuel directeur de Développement chez Eurotradia, société de conseil et d’accompagnement d’entreprises.
François Lambert est optimiste. Les membres du Gican sont à 80 % des PME. « Le fait que le patron de Naval Group ait choisi de prendre les rênes est un atout pour le chasser en meute », affirme-t-il. De même, selon lui, le salon Euronaval au Bourget, « en renforçant dès cette année (23-26 octobre) la mise en valeur les technologies françaises, favorisera l’Équipe de France à l’export ».
D’ici le 4 septembre, date du prochain CSF, les quatre organisations professionnelles du CSF « vont préparer un plan d’actions et une feuille de route pour engager le gouvernement et les entreprises », a expliqué Hervé Guillou. À cette date, elles devraient aussi formaliser leur coopération en signant un contrat de filière.
Pôles de compétitivité 1 400 membres accompagnés
Fondés à l’origine pour devenir la marmite de l’innovation dans les régions, les pôles de compétitivité possèdent aussi dans leur mission, le portage, l’accompagnement, la promotion des PME à l’international. Les délégations conduites hors de l’Hexagone bénéficient, d’ailleurs, le plus souvent de l’expertise de Business France. D’après le site http://competitivite.gouv.fr/, le dispositif mis en place avec l’agence publique en 2009 et reconduit début 2015 pour une période de 3 ans, « a permis d’accompagner plus de 1 400 membres de pôles sur près de 100 missions partenariales ».
Les pôles de compétitivité sont d’autant plus pertinents dans certains secteurs que l’articulation tant rêvée entre grands donneurs d’ordre et fournisseurs ou sous-traitants y demeure un vœu pieux. Les pôles étaient au 28 mars dernier au nombre de 67 répartis sur tout le territoire.
Textile : une filière éparpillée
Très souvent, l’Union des industries textiles (UIT) se voit reprochée de ne pas soutenir les petites entreprises. Manque de volonté, manque d’ambition, manque de moyens ? « C’est une filière complexe, éparpillée, il n’y a pas de chef de file », plaide Emmanuelle Butaud-Stubbs, la déléguée générale de l’UIT.
Chacun, peut-on dire, tire la couverture à soi à l’international. La filière est complexe : dans le luxe, Hermes ou LVMH travaille avec des fournisseurs européens et pas seulement français ; les distributeurs font du sourcing en Asie. Résultat, pour les petites entreprises françaises entre 20 et 30 salariés, sans trop de moyens humains et financiers, de compétences en anglais et de tissu commercial à l’étranger, c’est très dur.
En outre, les relations de l’UIT avec l’habillement et le prêt-à-porter sont réduites, les circuits étant différents. Les échanges se limitent à de la veille règlementaire, des informations douanières et marchés. Donc structurer la filière ne peut venir de là. Pas plus au demeurant du Conseil stratégique de filière (CSF) Mode et luxe, mais en place sous l’égide de Bercy. Le textile y est bien représenté, le président de l’UIT est même membre du bureau du CSF. Mais, par essence, le luxe et la mode sont des industries de longue date internationalisées. Donc, ce n’est pas la priorité. Emmanuelle Butaud-Stubbs est, pour sa part, co-animatrice du groupe de travail Développement durable.
Dans ces conditions, il est difficile de trouver une articulation entre entreprises. Leurs forces sont aussi éparpillées, en raison de la multitude « de marchés applicatifs », explique Stephan Vérin, secrétaire général du pôle de compétitivité Up-tex (matériaux textiles avancés et innovants), basé à Lille Métropole – Marcq-en-Barœul.
D’un côté, il y a les marchés traditionnels du textile-habillement auxquels s’ajoute aujourd’hui le textile technique. Dans ces domaines, les entreprises françaises sont très nombreuses à participer aux grands salons (Première Vision, Interfilière, Intertextile, Techtextil).
D’un autre côté, il y a toute une série de PME plus ou moins esseulées, allant de l’ameublement au siège automobile, en passant par le verre et l’équipement maritime avec d’autres manifestations (Heimtextil, Glasstec, Mets, Innovation Aicraft Seating).
La dispersion des entreprises sur les salons s’accentue encore avec la création de manifestations « ultra-spécialisées », selon Stéphan Vérin. Autre inconvénient, la taille des entreprises françaises, généralement inférieure à celle des voisins européens, se reflète dans celle des stands, qui n’atteint pas la dimension des stands allemands ou belges. D’où moins de visibilité pour les Français.
Dans le textile technique, « le taux d’export moyen est de 45 %, mais ça va de 5 à 99 % », indique Karine Wallois, conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) Hauts-de-France et chargée du Développement international de Clubtex/Up-tex. Association transfrontalière d’industriels fondée dans les années 90, Clubtex (80 membres français, belges…) s’est rapproché, tout en gardant son indépendance juridique, du pôle de compétitivité nordiste. Up-tex + Clubtex, c’est aujourd’hui 185 membres, 131 entreprises, dont 97 PME.
La relative dispersion des entreprises ne signifie pas que les acteurs du commerce extérieur ne se réunissent pas. Up-tex, comme l’autre pôle pour les textiles techniques, Techtera (textiles et matériaux souples en Région Auvergne-Rhône-Alpes), dont le siège est à Lyon, est associé par l’Union des industries textiles à la structuration de la filière, à côté des organisateurs des grands salons internationaux, Eurovet (Interfilière…) et Première Vision.
De façon concrète, l’UIT profite des salons pour réunir l’ensemble des acteurs, « syndicats professionnels, organisateurs de salons, pôles de compétitivité et Business France qui labellise un certain nombre de Pavillon France », détaille sa déléguée générale. Si l’IUT mène à l’étranger des missions institutionnelles – par exemple, en participant à la fin de l’année dernière, à des rencontres avec le ministère de l’Industrie d’Égypte et la fédération patronale au Maroc – elle conduit aussi des missions avec les pôles de compétitivité, comme le 16 juin 2017 à San Francisco pour une série de conférences et des rendez-vous B to B au forum Wear.
Les pôles possèdent aussi leur propre agenda et leur propre stratégie. « On avait identifié que nos entreprises pouvaient être condamnées si les grands noms japonais des fibres de haute performance continuaient à donner la priorité au marché asiatique. C’est pourquoi nous nous sommes rapprochés de la Japon Chemical Fiber Association. Et ce avec nos collègues de Techtera, car nous étions conscients que seul le chasser en meute pouvait nous donner la taille critique », raconte le secrétaire général d’Up-tex. Devenu un axe privilégié du partenariat technologique franco-japonais, l’accord sur le textile et la fibre optique a été signé en 2014, en présence du Premier ministre nippon Shinzo Abe et du président François Hollande. Autre exemple, les deux partenaires français pour disposer d’une dimension supérieure ont intégré le programme européen EU Textile 2030, avec une poignée de clusters européens pour aborder quatre marchés tests lointains : Afrique du Sud, Israël, Japon-Taïwan et Colombie. Dans ce dernier pays, Clubtex a mené une mission collective, avec l’appui de la Chambre de commerce et d’industrie France Colombie (CCIFC). L’association mène ses propres opérations, y compris d’accompagnement individuel, car Karine Wallois comme CCEF est particulièrement active dans le parrainage d’entreprises. Mais elle participe aussi aux actions développées par l’UIT national et régional, Business France ou la Région Hauts-de-France.
Une IG et trois labels pour promouvoir le « Made in France »
En France, le textile est le seul secteur à bénéficier d’un label d’origine. À cet égard, deux régions jouent un rôle important :
• les Vosges, initiatrices du label avec Vosges Terre Textile en 2011, dont « les industriels voulaient assurer l’origine des produits, car il n’y a pas d’obligation de marquage en Europe, et leur traçabilité », expose Joëlle Da Fonseca-Ruellan, responsable des Affaires économiques et européennes à l’Union des industries textiles (UIT).
• Auvergne Rhône Alpes, qui à Rhône-Alpes Auvergne Terre Textile, fondé en 2014, préfère à l’étranger utiliser le label France Textile, plus facile à identifier.
L’obligation des labels est que 75 % des étapes de fabrication soient effectués dans berceaux textiles de quatre régions : Vosges, Alsace, Nord et Rhône-Alpes Auvergne.
Les entreprises du textile, de la mode-décoration-ameublement demeurent friandes des labels qui sont considérés comme des garanties de qualité des produits. Certaines sont distinguées pour leurs « savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence » avec le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV) et d’autres avec le label Origine France Garantie qui assure au consommateur notamment « qu’entre 50 et 100 % du prix de revient unitaire » d’un produit « sont acquis en France ».
Pour promouvoir le Made in France, l’État a encore créé l’indication géographique (IG). Employé pour les produits agricoles et non alimentaires, l’IG met en valeur les qualités d’un produit résultant de facteurs humains associés au lieu d’origine des produits, tels que certaines techniques de fabrication et la tradition.
Sport : une filière à construire en France et à l’export
En conviant start-up, PME, ETI, grandes entreprises ou encore clusters à s’exprimer lors d’un évènement spécial, le 26 juin à Bercy, appelé Financement ExSport, les ministres de l’Économie et des finances et des Sports, Bruno Le Maire et Laurent Flessel, ont clairement affiché leur volonté de réunir l’écosystème français pour gagner à l’international, en commençant par la France. Selon Gabriel Cumenge, sous-directeur chargé du Financement international des entreprises au Trésor, l’idée n’est pas de créer un comité adhoc, mais « de profiter de la conjonction de différents évènements en France » : Ryder Cup en 2018, Coupe du monde de football féminin en 2019, Coupe du monde de rugby en 2023, Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Les objectifs sont ainsi les suivants :
– Intéresser les entreprises françaises qui jouent à domicile à ces grandes compétitions et les aider à faire connaître leur savoir-faire, avec, par exemple, l’invitation de délégations étrangères.
– Mobiliser les fédérations professionnelles et pousser à la constitution d’une Équipe de France performante à l’international. D’après les ministères du Sport et de l’Économie et des finances, le marché mondial des grands événements sportifs s’élèvera à près de 255 milliards d’euros, hors Jeux olympiques et paralympiques, entre 2016 et 2025. Et un tiers de ces marchés pourrait être capté par des entreprises étrangères au pays d’organisation, soit un potentiel de 77 milliards d’euros.
Appartenir aux gagnants est possible en se réunissant. Un comité ad hoc n’est pas nécessaire. « Nous sommes en phase de construction. Il faut commencer par faire remonter par les Medef locaux les initiatives qui émergent, mais aussi par les Chambres de commerce, Business France », indiquait Hubert Tuillier, en charge de la filière au sein du ministère des Sports. À l’international, la filière peut s’appuyer sur l’Équipe de France, composée de Business France*, Bpifrance, de l’Agence française de développement (AFD) et de la direction générale du Trésor. Cette Team France Export est chargée d’accompagner les entreprises et start-up françaises de la filière sport stricto sensu, mais aussi de la santé, des transports, de la sécurité, de l’environnement ou de la restauration à la conquête des marchés internationaux.
Co-piloté au niveau institutionnel par Business France et le Service économique régional et à l’échelon industriel par le groupe GL Events, un club Sport Chine a ainsi été constitué autour de tous les acteurs privés compétents sur la chaîne de valeur, de la formation au tourisme, en passant par les infrastructures et le management de grands évènements. « Une cinquantaine de membres en font partie et les travaux tournent notamment autour de l’aménagement des montagnes que l’on appelle les Alpes chinoises », a révélé Hubert Tuillier. L’aménagement de la montagne étant un des pôles d’excellence tricolore, avait été invité à s’exprimer à Financement ExSport le président-fondateur d’Orex Loisirs, Philippe Lebrasseur, également à la tête du cluster Montagne. Dans ce domaine, un démonstrateur virtuel de l’expertise tricolore pourrait être réalisé en prenant pour modèle Astanable, le démonstrateur de la famille prioritaire de produits à l’export Ville durable, présenté lors de l’exposition internationale d’Astana (Kazakhstan), entre le 10 juin et le 10 septembre 2017.
Enfin, les financements, thème de la matinée du 26 juin, sont tous disponibles, qu’il s’agisse de l’offre du Trésor (Fasep, prêts)**, de Bpifrance (assurance export, garantie pour s’implanter, prêts, avance de trésorerie)*** ou de l’Agence française de développement (investissements publics, privés, appui aux initiatives locales)****.
Lors de Financement ExSport, Bruno Le Maire a aussi indiqué qu’il allait créer avec Laura Flessel, « dans le cadre de la filière, un portail numérique unique pour répertorier les appels d’offres des grands événements sportifs français et internationaux ». La veille, Gabriel Cumenge indiquait que le 26 juin le ministre annoncerait une « intention ». L’objectif est d’y parvenir à la fin de l’année, en s’appuyant sur des partenaires, comme Medef, qui dispose déjà d’un portail numérique*****.
François Pargny
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****Pierre Antoine Prinet, [email protected] et Amélie Pierre Milon, [email protected]
***** medef-sport.fr/