Peuplée de seulement 8 millions d’habitants, la Suisse se caractérise à la fois par un niveau de vie très élevé, une dynamique permanente d’innovation dans tous les domaines et une grande ouverture au commerce et aux investissements internationaux. D’où une grande diversité de marchés porteurs pour les entreprises françaises innovantes.
Avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant supérieur à 80 000 dollars, la Suisse demeure l’une des nations les plus prospères de la planète. Mais c’est aussi un pays qui fait souvent l’objet d’une perception erronée en termes de marchés porteurs. « Le vrai secret de la Suisse réside dans sa capacité à innover », affirme Fabrice Lelouvier, directeur de Business France Suisse.
L’existence d’un dispositif de formation professionnelle très efficace et la collaboration étroite entre les entreprises suisses et le système d’éducation sont une des clés de cette réussite qui permet à ce pays d’être très performant au niveau mondial dans certains secteurs (horlogerie, pharmacie, biens d’équipement, etc.). Pour une entreprise française, la percée sur le marché suisse repose sur la capacité à innover en termes de produit, de marché ou de service après-vente.
Agroalimentaire : de l’appétit pour les produits gourmets
Même si le pouvoir d’achat est élevé, la concurrence est forte dans l’agroalimentaire et des restrictions aux importations subsistent (fruits et légumes). La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne. La grande distribution alimentaire se résume à deux grandes chaînes qui dominent le marché (Coop et Migros), face à d’autres acteurs de moindre importance (Aldi, Manor, Globus, etc.). « La lutte pour la présence sur les rayons est redoutable et le nombre de chaînes est limité.
Pour réussir dans l’agroalimentaire en Suisse, il faut venir avec une vraie valeur ajoutée et une différenciation du produit », souligne Henri Jung, expert de ce secteur. Résultat, la Suisse est un vrai marché de niches. Ainsi, la libéralisation en 2007 des échanges de fromages entre la Suisse et l’Union européenne a entraîné une augmentation des importations helvétiques et ouvert des possibilités pour les fromages à pâte molle français. C’est aussi un marché porteur pour les aliments préparés (« convenience food »), les produits gourmets et les surgelés. La société Picard a ouvert, fin mars 2015, son premier magasin à Prilly, près de Lausanne, dans le cadre d’un accord de franchise conclu avec la société suisse Frozen Family. D’autres ouvertures sont prévues dans le pays.
Autre exemple, Michel etAugustin (voir encadré plus bas) a réalisé une percée remarquable. « Nous avons joué la carte de la différenciation, en développant une offre haut de gamme qui reste accessible » souligne Romain Sourdeau, responsable commercial Suisse. Un gros effort a été fait en matière de communication afin de faire connaître la marque : animations, dégustations, utilisation des réseaux sociaux (Facebook, Twitter), etc.
Dans un pays où le bio est largement répandu, l’accent a été mis en particulier sur la qualité des ingrédients (beurre frais, produits naturels, absence d’huile de palme, etc.). La priorité a été accordée à la Romandie, en raison de la langue et de la proximité des goûts. « Dans la partie francophone de la Suisse, le marché est loin d’être saturé pour nous », indique le responsable commercial qui précise que la prochaine étape sera d’attaquer le marché alémanique. De fait, les entreprises françaises préfèrent souvent attaquer le marché par la Romandie en raison d’une plus grande proximité des goûts et des habitudes de consommation. Quitte ensuite à attaquer la partie germanophone qui représente plus de 70 % du marché suisse.
Luxe : une variété de niches pour les TPE et PME
En Suisse, le luxe est associé à l’horlogerie. Le pays est le premier exportateur mondial en valeur. Cependant, les grandes marques souffrent actuellement du recul du marché chinois et de la crise économique mondiale. L’industrie n’en est pas à sa première crise et dispose de bases très solides : créativité, savoir-faire, recherche, formation, etc. « C’est un secteur qui maintient en permanence une dynamique de recherche pour trouver de nouveaux systèmes, de nouvelles matières destinées à entrer dans la composition d’un mouvement horloger », souligne Éric Gouten, président de Manufacture Royale, une société de fabrication, fondée par Voltaire en 1770, et de plusieurs sociétés de distribution de montres en Suisse et dans d’autres pays.
Dans cette course à l’innovation, l’industrie horlogère est demandeuse de produits et de services à haute valeur ajoutée. « Nous vendons des céramiques destinées à certains modèles de montres haut de gamme », explique Isabelle Bourseau, responsable commerciale de Coorstek Advanced Materials France, filiale française du groupe américain Coorstek, acteur majeur et historique dans le domaine des céramiques techniques. « L’exigence de qualité dans ce segment de marché nous tire vers le haut », souligne-t-elle.
D’autres créneaux existent dans le luxe. L’existence d’un pouvoir d’achat élevé ouvre des perspectives intéressantes pour l’offre française. « La Suisse figure parmi les dix principaux marchés de notre société au niveau mondial », affirme Marcel Boegli, directeur de Longchamp pour la Suisse et l’Autriche. Les célèbres sacs, qui représentent l’essentiel de l’offre de la société, ont séduit les consommatrices suisses. Pendant la période 2011-2013, les ventes ont même progressé de 70 % ! Le succès s’explique par le positionnement des produits comme « luxe accessible » et la notoriété de la marque.
Autre exemple : la décoration intérieure. Le climat rigoureux en hiver mais aussi l’importance accordée par les Suisses à l’intérieur de leurs domiciles expliquent ce phénomène. Business France Suisse a organisé, le 19 mai 2015, en partenariat avec l’ambassade de France, une manifestation à la Résidence de France à Berne, sur le thème du « luxe français dans la décoration d’intérieur ». 16 entreprises françaises, principalement des TPE et des PME, y ont participé. Plus de 80 professionnels suisses, prescripteurs et porteurs de projets, ont pu ainsi apprécier le savoir-faire tricolore dans ce domaine. « Mes produits ont suscité un réel intérêt », affirme Hyacinthe Boton, directeur des Ateliers Hyacinthe Boton, une PME spécialisée dans l’ébénisterie d’art, qui travaille à l’export depuis 2009.
Energie : un pays engagé dans la transition
La Suisse est un pays qui a pris très au sérieux la nécessité de construire un nouveau modèle énergétique. Les autorités suisses se sont fixées des objectifs très ambitieux : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % par rapport à 1990 d’ici à 2030, et de 70 à 85 % d’ici à 2050.
Mieux encore, la Suisse prend en compte les émissions générées par les produits importés ou fabriqués par des entreprises suisses à l’étranger ! Cet engagement ferme ouvre des perspectives intéressantes dans les activités liées à la transition énergétique, notamment les énergies renouvelables, les réseaux intelligents, le stockage d’énergie et l’efficacité énergétique.
La France a une vraie carte à jouer et les initiatives se multiplient. « En 2013, nous avons organisé le premier Forum de l’Innovation France-Suisse sur le thème de la transition énergétique. Cette opération associant un colloque avec des rencontres B to B a été un succès » explique Fabrice Lelouvier, directeur de Business France Suisse. Le Forum franco-suisse rhodanien de l’innovation sur la transition énergétique est prévu le 9 octobre 2015 à Lausanne. Les thèmes des ateliers seront la transition énergétique en territoire de montagne et le stockage de l’énergie. Il est envisagé de créer un démonstrateur (plateforme) franco-suisse sur le site d’Archamps à la suite du forum. En 2016, Business France envisage d’organiser un Forum de l’innovation sur le thème de l’efficacité énergétique.
Services : démontrer sa valeur ajoutée
En matière de services, l’offre française a de vraies chances si elle apporte également une réelle valeur ajoutée, par exemple, dans les technologies associées aux services financiers (« Fintech »). « Ce secteur va connaître une forte croissance en Suisse et la France a une offre à proposer », indique Fabrice Lelouvier, directeur de Business France Suisse.
De belles réussites sont possibles dans les services comme le montre l’exemple d’Everial qui propose aux entreprises des solutions sur-mesure en matière de gestion des flux documentaires et de l’information. Everial est entré sur le marché en 2008 par le biais du rachat d’une société suisse : Coris. « Nous sommes en mesure de réaliser une dématérialisation complète, sans défauts, de plusieurs centaines de milliers, voire de plusieurs millions de pages.
Nous apportons une vraie qualité de réalisation », affirme Wilfrid Malassagne, directeur de la filiale suisse d’Everial. Le marché du B to B est important. Au tissu dense de PME viennent s’ajouter les grandes entreprises locales (pharmacie, etc.), les banques, les sociétés de négoce (pétrole, matières premières) les sièges régionaux des multinationales et les organisations internationales. Installée près de Lausanne, la filiale a racheté une deuxième société en 2013, Archives et Plus. Wilfrid Malassagne souligne que le marché est très concurrentiel. « Nous avons investi dans des équipements haut de gamme et la formation du personnel. La Suisse est un pays qui pousse en permanence vers le haut », précise-t-il.
Daniel Solano
Recherche nucléaire : travailler avec le Cern
Situé de part et d’autre de la frontière franco-suisse, près de Genève, le Cern, l’Organisation européenne de la recherche nucléaire, passe régulièrement commande d’équipements et de services, particulièrement d’équipements pointus : le montant des achats est de l’ordre de 250 millions d’euros par an. Les entreprises françaises sont présentes sur ce marché, et un salon est même organisé tous les deux ans par Business France, « France@cern », afin d’y renforcer leur présence. La société Coorstek Advanced Materials France a participé à la dernière édition de cette manifestation qui s’est tenue en décembre 2014. « Nos technologies correspondent aux besoins du Cern » indique Isabelle Bourseau. La société a un courant d’affaires régulier. « Il y un potentiel à exploiter » précise-t-elle. La 14e édition du salon est prévue en octobre 2016. La France est un des 21 pays membre de l’organisation européenne, qui réalise des expérimentations de haut niveau dans le domaine de la physique des particules : l’étude des composants fondamentaux de la matière ainsi que des forces auxquelles ils sont soumis. Le Cern a été le berceau d’innovations technologiques et de découvertes scientifiques majeures : le World Wide Web y a été développé et le Grand collisionneur d’hadrons (LHC) a permis de prouver l’existence du Boson de Higgs. Il dispose du plus grand accélérateur de particules existant actuellement dans le monde (27 km).
Michel et Augustin : alimenter les grands distributeurs
La désormais célèbre jeune pousse de l’agroalimentaire français a démarré son activité en Suisse en 2010 grâce à un premier accord avec la société française Spur qui lui a permis d’être présent dans une centaine de points de ventes (hôtels, restaurants, etc.) dans la ville de Genève et les environs. Puis, en 2011, un partenariat a été conclu avec la chaîne suisse Manor : les produits de l’offre de Michel et Augustin (produits frais, produits secs et boissons) sont commercialisés dans les 14 magasins situés en Romandie. Un nouvel accord avec l’un des deux grands acteurs de la distribution en Suisse, Coop, a encore élargi la présence de la marque, qui est maintenant distribuée dans une cinquantaine de magasins de l’enseigne. Par ailleurs, une partie de la gamme de biscuits sucrés est commercialisée dans les stations-service de la filiale Coop Pronto (stations-services) sur l’ensemble de la Suisse. La marque a ainsi commencé à pénétrer la partie alémanique. « En 2015, Coop est devenu notre premier client en Suisse » affirme Romain Sourdeau, responsable commercial Suisse, qui précise que ce pays est le principal marché à l’export de la société.