Créée en 1958, l’entreprise marseillaise Gil Claude a traversé toutes les mutations du textile. Aujourd’hui, elle suit avec un grand intérêt d’autres bouleversements, ceux des pays du sud de la Méditerranée.
Ce fabricant de vêtements à façon pour la grande distribution est implanté dans la cité phocéenne (développement des produits et commercial) avec 18 salariés, à Istanbul (approvisionnements, commercialisation et show-room) avec trois salariés, et en Égypte (une unité de production en propre et une dizaine d’autres) avec 270 salariés dont trois français. L’entreprise réalise 8 millions d’euros de chiffre d’affaires en France et 3 millions d’euros en Égypte.
« Nous développons les produits à Marseille. Le modèle est dessiné ici et le prototype envoyé en Turquie. Nous disposons d’un puissant outil informatique et offrons beaucoup de formation. Si nous voulons être dans le co-développement, il faut pouvoir partager les informations », commente Éric Ammar, P-dg de Gil Claude. « Nous partons du fil acheté en Inde, en Chine ou en Indonésie. Nous transformons en Égypte car, pour être compétitif sur les gros marchés, il faut une bonne maîtrise industrielle des produits en amont et un transfert rapide de la valeur ajoutée créée ici », explique-t-il.
Pour 150 000 à 200 000 pièces, du brief client à la livraison sur la plateforme du distributeur, il ne s’écoule que huit semaines. Et les étapes intermédiaires sont nombreuses : développement du style, premier prototype, import des composants, production, contrôle qualité, import des marchandises…
« L’Égypte reste un pays assez stratégique dans le bassin méditerranéen. La révolution n’y change rien. C’est une porte vers l’Asie et un lieu historique pour la filière textile avec une tradition industrielle cotonnière. La main-d’œuvre y est nombreuse et qualifiée. Le pays dispose en outre d’une matière première moins chère, de l’énergie et de l’eau indispensables pour la teinture », souligne Éric Ammar.
Gil Claude est présent depuis vingt ans en Égypte et depuis dix ans dans sa propre usine, à la sortie d’Alexandrie. « La révolution, pour nous, s’est résumée à une fermeture d’une semaine pour des raisons de sécurité et de deux à trois semaines pendant lesquelles les cadres de l’entreprise sont allés protéger l’usine. Quand nous avons rouvert, il ne manquait pas un seul salarié à l’appel. Nous avons certes connu quinze jours de perturbations, le temps que les opérations douanières se libèrent, mais aucun problème de logistique. L’insécurité des routes entre les villes a perturbé le transfert de marchandise mais tout est vite revenu à la normale. » Le P-dg constate « un petit durcissement du contrôle des opérations financières par peur de fuite des capitaux et un peu de bureaucratie supplémentaire ».
« La pression salariale a commencé dès 2008 avec l’afflux d’entreprises chinoises puis turques qui ont délocalisé en Égypte. Ces recrutements massifs ont conduit à du dumping sur les salaires. Nous optons pour une politique de ressources humaines identique à celle pratiquée en France. Nous offrons de meilleures rémunérations, de la formation et donc peu de fuites. Nos salaires les plus bas se situent au-dessus des actuelles revendications faites au gouvernement : 700 livres égyptiennes pour un assistant contre 250 livres dans les usines d’État. Il faut toujours réagir avant que la pression arrive ! » note Éric Ammar. « Le potentiel existe comme la main-d’œuvre. Je regrette juste un manque de volonté entrepreneuriale en Égypte. Les Égyptiens n’ont pas la culture de la compétition, mais ils vont progresser avec l’arrivée de la grande distribution dans leurs pays. »
Frédéric Dubessy