À la tête de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) depuis février 2013, Hélène Crocquevieille a d’abord piloté le plan stratégique de la Douane 2018, approuvé l’an dernier, avant de lancer la campagne « Dédouanez en France », qui vise à mobiliser la plateforme logistique française et les entreprises en vue de l’arrivée du nouveau Code des douanes de l’Union (CDU), le 1er mai 2016. En exclusivité pour Le Moci, elle revient sur le contexte dans lequel la Douane lance ce plan et quelques-unes de ses mesures phares, destinées clairement à reconquérir des parts du marché européen du dédouanement, où les administrations douanières des 28 États membres se font concurrence sans complexe.
Le Moci. La reconquête du dédouanement qui est l’un des objectifs de votre plan d’action « Dédouanez en France », pourquoi est-ce un enjeu pour la France maintenant ?
Hélène Crocquevieille. Notre objectif est très clairement, dans le cadre de notre mission de régulation du commerce international, de mettre en avant et de favoriser l’attractivité de la plateforme France. Cela vaut aussi bien pour notre économie que pour nos opérateurs.
Pourquoi maintenant ? Parce qu’en matière douanière, on a un déclencheur qui est l’arrivée désormais imminente de l’entrée en application du nouveau code des douanes de l’Union européenne, le CDU, le 1er mai 2016.
Ce n’est pas nouveau pour nous, cela fait maintenant deux ans que les services de la douane travaillent d’arrache pied avec la Commission européenne, en lien très étroit avec les fédérations professionnelles, les représentants des entreprises, sur ce chantier. Mais comme toujours dans les grands projets, il est important d’avoir à un moment donné un temps fort de mobilisation, où tout le monde se met sur la ligne de départ et dit « on y va ». Notre objectif est très clair : être prêt dès le premier jour d’entrée en application de cette nouvelle réglementation européenne, tant du côté des douanes que du côté des entreprises françaises. La mobilisation s’inscrit dans la durée : après la journée du 22 septembre à Paris, nous allons décliner cet événement mobilisateur dans les différentes régions et avec nos partenaires que sont les fédérations et les autres opérateurs. Le premier forum en région est prévu à Strasbourg le 17 novembre.
Le Moci. Pourquoi l’arrivée du CDU met-elle ainsi autant la pression ?
H. C. Cette nouvelle réglementation n’est pas une contrainte, c’est un nouveau cadre juridique qui ouvre des opportunités. Mais comme on est dans un cadre européen, ces opportunités sont ouvertes à tous les opérateurs, à toutes les entreprises de l’Union européenne, et potentiellement, toutes les administrations douanières nationales peuvent les offrir. Il y a des opportunités en termes de facilitation et de fluidification du commerce, très concrètement en termes d’attractivité pour les entreprises, c’est vraiment le premier qui est prêt qui capte le marché si j’ose dire. Comme les entreprises sont en concurrence les unes avec les autres, les administrations douanières sont en concurrence avec les autres administrations douanières… C’est la raison pour laquelle nous voulons dire, faire savoir, démonter que nous serons prêts, dès que la réglementation européenne le permettra, pour offrir un maximum de ces opportunités aux opérateurs français, mais pas seulement.
Le Moci. Du point de vue performance globale de l’administration douanière, est-on en retard ?
H. C. Non, on est loin d’être en retard. Il suffit de regarder un certain nombre de classements internationaux qui viennent d’institutions comme la Banque mondiale : la France a ainsi fortement progressé au Doing Business, à la 10e place l’an dernier pour le commerce transfrontière, notamment au titre des formalités douanière. Plus récemment, la France a progressé dans un classement du World Economic Forum, le Global Competitiveness report, notamment pour les formalités douanières, de 4 places, à la 31e place sur 144 pays alors que d’autres partenaires européens comme les Pays-Bas ou encore la Belgique, bref ceux de la frontière nord de l’Europe, sont plutôt en recul.
Le Moci. Quelles sont les opportunités qui vous paraissent les plus importantes pour les entreprises ?
H. C. Le premier message que la douane française souhaite faire passer en priorité s’adresse aux opérateurs économiques agréés (OEA). Le CDU renforce les avantages liés à ce statut en termes de reconnaissance mutuelle, de facilitation d’un certain nombre de formalités douanières, un véritable « passeport à l’international ». C’est pour cela que nous souhaitons développer en France le nombre d’OEA. On n’est pas tout à fait à
1 400, on est le troisième pays européen en nombre, et on était, en 2014, le deuxième pays en termes de certificats délivrés : on est donc sur un très bon rythme.
Notre objectif est de continuer à progresser en termes de nombre d’attributions. Mais ce n’est pas le seul. Obtenir ce label représente un investissement pour une entreprise, en temps et en compétences, et elle en attend un retour sur investissement : nous souhaitons travailler sur ce retour sur investissement.
Le Moci. De quelle manière ?
H. C. Généralement, les entreprises déjà engagées dans la démarche OEA nous disent que le premier retour sur investissement qu’elles en tirent est, à la faveur de l’audit accompagné dont elles ont bénéficié, d’avoir engagé des process vertueux en interne dans divers domaines tels que le sourcing, le schéma logistique, la sécurité juridique, la sécurité du stockage, bref l’ensemble du processus de fabrication en amont et, en aval, l’organisation des livraisons, les formalités douanières, etc. Autrement dit, cet audit préalable à l’attribution du label leur a été utile pour découvrir leurs faiblesses et les traiter.
Mais on veut évidemment aller bien au-delà. À partir du moment où ces entreprises se sont mises dans une démarche de confiance avec l’administration douanière, que par ailleurs nous développons avec elles une meilleure connaissance de leurs process, de leurs flux, de leur schéma logistique, nous sommes en capacité de leur faciliter de façon générale et générique leurs formalités douanières.
Un certain nombre de facilités liées au statut d’OEA sont déjà mentionnées par le CDU, mais il y a des facilités supplémentaires que peuvent mettre en œuvre les douanes nationales : choix du lieu de dédouanement, rapidité des contrôles…
On veut aussi développer des « clubs OEA » – c’est la mesure 32 du plan « Dédouanez en France ». Les modalités concrètes de ces « clubs » ne sont pas encore définies mais l’idée est de permettre aux entreprises OEA de se rencontrer, partager leur expérience, nous faire remonter des idées sur ce que nous pourrions encore améliorer, et leur offrir une sorte de paquet d’avantages spécifiques, une sorte de carte « gold » réservée aux OEA.
Un exemple : le renouvellement de l’OEA, tous les trois ans, passe par un nouvel audit douanier, certes plus léger que le premier ; mais cette étape sera d’autant plus allégée qu’on aura pu s’assurer de façon régulière que les critères de l’OEA sont pratiqués au quotidien par les entreprises labellisées : si c’est le cas, le renouvellement sera une formalité. On a ainsi engagé une démarche expérimentale avec Renault, à sa demande, car cette entreprise a développé en interne un outil de suivi de l’application des critères OEA et souhaitait s’assurer qu’il était bien en phase avec les critères de la douane.
Le Moci. Parmi les petits « plus » douane française, vous avez créé ce service « Grands comptes » où là, c’est carrément une carte « platinium » qui est proposée. Le vrai enjeu, n’est-il pas de gagner la compétition vis-à-vis des autres pays membres sur le « marché » du dédouanement ?
H. C. Oui, tout à fait, et je crois que l’on peut en parler avec lucidité et sérénité d’autant plus que nos partenaires douanes des autres pays membres ne s’en cachent pas non plus. Nous sommes une seule frontière du point de vue des flux économiques, mais à partir du moment où la réglementation européenne est respectée, chacun d’entre nous a évidemment intérêt à ce que les flux arrivant dans l’Union passent d’abord par chez lui. Il y a un enjeu économique incontestable car cela créé de l’activité sur les plateformes logistiques, dans les transports, dans toute la chaîne logistique nationale, même si la marchandise chemine ensuite vers d’autres pays. Il y a aussi un enjeu fiscal, une partie des droits et taxes perçues à l’entrée restant sur le territoire. Il y a aussi un enjeu en termes de sécurisation des flux qui est pour moi tout à fait fondamental. Une marchandise qui arrive dans l’Union en passant par la plateforme France offre la garantie qu’elle a été contrôlée, que les procédures ont été respectées, ce que j’appelle le « standard France », une garantie notamment en matière de protection des citoyens et des consommateurs.
Donc, compte tenu de ces enjeux, il est normal que nous soyons en concurrence avec les autres partenaires et que nous cherchions, en cohérence avec notre mission de régulation, à capter ces flux. On fait savoir que l’on sera prêt, que l’on facilitera la vie de toutes les entreprises et opérateurs qui entreront dans des démarches de confiance et de sécurisation de leurs flux. Avec eux, on mettra en place toute la batterie de simplifications.
Dans ce contexte, le service Grands comptes est un projet complémentaire mais il ne suit pas tout à fait le même objectif. C’est la mise en place d’un interlocuteur unique vis-à-vis d’opérateurs qui font le choix de la place France pour stabiliser leurs opérations d’import/export au sein de l’Union européenne.
Le Moci. Quelle est votre cible ?
H. C. Pour l’instant ce sont de grands opérateurs que nous connaissons déjà à travers la Mission grandes entreprises. Avec le service Grands comptes, on veut aller un cran plus loin et effectivement passer de la simple activité de conseil, qu’assurait cette Mission, à de l’accompagnement par un interlocuteur dédié : gestion de leurs procédures, réponse sur le fond à leurs questions, et mise en œuvre concrète de la centralisation de leur dédouanement, qui est une des opportunités offertes par le CDU.
Pour les plus petits opérateurs – PME et ETI qui constituent 95 % des 120 000 entreprises exportatrices et près de la moitié du commerce extérieur – nous avons aussi une démarche personnalisée d’accompagnement à travers les cellules conseil aux entreprises qui sont dans les pôles d’action économique des directions régionales des douanes. Actuellement, quarante cellules conseil maillent le territoire.
Le Moci. Ce que vous appelez un « Grand compte », c’est une question de taille ou de volume des flux ?
H. C. Ce n’est pas une question de taille ou de chiffre d’affaires. C’est plus une question de démarche qualité douanière. Une ETI qui a mis en place des procédures de labellisation, de certification, d’informatisation est tout à fait éligible à notre service Grands comptes, et nous en avons.
Le Moci. Où en est concrètement ce service Grands comptes et avez-vous une démarche proactive auprès des opérateurs que vous ciblez ?
H. C. Formellement il sera créé plutôt au 1er janvier 2016. Actuellement, nous écrivons aux opérateurs pour leur demander s’ils seraient disposés à rejoindre le service Grands comptes. Pour le moment, je dois dire que je n’ai que des réponses positives ! Nous allons procéder en trois vagues successives pour assurer cette transition d’une activité de conseil à une activité de gestion des procédures, afin que le service monte en puissance progressivement et qu’il n’y ait aucune rupture pour les opérateurs, dans le traitement de leurs flux.
Le Moci. À ce propos, le mot « guichet unique » tend à être un peu galvaudé, on s’y perd entre le « GUN », les « guichets uniques portuaires », les « guichets uniques » en région… Votre éclairage sur ce sujet ?
H. C. Il n’y a pas de « guichet unique douane », la douane est en réalité impliquée dans plusieurs chantiers, dont effectivement certains sont dans le domaine portuaire, qui visent à développer des « guichets uniques » de formalité.
Pour nous, le plus emblématique est le « guichet unique national », le « GUN » dont le pilotage par la douane a été réaffirmé par le Conseil supérieur de l’attractivité en février 2014. Il vise à permettre la dématérialisation de l’ensemble des documents d’accompagnement nécessaires à l’importation et à l’exportation de certaines marchandises hors documents douaniers eux-mêmes, qui sont déjà largement dématérialisés : certificats agricoles et phytosanitaires, espèces protégées, biens à double usage, etc. Ils correspondent à des réglementations qui relèvent de 17 administrations et quelque 35 procédures. Jusqu’à maintenant, les opérateurs doivent s’adresser à chacune des administrations concernées pour solliciter un document papier qu’ils présenteront ensuite à la douane… Le guichet unique électronique que nous sommes en train de construire est une sorte de site Internet, un portail sécurisé qui doit relier les applications de notre système informatique douanier « Delta » à celles des autres administrations. Il va ainsi permettre aux opérateurs de faire depuis un seul point d’entrée numérique toutes ces formalités et à l’administration douanière de récupérer l’ensemble des documents d’accompagnement nécessaires dématérialisés. Les opérateurs n’auront plus besoin de se déplacer, ils pourront faire avancer leur déclaration de façon dématérialisée, via ce portail Internet.
Ce n’est pas un travail simple, comme vous pouvez l’imaginer, puisque c’est un projet interministériel impliquant 17 administrations. Mais il entre en production cet automne pour les documents CITES (espèces protégées) et un certain nombre de certificats agricoles fournis par FranceAgrimer…
Le Moci. Y a-t-il convergence entre ces différents chantiers ?
H. C. Bien sûr, tout cela procède de la même logique. Si vous prenez l’ensemble des chantiers ouverts par ce gouvernement, en matière de réforme de l’État : simplification, dématérialisation, le « dites-le nous une fois »… la dématérialisation est en réalité la clé de tout, les chantiers dans lesquels nous sommes sont très nombreux… Le CDU pose le principe même de la dématérialisation entre les autorités douanières et les différents opérateurs. Le GUN est dans la même logique. Et pour revenir sur les engagements de notre plan d’action, c’est vraiment mettre toute notre innovation numérique au service des entreprises. En matière douanière on y est presque : sur les seules déclarations, nous sommes à 100 % dématérialisé, sauf pour le fret express à l’export, mais on s’engage à développer une nouvelle application pour cette procédure, « delta X » pour parvenir à ces 100 % à l’horizon 2018. La dématérialisation est ainsi au cœur du grand plan douanier « Dédouanez en France », présenté par le secrétaire d’État chargé au budget le 22 septembre dernier.
J’en profite pour préciser que cette dématérialisation des flux est pour nous, administration douanière, fondamentale pour nous permettre de faire notre travail d’analyse de risque, de ciblage, de sécurisation des échanges, de contrôles pertinents. Quand vous avez une obligation déclarative et des flux dématérialisés, derrière vous pouvez soit en instantané, soit a posteriori dans le cadre d’enquêtes ou encore grâce à des recoupements de flux, avoir une politique de contrôle intelligente. Pour nous c’est donc tout à fait fondamental car ça permet à la fois de fluidifier le trafic considéré comme de confiance et en même temps d’être beaucoup plus efficace dans l’identification des risques.
Le Moci. A vos yeux, les PME et ETI ont-elles suffisamment le réflexe de venir vous voir ?
H. C. J’espère que la mobilisation douanière, qui finit par se savoir, va donner l’idée à certaines d’entre elles de venir nous voir là où elles n’y pensaient pas… Il a été donné des objectifs quantitatifs à nos 40 cellules de conseil aux entreprises : démarcher annuellement 2 000 nouvelles PME. Depuis cinq ans, plus de 15 000 entreprises ont été ainsi déjà été approchées. L’objectif est de parvenir d’ici 2018 à 20 000 entreprises démarchées de façon proactive par les cellules.
Le Moci. Un sacré changement dans la perception de la douane, non ?
H. C. J’ai envie de vous dire une seule chose. Le 7 octobre, j’ai participé au Conseil stratégique de l’export, instance mise en place par Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger. On m’avait demandé de faire une présentation des 40 mesures du plan « dédouanez en France ». J’en étais presque gênée, cela a été un concert de louanges de tous les acteurs présents – ARF (Association des régions de France), OSCI, Medef, chambres de commerce et d’industrie, etc. – sur l’action de la douane. Y compris – et cela m’a fait particulièrement plaisir – concernant la mobilisation en région des pôles d’action économique et des bureaux de douane pour accompagner les entreprises à l’international.
Christine Giguy