La création d’une zone de libre-échange (ZLE) à Shanghai en 2013 laissait espérer une nouvelle vague de libéralisation de l’économie chinoise. Au niveau macroéconomique, il n’en a rien été. Mais une implantation dans la ZLE vaut tout de même la peine d’être étudiée, car certains secteurs y sont plus ouverts qu’ailleurs.
Après deux ans passés comme consultante périnatale dans des hôpitaux internationaux à Shanghai, Sarah Calestroupat, sage-femme de formation, a souhaité renouer avec une pratique de son métier, plus proche de ses convictions. « L’approche très mercantile de ces établissements ne correspond pas du tout à mon éthique ! », remarque la jeune femme, qui a lancé fin 2015 sa propre société, The Midwifery center. Son objectif : offrir un accueil personnalisé à des tarifs accessibles. Pari gagnant, un an après, le succès est au rendez-vous. La demande est telle que The Midwifery center va devoir embaucher trois autres sages-femmes (deux françaises et une chinoise) courant 2017.
Pour implanter sa société, Sarah Calestroupat a fait le choix de la zone de libre-échange (ZLE) de Shanghai. L’inauguration de cette dernière, le 29 septembre 2013, avait suscité de grands espoirs quant à la libéralisation de l’économie chinoise. « Nous espérions que ce serait un nouveau Shenzhen, mais il ne s’est rien passé de tel et la zone n’a pas suscité d’engouement », observe David Maurizot, directeur général d’Advention Business Partners en Chine. La libéralisation du secteur bancaire espérée par les investisseurs n’est jamais arrivée. Quant « aux mesures de change et à des mesures financières, elles profitent plutôt aux sociétés chinoises désireuses d’investir à l’étranger », précise Anne Séverin, avocate associée chez DS avocats et Conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) à Shanghai. « Théoriquement, poursuit-elle, il était prévu de pouvoir obtenir un ratio d’endettement par rapport au capital social plus important dans la ZLE qu’à l’extérieur, mais nous n’avons vu aucun exemple de mise en œuvre ».
Pourtant, les petites avancées concrètes de la ZLE de Shanghai ont largement facilité la vie de Sarah Calestroupat. Tout comme elle, des sociétés qui avaient besoin de facturer rapidement en Chine ont pu trouver un intérêt à s’y implanter. À condition que leur secteur d’activité ne figure pas sur la liste négative, elles bénéficient d’une procédure d’enregistrement simple et rapide. Ce dispositif a été étendu à l’ensemble de la Chine depuis le 1er octobre dernier, avec une liste négative plus restrictive, issue du guide des investissements étrangers publié en 2015. En outre, la ZLE de Shanghai regorge désormais de solutions très économiques pour les bureaux de petite taille. « C’était la meilleure implantation pour démarrer mon activité rapidement, et sans partenaire chinois, témoigne Sarah Calestroupat. Obtenir la licence n’a pris que deux mois. J’ai un bureau administratif dans la ZLE, mais comme elle est très excentrée, j’ai ouvert une branche dans le district de Huangpu (ndlr : subdivision de la municipalité de Shanghai) pour recevoir mes clients. »
L’intérêt d’une implantation dans la ZLE nécessite une étude au cas par cas. François Duchesne, directeur général d’une société d’importation et distribution de viande, Xiang Lu Frozen Foods, y a songé avant d’opter pour un autre schéma. « Le siège et les bureaux sont dans le centre de Shanghai, mais nous sous-traitons le stockage de la viande à un partenaire dans la zone sous-douanes, ce qui nous donne droit à 30 jours pour payer les taxes. Pour d’autres marchandises, le délai est encore plus avantageux. » La zone sous-douanes, qui occupe une partie seulement de la ZLE de Shanghai, est un dispositif déjà ancien, dont les avantages restent intéressants.
Comme souvent en Chine, la lisibilité des règles en vigueur dans la ZLE est terriblement complexe. Depuis son ouverture, pas moins de 30 textes d’application ont été publiés. « Ensuite, il faut les interpréter », glisse Anne Séverin. « Certaines activités ont profité d’une ouverture avec la ZLE, poursuit-elle. On peut citer les agences de voyage ou de notation financière, les sociétés de gestion maritime, de jeux video, de services de télécommunications à valeur ajoutée ou encore les agences de publicité. »
Des retours en arrière ont aussi été observés. Les institutions médicales, après avoir bénéficié d’une fenêtre de tir pour s’établir sans partenaire chinois, doivent de nouveau recourir à une joint-venture. Par ailleurs, l’ouverture de certains secteurs ne présente pas vraiment d’intérêt, soit parce qu’ils sont déjà matures, soit parce que des entreprises étrangères n’ont aucune chance d’être compétitives sur de tels marchés.
Enfin, sous une apparence de libéralisation, les mesures adoptées sont parfois tellement restrictives, en termes de capitaux nécessaires ou conditions techniques, qu’elles s’apparentent à un simple effet d’annonce. « Pour les sociétés d’ingénierie et de construction, les assouplissements ne valent que pour les prestations ou travaux à Shanghai, ce qui est très limité. Autre exemple, les sociétés à capitaux étrangers dans le secteur récréatif et des loisirs ne peuvent travailler que dans la zone de libre-échange… », souligne ainsi Anne Séverin.
D’une certaine façon, les milieux d’affaires shanghaiens ont déjà oublié la ZLE, souvent qualifiée de coquille vide. C’est la réforme du droit des sociétés étrangères pour l’ensemble de la Chine qui retient désormais l’attention. « Le projet publié prévoit d’aligner leur régime juridique sur celui des sociétés de droit chinois, ce qui est une bonne chose », se félicite Anne Séverin. Mais une autre mesure suscite beaucoup d’inquiétude. Il serait en effet question de substituer la notion de contrôle à la notion de capitaux pour déterminer la nationalité des entreprises. « Le contrôle est parfois très difficile à établir. D’ailleurs, aucun pays du monde ne s’y réfère », souligne Anne Séverin. En outre, le projet de texte ne précise pas quel serait le sort réservé à ces « nouvelles » sociétés étrangères. Face à cette incertitude de taille, les avancées de la ZLE ne pèsent pas bien lourd.
Marine Digabel à Shanghai
Chiffres clés
Superficie : 6 340 km2
Deux parties distinctes : Puxi et Pudong. Rivière Huangpu
Population (*) : 24,15 millions d’habitants fin 2015
Premier port à conteneurs du monde (**) : 36,537 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) en 2015
Sources : (*) Bureau des statistiques de Shanghai (résidents permanents présents depuis six mois ou plus). (**) Seatrade Maritime News, 12 janvier 2016.
Les grands principes de la zone de libre-échange de Shanghai
• Liste négative : pour tous les secteurs qui ne figurent pas sur cette liste, la procédure d’approbation du ministère du Commerce chinois a été remplacée par une simple procédure d’enregistrement pour la création de la structure juridique, la dissolution/fusion/opérations majeures affectant la structure juridique, la prolongation de la durée de la structure juridique, une augmentation ou réduction de capital social, la cession de parts au capital.
• Principe de traitement national en termes de conditions d’établissement, notamment le capital social (il reste quelques exceptions).
• Pas de suspension de l’application de la loi sur les joint-ventures ou de la loi sur les sociétés à capitaux exclusivement étrangers.
• Localisation : zone de Wiagaoqiao ; parc logistique sous douanes ; port en eau profonde de Yangshan ; zone de l’aéroport de Pudong ; districts de Liujiazui, Zhangjiang et Jinqiao.