Tradition industrielle, marque emblématique comme Dacia, propriété de Renault, main-d’œuvre qualifiée, la Roumanie possède des atouts indéniables. La France est très présente. Mais il faut encore que le pays améliore sa gouvernance, à l’heure où l’exploration du gaz offshore fait miroiter de nouvelles opportunités de croissance.
Commencée en France en octobre dernier, la Saison culturelle croisée France-Roumanie* se terminera mi-juillet en Roumanie. Parallèlement, pour la première fois depuis son adhésion en 2007, Bucarest assure pendant le premier semestre 2019 la présidence de l’Union européenne (UE).
Ces deux évènements concomitants ont l’avantage de braquer le projecteur sur un pays assez discret. « La Roumanie est un pays riche qui s’ignore », affirme ainsi Éric Stab, le président du Comité pays des conseilleurs du commerce extérieur de la France (CCEF), dans un entretien exclusif au Moci.
Pour la France, ce n’est pas un pays tout à fait inconnu. Surtout depuis que Renault a repris Dacia en 1999. L’image de la Roumanie s’est trouvée propulsée sur la scène internationale par le succès planétaire de cette marque. La présence tricolore y est forte, avec plus de 2 300 entreprises à capitaux majoritairement français (95 000 emplois). Mais si on méconnaît encore que ce pays possède une tradition industrielle et une main-d’œuvre qualifiée, on n’ignore plus que le pays est francophone et francophile.
Une croissance tirée par la consommation
En revanche, s’agissant de son économie, le manque d’informations est criant. Et pourtant cette nation de 19 à 20 millions d’habitants a connu un boom économique, avec une croissance de 7 % en 2017. Mais il s’est essoufflé. Le coup de frein a été net l’année dernière, avec une croissance ramenée à + 4,1 %. Mais moins que ce ralentissement, c’est l’évolution de la composition de cette croissance qui suscite quelques inquiétudes chez les économistes.
Car on n’est plus à la fin des années 2000 où l’activité était boostée par les fonds européens et donc l’investissement, aujourd’hui c’est la consommation qui contribue le plus à la croissance de l’économie roumaine. Si l’on est un exportateur français, on peut se féliciter que les importations roumaines augmentent fortement (+ 9,64 % en 2018). Mais force est de constater que ce dynamisme de la demande s’accompagne d’un creusement du déficit public, que génère une politique trop tournée vers le pouvoir d’achat.
Mais au-delà de ce choix conjoncturel des autorités roumaines, ce qui est reproché à Bucarest est d’ordre structurel : sa mauvaise ou son absence de gouvernance. Avec des effets négatifs très concrets sur la mise en œuvre des politiques publiques.
L’exemple des programmes d’infrastructures est mis en avant par les observateurs. En mai dernier, Bucarest a mis sa réglementation sur les partenariats public-privé (PPP) en conformité avec les pratiques européennes. Le gouvernement a dévoilé alors une liste de cinq projets stratégiques à réaliser en PPP pour un coût global évalué de 15 à 20 milliards d’euros.
Il s’agit des 3 autoroutes Târgu Neamț-Iași-Ungheni, Ploiești-Râșnov et București – Alexandria – Craiova – Lugoj, ainsi que de la gestion du réseau des 15 hôpitaux de la Compagnie nationale du chemin de fer et de la construction du complexe médical Carol Davila à Bucarest, d’une capacité de 3 000 lits.
Les programmes existent donc. Mais ils « n’avancent pas », déplore un observateur sur place.
Capacités de mise en œuvre défaillante
Inertie du gouvernement, de l’Administration, mauvais usage des fonds européens – taux d’absorption de 20, 22 % au mieux, même s’il y aurait des progrès ces derniers mois, selon divers observateurs, mais aussi soupçons de corruption – expliquent que les fragilités de la Roumanie demeurent : manque d’infrastructures, notamment routières et ferroviaires ; défaillances des secteurs sociaux, éducation et santé ; et démographie en berne. La capacité de l’appareil d’État roumain à mettre en œuvre ses politiques publiques est défaillante.
Pour ne rien arranger, cinq millions de Roumains vivent à l’extérieur, alors que la population compte à peine 20 millions d’habitants. Le taux de chômage est de 4 %. On imagine le casse-tête des entreprises pour trouver du personnel qualifié et le conserver. La main-d’œuvre se fait rare dans certains métiers. Des écoles, des centres de formation ont fermé. Environ 15 % des postes seraient vacants. Au point que le gouvernement a décidé de favoriser les embauches d’extracommunautaires, notamment des Moldaves.
Par ailleurs, il a fallu plusieurs mois pour que le budget 2019 soit promulgué. Il l’a été finalement le 15 mars. « On y fait un effort sur les infrastructures et les secteurs sociaux (voir encadré). En Roumanie, par exemple, il n’y a que 800 kilomètres d’autoroutes, ce qui est autant que la Bulgarie qui est deux fois plus petite », indique Michel Cywinski, le chef du Service économique de Bucarest.
Il serait temps d’accélérer
Il serait pourtant temps d’accélérer. L’année en cours s’annonce moins favorable par rapport à la précédente, même si le gouvernement affirme le contraire. L’activité économique devrait progresser de 3,4 %, d’après le Fonds monétaire international (FMI), 3,8 % selon une Commission européenne plus optimiste. Mais rien à voir avec la prévision de Bucarest de + 5,5 %.
Or, le gouvernement a pris des décisions fin 2018 qui vont pénaliser la croissance. Par exemple, une taxe dans le domaine bancaire devrait se traduire, estime la Banque nationale de Roumanie (BNR), par un impact de – 0,6 point de parité sur la hausse du produit intérieur brut (PIB). Des mesures similaires ont été prises dans l’énergie et les télécommunications.
Rassurer les investisseurs dans le secteur gazier
Reste les espoirs mis dans l’exploitation des hydrocarbures en Mer Noire, perçus comme pouvant provoquer un nouvel envol de l’économie roumaine. Ce n’est pas si simple. Car la loi sur l’exploitation des hydrocarbures offshore n’offre pas de véritable sécurité, que ce soit sur les conditions d’investissement ou les royalties.
Dans le courant de l’année 2018, le président de la République roumaine est intervenu en personne pour demander au Parlement de réexaminer cette loi. Klaus Iohannis estimait que la stabilité et la prédictibilité nécessaires à des investissements à long terme n’étaient pas assurées, ce qui serait aussi préjudiciable pour le budget public.
D’après une note du Service économique (SE) à Bucarest, intitulée « Enjeux et perspectives du secteur de l’énergie » (juin 2018), « les réserves exploitables onshore de gaz de la Roumanie sont évaluées à 100 milliards de m³, soit 10 années de consommation. À cela s’ajoutent les réserves de la mer Noire, estimées à plus de 170 milliards de m3, qui ne sont pas encore exploitées ».
Selon le SE, « la Roumanie fait figure d’exception par rapport à ses voisins proches car, avec une production annuelle presque exclusivement onshore de 9 milliards de m³ de gaz naturel, elle bénéficie d’une indépendance quasi-totale, notamment vis-à-vis du gaz russe qu’elle continue néanmoins d’importer uniquement pour des questions de prix plus favorables ».
Pourtant, « la Roumanie a le potentiel de devenir un hub gazier pour alimenter les pays voisins. À cet égard, des projets de nouveaux gazoducs sont en cours de développement et de construction », indique pour sa part Éric Stab, également P-dg d’ENGIE Romania et directeur d’ENGIE pour la Roumanie, la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie. Le géant ExxonMobil, l’autrichien OMV et la compagnie Black and Sea Oil Gaz (groupe américain Carlyle) sont sur les rangs pour exploiter le gaz de Mer Noire.
D’après le SE, « Transgaz, l’opérateur public chargé du réseau gazier, s’est lancé dans un vaste programme de réhabilitation de ses gazoducs avec ses voisins bulgares, moldaves et hongrois avec la modernisation des stations de compression permettant l’inversion des flux sur les interconnexions dans le cadre des travaux du projet BRUA (Bulgarie-Roumanie-Hongrie-Autriche) ».
Le BRUA (528 kilomètres) aurait pour avantage de favoriser l’indépendance européenne en matière énergétique. C’est pourquoi il est soutenu par la Commission européenne. Toutefois, en février 2019, Transgaz a annoncé que seuls 40 % de la capacité du gazoduc étaient réservés et que, faute de nouveaux soumissionnaires, l’opérateur ne pourrait engager une nouvelle phase.
Bucarest devra donc encore convaincre et rassurer les investisseurs.
François Pargny
*https://saisonfranceroumanie.com/la-saison-france-roumanie-2019
Chiffres clés (2018)
Superficie : 238 397 km²
Population : 19,5 millions d’habitants
Produit intérieur brut (PIB) : 201 milliards d’euros
PIB par tête : 10 300 euros
Croissance économique : 4,1 %
Inflation : 4,6 %
Importations : 90,6 milliards d’euros
Exportations : 83,9 milliards d’euros
Dette publique : 35,1 % du PIB
Chômage : 3,8 %
Sources : Institut national des statistiques (INS), Banque nationale de Roumanie (BNR), ministère des Finances publiques (MFP)
Budget 2019 : 10,5 milliards d’euros d’investissement
Dans le cadre du budget 2019, ce sont 10,5 milliards d’euros qui sont prévus au titre des dépenses d’investissement, soit 4,89 % du produit intérieur brut (PIB). Si le montant n’est pas indiqué, les infrastructures vont, néanmoins, bénéficier d’une part de cette enveloppe. Sont ainsi programmées les autoroutes ou routes suivantes : autoroute Lugoj-Deva (secteur Dumbrava-Deva) ; autoroute Sebeș-Turda ; autoroute Suplacu de Barcau-Borș ; autoroute CâmpiaTurzii-Târgu Mureș ; autoroute Bacău ; route express Craiova-Pitesti ; rocade sud de Bucarest (y compris les interventions sur la bande existante) : 4 voies de Bucarest entre A1-NR 5, NR 2-A2 et A1-passages DN7 Berceni, Domnesti, Oltenita et Mogoşoaia) ; autoroute du Nord Belt Bucarest ; autoroute Bucarest-Brasov (tronçon Comarnic-Brasov secteur Predeal-Cristian) ; autoroute Sibiu (sections Pitesti 1,4 et 5). A ces projets, s’ajoute le pont suspendu sur le Danube à Braila.