Fin février 2016, à trois semaines de l’ouverture de la huitième Quinzaine de l’international qui associera cette année l’Auvergne, les orientations à l’international du nouvel exécutif de la Grande Région, conduit par Laurent Wauquiez n’étaient pas encore clarifiées. Mais les enjeux, eux étaient connus.
Le cas de la nouvelle Région Auvergne Rhône-Alpes est intéressant car elle cumule trois changements importants : une fusion entre deux régions aux tissus économiques complémentaires, Auvergne et Rhône-Alpes ; un changement de majorité politique, avec la victoire de la liste de droite conduite par Laurent Wauquiez (Les Républicains) ; et enfin la disparition, l’an dernier, de la puissante agence rhônalpine de soutien à l’internationalisation des entreprises, Erai (Entreprise Rhône-Alpes international), mise en liquidation judiciaire le 1er juin 2015 faute d’avoir obtenu la subvention budgétaire nécessaire à son fonctionnement, à la suite de la défection des Verts.
C’est dire si dans les écosystèmes du commerce extérieur des deux Régions, on attend avec impatience que le nouvel exécutif clarifie sa stratégie afin d’accorder les violons des différents opérateurs, dont les agences régionales, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), mais aussi les opérateurs d’État Business France et Bpifrance, les Conseillers du commerce extérieur (CCEF), les organisations professionnelles (Medef, Cgpme)…
D’autant plus que si, en Rhône-Alpes, il s’agit de clarifier l’après Erai, en Auvergne, où la perspective de bénéficier des services de cette agence dotée d’un important réseau international avait suscité quelque espoir, il s’agit de savoir de quels services de proximité on va pouvoir à présent bénéficier.
Répondant aux questions du Moci, Jean-Paul Mauduy, président de la CCI de région Rhône-Alpes, positionne clairement le réseau consulaire comme partenaire naturel de cette Grande Région en matière de développement économique, d’autant plus en cette période de contraintes budgétaires… (cliquer ici pour lire l’article). D’autant plus que les CCI des deux Régions n’ont pas attendu cette fusion pour accorder leurs violons sur l’international. « Nous travaillons depuis longtemps ensemble sur des actions à l’international » confirme Laurence Roquetagnères, directrice CCI International Auvergne. L’an dernier, les deux services consulaires ont organisé ensemble la participation des PME régionales à l’Exposition Universelle de Milan Expo Milano 2015 : sur 30 entreprises participantes, 10 étaient auvergnates. Même approche coordonnée pour contribuer à la sélection nationale des PME qui participeront à une prochaine mission de prospection en Iran, où encore pour préparer un Forum Portugal en mai.
En Auvergne, le soutien à l’export était jusque-là mis en œuvre par l’agence régionale de développement économique avec son service Auvergne international, et le réseau consulaire CCI International. « On a une incertitude sur la pérennité de ces instruments que nous souhaiterions maintenir, résume Patrick Ozoux, président jusqu’au 8 mars du Comité Auvergne des CCEF. Car la nouvelle Grande Région donne quelques craintes aux Auvergnats que « tout ne se passe à Lyon ». Les CCEF auvergnats et rhônalpins ont d’ailleurs opté pour que leur comité régional respectif continue à fonctionner avec une certaine autonomie.
Chez les CCEF rhônalpins, on semble cependant confiant sur les orientations que va prendre le nouvel exécutif. « Ils montrent une forte conviction que l’international est une des clés pour dynamiser la région » se réjouit Hervé de Malliard, président du comité Rhône-Alpes des CCEF, lui-même patron d’une PME industrielle, MGA Technologies. Il fait partie, en tant que président des CCE, des personnalités qui sont consultées par les nouveaux élus sur la politique internationale.
Hervé Malliard se montre d’autant plus confiant que cette conviction fait partie des propositions du livre blanc « L’international : levier du développement économique » que son comité avait remis aux candidats aux régionales durant la campagne*. D’autres propositions seraient prises en considération, notamment sur la manière dont la Région doit gérer ses aides : ainsi il n’y aurait « pas de nouvel Erai », mais plutôt une organisation légère, qui gérerait les programmes d’aide et mettrait en œuvre des partenariats avec les structures existantes. « Cela rejoint notre deuxième recommandation dans le livre blanc, en faveur d’une formule de partenariat public-privé s’appuyant sur l’existant », indique Hervé de Malliard. Quant aux programmes d’aide eux-mêmes, Hervé Malliard espère qu’ils seront refondus dans le sens préconisé par le livre blanc, avec « moins de sociétés bénéficiaires mais des accompagnements dans la durée ».
Fin février, au moment où nous bouclions ce dossier, le nouvel exécutif n’avait pas encore arrêté sa stratégie. « Ils sont en phase de collecte d’informations et de définition des indicateurs pertinents » croyait savoir un observateur rhônalpin issu des milieux d’affaires et proche de la nouvelle majorité. « Soit on regroupe dans une seule organisation et une seule agence toutes les structures qui accompagnent les entreprises à l’exportation, soit on finance directement les entreprises, expliquait Laurent Wauquiez au journal régional Le Progrès, le 18 janvier *. À elles ensuite de recourir à des prestataires qui pourront les accompagner ». Le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes indiquait alors vouloir trancher avant l’été, selon le quotidien régional.
Christine Gilguy
*Laurent Wauquiez : « Mon programme économique » sur www.leprogres.fr
Les chiffres clés de l’export
Selon les statistiques du commerce extérieur livrées par les douanes pour 2015 de façon séparées pour les deux régions, les exportations de la Grande Région Auvergne Rhône-Alpes ont atteint 56,1 milliards d’euros (Mds EUR) en 2015, en progression de 6,2 % sur 2014. Rhône Alpes représente 48,8 Mds EUR et l’Auvergne 7,3 Mds EUR. Elles pèsent 12,3 % du total des exportations françaises (455,1 Mds EUR en 2015) et ont, ensemble, permis de dégager un excédent de quelque 2,2 Mds EUR (1,942 Md pour Rhône Alpes, 258 millions pour Auvergne). Hors matériels militaires et hors hydrocarbures naturels, l’excédent atteint même 4,1 Mds EUR, en hausse de près de 37 % par rapport à 2014.
Les CCE espèrent un recentrage géographique et sectoriel
Un point sur lequel se rejoignent sans hésiter les présidents des deux comités Auvergne et Rhône-Alpes des CCE (conseillers du commerce extérieur) : le besoin d’une réorientation des priorités géographiques et sectorielles de la Grande Région.
Au plan géographique, il s’agirait de privilégier les marchés européens et de lever le pied sur les BRICS*. « Les cinq premiers débouchés export d’Auvergne Rhône Alpes en 2015 sont l’Allemagne (8,3 milliards euros), l’Italie (5,5 Mds), l’Espagne (4,7 Mds), le Royaume Uni (4 Mds), les États-Unis (3,8 Mds), a calculé Hervé de Malliard. Or, les 5 BRICS ne totalisent que 3,6 Mds EUR, soit moins que les seuls États-Unis, et sont en baisse constante depuis 2012, année au cours de laquelle ils ont représenté 4,4 Mds EUR. Par ailleurs, le bloc Maghreb-Turquie-Arabie Saoudite-Emirats Arabes Unis est stable depuis 4 ans, avec 3,6 Mds EUR par an ».
Patrick Ozoux, qui s’apprête à prendre sa retraite de Michelin, ne le démentira pas : « les BRICS sont des marchés à attaquer dans un second temps, et plutôt réservés à des ETI. J’aime dire que l’export, ce n’est pas forcément noble si c’est loin, c’est noble quand c’est sûr ». Chine mise à part, il est donc temps, pour les PME, de lever le pied sur les autres BRICS. Les deux CCEF espèrent aussi un recentrage de la politique régionale sur des priorités sectorielles très concrètes à l’export. La encore, Hervé de Malliard a fait ses calculs en examinant les secteurs générateurs d’excédents et avance quelques pistes. Si la chimie de base, 1re source d’excédent, décline (+5,1 Mds EUR d’excédent en 2015), deux autres secteurs résistent, voire progressent : les biens d’équipements, qui affichent un excédent de 4,4 Mds EUR en 2015 (soit 10 % de plus qu’en 2012) et le secteur pharmaceutique, qui est stable par rapport à 2012 (4,1 Mds EUR en 2015).
Entre ces réalités géographiques et sectorielles, il y a de quoi faire de nouveaux choix : « un plan santé sur les États-Unis me paraîtrait pertinent, de même qu’un plan équipement sur l’Europe », souligne Hervé Malliard. Patrick Ozoux, en Auvergne, est également en faveur de stratégies sectorielles plus affirmées, d’autant plus qu’elles permettraient de faire jouer les complémentarités entre les points forts des deux régions : Rhône Alpes a un tissu industriel très diversifié, avec, à l’export, ses points forts dans les biens d’équipements industriels, la pharmacie et les produits intermédiaires. L’Auvergne, plus rurale, dispose de ses points forts industriels dans le caoutchouc avec Michelin, les semences avec Limagrain (semences), mais aussi le luxe et l’aéronautique. « Nous sommes favorables à l’idée de faire des PRIE sectoriels avec tous les opérateurs », souligne Patrick Ozoux, qui relève que les clusters aéronautiques des deux Régions ont déjà fusionné.
*Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud
**Hors matériels militaires et hors hydrocarbures