Les Québécois sont des Nord-américains francophones. Les hommes d’affaires développent ainsi les mêmes caractéristiques que leurs homologues des États-Unis : relations professionnelles informelles et peu hiérarchisées, prise de risque plus grande, pragmatisme, réactivité, esprit d’entreprise.
Bien que francophone, le Québec, ce n’est pas la France. Dans le monde des affaires, « le tutoiement n’est pas rare, même au téléphone. « C’est aussi au départ une façon de casser la glace », rapporte Raphaëlle Mandelbaum, directrice générale du bureau Canada de la société d’accompagnement à l’international (SAI) Salvéo. « Un jour, je devais rencontrer le président d’une belle compagnie aéronautique d’une centaine de millions de dollars. Et bien, il était venu en moto, des drapeaux étaient accrochés à l’arrière et il portait une longue barbe et un t-shirt avec une tête de mort au dos », se souvient Thibaud Toitot, responsable du Développement des affaires de la SAI. Ainsi, dans les PME de moins de 200 millions d’euros, l’aspect informel est souvent prisé, ce qui est moins le cas dans les plus grandes entreprises et surtout dans le milieu des institutions, où « le côté costume-cravate » est respecté.
Le Québec, ce n’est pas la France. « Les relations en entreprises sont peu hiérarchisées. Les dirigeants sont proches des employés. Et comme le travail est ici très flexible, embaucher demande deux jours. De même, un salarié peut choisir de quitter la société en quinze jours, tout comme il peut être licencié en 10 minutes », souligne Raphaëlle Mandelbaum. Le CDI (contrat à durée indéterminée) n’existe pas, la durée étant décidée par la direction. Pour autant, « même à 45 ans on retrouve du travail, car l’expérience est très prisée au Québec et les entreprises n’ont pas peur d’embaucher », observe Thibaud Toitot.
« De même, obtenir un rendez-vous d’une heure avec le directeur d’une entreprise est relativement aisé », constate Daniel Coya, le directeur général de Blue Way (éditeur de logiciels). Toutefois, les Français n’ayant pas généralement la réputation d’être totalement fiables, il faut se montrer rigoureux et « faire exactement ce que l’on a dit que l’on ferait », précise-t-il. Créer une société demande en moyenne une semaine. « En ce qui me concerne, je me suis entretenu avec un avocat d’affaires pendant une heure à Montréal. Et çà m’a coûté 1 000 à 1 500 euros, frais d’avocat compris », souligne, ravi, Daniel Coya.
« Il ne faudrait pas croire que parce que le marché du travail est très flexible, le Code du travail ne doit pas être respecté », prévient Serge Lombard, directeur général d’Ecorec Inc (recyclage de produits informatiques), qui cite, notamment la durée de travail hebdomadaire. « Elle est fixée à 40 heures et est appliquée. Au-delà, ce sont des heures supplémentaires », avertit Serge Lombard.
Flexibilité du travail et qualité de l’environnement des affaires ne signifie pas non plus que le chômage est nul. Il est de 7 à 8 %. Pour autant, certains métiers ou profils manquent, comme les infirmières. D’autres sont toujours très recherchés en raison de l’évolution du marché. Dans l’aéronautique, les besoins de main-d’œuvre qualifiée sont toujours importants, ce qui amène des organismes nationaux et régionaux à monter des missions de recrutement à l’étranger (France, Belgique…) ou des rencontres virtuelles (Brésil, Mexique…).
Le Québec, ce n’est pas la France. Globalement, le comportement des affaires rejoint celui des autres Canadiens et donc de l’ensemble de l’Amérique du Nord. « Les Canadiens sont extrêmement gentils, mais aussi extrêmement pragmatiques, ce qui rend parfois la lecture un peu difficile. Mais globalement, si un produit intéresse votre interlocuteur et qu’il offre un retour sur investissement rapide, il achètera vite. En revanche, s’il ne veut pas s’engager, il dira a priori que votre produit est intéressant, mais aucune phase de suivi de la rencontre ne sera prévue », expose Daniel Coya. « La prise de risque est plus grande au Québec, la négociation plus pragmatique, la réactivité plus forte et le court terme est privilégié », confirme Raphaëlle Mandelbaum.
Dans la Belle Province, « l’esprit d’entreprise est très développé, confirme Thibaud Toitot. Et ici, au Québec encore plus que dans le reste du Canada, la femme tient sa place, ayant des responsabilités jusqu’au plus haut niveau ». Une spécificité que les hommes d’affaires de l’Hexagone ne doivent pas non plus oublier.
BlueWay : innover sur le marché de l’édition de logiciels
En février 2013, BlueWay, un éditeur de progiciels BPM (Business Process Management) – utilisés pour la gestion quotidienne de données et le transport d’informations en entreprise – a créé une filiale à Montréal, appelée Les logiciels BlueWay.
Cette PME lyonnaise de 27 salariés, dont 8 dans la recherche et développement (R&D), à l’époque, souhaitait, dans le cadre de son développement international (plus de 20 % sur un chiffre d’affaires global de 4,1 millions d’euros en 2013), s’implanter dans un pays francophone pour aborder le continent américain. « Nous voulions faciliter le lien avec notre R & D en France, ce qui nous paraissait la meilleure stratégie pour faire nos preuves au Canada, avant de chercher à nous étendre aux États-Unis », précise le directeur général, Daniel Coya.
Pour limiter les risques, BlueWay a opté pour une structure légère et la vente indirecte. Dans la pratique, un technicien, détaché du siège social à Lyon, assure le lien et la formation du réseau des intégrateurs québécois, chargés de l’installation des produits, de leur maintenance et du suivi des affaires sur place.
« Comme en France, précise Daniel Coya, nous opérons avec plusieurs intégrateurs, certains d’entre eux se spécialisant dans la vente de licences dans la sphère publique, l’industrie ou les laboratoires, voire en distribuant notre solution en complément d’un ERP (progiciel de gestion intégré) ou d’un CRM (progiciel de gestion de la relation client). Comme le marché est segmenté et les populations cibles ne sont pas les mêmes, c’est cette solution que Blue Way a adoptée pour couvrir le marché le plus largement possible. » L’objectif à terme est que la filiale soit pilotée par un technico-commercial et deux consultants. Pour l’heure, Daniel Coya opère 20 jours par mois dans la Belle Province.
Déjà implanté au Benelux, en Italie, en Allemagne, en Suisse et au Maghreb, l’éditeur lyonnais ne craint pas particulièrement ses concurrents américains. « Ils sont tous présents en Europe et donc on les connaît bien », lâche, très serein, le directeur général de BlueWay. C’est pourquoi, expose-t-il, « nous n’avons pas hésité à mener en mai 2012, avec l’appui de la société d’accompagnement à l’international Salvéo, une mission qui nous a permis de confirmer qu’il n’existait pas au Canada de produits américains directement concurrents et que nos capacités de production pouvaient répondre aux besoins locaux. On y est retourné en octobre-novembre pour valider deux points essentiels : d’abord, que le marché nord-américain a des besoins similaires à ceux de l’Europe, ensuite, que l’ergonomie de notre système y est inconnu et que nos outils étant plus tactiques et plus agiles BlueWay offrait une technicité assurant un meilleur rendement en matière de gestion et d’organisation dans l’entreprise ».
Hébergée chez Salvéo, la filiale de support des intégrateurs à Montréal a décroché quatre affaires en quelque mois, dont un contrat avec la maison de prêt-à-porter française Façonnable à New York. « Nous avons aussi des clients dans la téléphonie et l’aéronautique », se félicite Daniel Coya, qui qualifie de « bon » le démarrage de sa filiale. Et surtout, il annonce « une accélération des ventes en janvier ».
Ecorec : profiter de l’alignement du Québec sur l’Europe dans le recyclage
C’est à la faveur d’un changement de législation au Québec en juillet 2012 qu’Ecorec, spécialiste de la récupération, du démantèlement, du tri et du recyclage de produits électroniques à Sarcelles, a choisi de s’introduire sur le marché québécois, en créant, peu après, en septembre, une filiale à Montréal, appelé Ecorec Inc.
Six mois à un an de réflexion auront été nécessaires. Mais pour cette PME d’une dizaine de salariés, l’alignement de la réglementation au Québec sur celle en vigueur en Europe était une opportunité qu’elle ne voulait pas laisser s’envoler. En effet, en rendant les fabricants de produits électroniques responsables du recyclage, les autorités de la Belle Province ont offert la possibilité aux sociétés détenant déjà un savoir-faire dans le recyclage et la valorisation des matières de proposer leurs services au Québec.
Au départ, la petite société française, représentée par un Volontaire international en entreprise (VIE), était hébergée dans les locaux de la Chambre de Commerce française au Canada à Montréal. Puis, un an plus tard, ayant finalisé son étude de marché et réalisé un premier travail de prospection approfondie, elle a acquis un site à une demi-heure, à Sorel-Tracy. Le VIE, Serge Lombard, est devenu le directeur général d’Ecorec Inc, société qui n’emploie que des Québécois. « Nous avons choisi d’être une société québécoise et de former sur place. On ne transfère de France que le savoir-faire », souligne Serge Lombard. Ecorec a choisi de s’implanter malgré la concurrence. « Le marché était assez grand pour nous offrir une porte d’entrée. Et de fait, la compétition est rude, en termes de prix et de solutions proposées, mais nous obtenons toujours de nouveaux clients depuis notre arrivée », se félicite le jeune dirigeant de la filiale. Ecorec a pu investir toute une série de secteurs, allant du domaine hospitalier à celui du bricolage, en passant par l’activité bancaire.
Intactis : devenir l’accélérateur des PME du pôle Aerospace Valley
Intactis est une société canadienne fondée à Montréal aux lendemains d’une mission que le pôle de compétitivité Aerospace Valley a pilotée au Québec début 2012.
À l’époque, Arnaud Seigne était volontaire international en administration (VIA) du pôle spécialisé des régions Midi-Pyrénées et Aquitaine. Il préside aujourd’hui Intactis, qui est chargé du développement de quatre PME dans l’aéronautique et l’automobile : Jedo (découpe par jet d’eau), Nexio (compatibilité électromagnétique), Orme (acquisition et traitement de signaux, logiciels d’images) et, depuis six mois, FusiA (impression du métal en 3 D).
« Ces quatre PME avaient peu ou n’avaient pas de clients au départ. Intactis en dénombre 30 au total aujourd’hui », se félicite Arnaud Seigne. Montréal étant le troisième bassin aéronautique mondial, derrière Toulouse et Seattle, ces petites et moyennes entreprises, installées sur des niches, possèdent un savoir-faire et une technologie qu’elles maîtrisent. « Elles investissent 10 % de leurs chiffres d’affaires en moyenne dans la recherche et développement, ce qui est rare pour des PME en Europe », souligne le président d’Intactis.
Attaquer les États-Unis ? « Le Québec peut être, en effet, une étape et nous avons déjà des marchés aux États-Unis, mais il ne faut pas aller trop vite. Il est primordial auparavant de se faire un nom au Québec et au Canada », assure Arnaud Seigne.
A l’heure actuelle, l’objectif est de développer des implantations locales, d’abord commerciales et, ensuite, en fonction des résultats, industrielles.
François Pargny