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Dossier Maroc 2017 : entretien avec Larabi Jaïdi, chercheur associé au think tank OCP Policy Center, à Rabat

 

 

 

 

 

 

Le Moci. La France a inventé il y a quelques années le concept de colocalisation pour qualifier le partenariat qu’elle voudrait mettre en place avec le Maroc en Afrique. Cette stratégie vous paraît-elle possible ?
Larabi Jaïdi. Cette proposition est une opportunité pour développer la coopération verticale et, de fait, la colocalisation a fait l’objet de diverses appréciations sur son apport à l’intégration productive entre les économies du Nord et du Sud. Pour autant, la mise en place de partenariats triangulaires dépend avant tout des entreprises elles-mêmes. Je remarque qu’au Maroc, ce sont surtout les entreprises publiques qui se développent en Afrique. Les sociétés privées sont encore rebutées par les spécificités des marchés, les contraintes administratives en général. Mais la France a cette connaissance ancienne du continent qui leur manque. Elle y a, cependant, perdu du terrain ces dernières années, subissant notamment la concurrence des émergents, comme la Chine et l’Inde. Aujourd’hui les entreprises françaises doivent relever divers défis pour consolider ou améliorer leurs positionnements dans les chaînes de valeur mondiales. La colocalisation peut être une modalité de création de chaînes de valeurs régionales.

 

Le Moci. Malgré l’offensive commerciale voulue par le roi, le commerce comme les investissements Maroc-Afrique restent modestes. Pourquoi ?
L. J. Il n’y a que depuis deux à trois ans que l’agence publique Maroc Export pilote vraiment la diversification géographique des entreprises marocaines. C’est peu pour diversifier sérieusement les débouchés. Quant à l’investissement, en dehors de la banque et de l’assurance, ce sont surtout les entreprises des secteurs des infrastructures, de la construction, des mines et de la transformation de ressources naturelles qui se localisent en Afrique subsaharienne. Il y a, certes, des potentialités dans l’agroalimentaire, le textile, les technologies de l’information mais il faut du temps pour qu’elles se valorisent, attirent des investisseurs extérieurs avec lesquels construire des partenariats durables. Aujourd’hui, les exportations marocaines restent encore concentrées par continent, l’Europe en l’occurrence, et par pays, la France et l’Espagne notamment. On pense, cependant, que pour l’Afrique nous sommes complémentaires. Nous sommes africains. On a entamé un processus de diversification des marchés vers les États-Unis, la Russie, mais ce n’est pas encore une réussite. On n’a pas non plus su profiter des marchés émergents de l’Union européenne. Maintenant que l’Europe est en perte de vitesse, on voit bien que la demande qu’elle nous adresse n’est pas tonifiante pour notre économie. Il faut donc persévérer dans la voix de la diversification. Par contre, pour les investissements, le Maroc a mis en place des offres attractives pour attirer les entreprises européennes. C’est ainsi que l’on pourra booster le flux des échanges dans un pari gagnant-gagnant.

 

Le Moci. Quels types de partenariat vous paraîtraient alors les plus adaptés aux besoins des entreprises marocaines et françaises ?
L. J. On peut évidemment imaginer de l’assistance technique, une collaboration en matière d’approche de marché ou de formation. Mais le plus adapté est la joint-venture, car c’est dans ce cadre que peut se créer réellement la valeur ajoutée. Au Maroc, nous avons des marchés en plein essor dans l’aéronautique et l’automobile. Les sociétés qui y contribuent sont soit des entreprises qui ont accompagné les grands donneurs d’ordre et constructeurs, comme Airbus et Renault, soit des partenaires de ces constructeurs ou encore des entreprises marocaines qui développent leurs capacités au sein de cet écosystème. Dans la zone de Tanger, et même autour de Casablanca pour l’aérospatiale, la PME marocaine fait ses premiers pas. Elle s’aligne en matière de normes technologiques, se réorganise intérieurement, en compétences humaines et en savoir-faire. Il lui faut parvenir à un stade suffisant pour être conquérante, ce qui prend un peu de temps. C’est pareil dans une démarche de colocalisation. La joint-venture est un investissement stable, qui n’est pas seulement une approche marché, mais va inscrire le partenariat dans la durée, à savoir le moyen ou le long terme.

 

Le Moci. Après l’Afrique francophone, le Maroc s’intéresse à l’est du continent. N’est-ce pas trop rapide ?
L. J. Non. Bien sûr, le Maroc a des relations naturelles avec l’Afrique occidentale, des coopérations techniques ou dans la sécurité, mais le monde s’ouvre de plus en plus et il est normal que les entreprises marocaines cherchent à acquérir à l’extérieur des marchés, du savoir-faire et de l’expérience. Pourquoi pas en Afrique de l’Est ? La Tunisie, l’Égypte veulent aussi y être très actifs, l’Algérie s’y intéresse aujourd’hui. Cela ne signifie pas que nous tournons le dos au Maghreb, mais le Maroc est pragmatique. Pour le moment, le Royaume, qui vient de réintégrer l’Union africaine, veut adhérer à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) justement pour être encore mieux intégré dans ce continent. Et même si, quelques voix venant de l’intérieur de l’organisation régionale ont exprimé un scepticisme sur l’opportunité ou la faisabilité de la demande marocaine, ces voix ne sont pas des voix autorisées et des amis du Maroc ont rappelé l’intérêt pour l’organisation régionale de voir le Maroc en devenir un membre à part entière. Au-delà de l’aspect politique, l’intégration du Maroc nécessite de traiter les volets techniques, notamment les questions relatives à l’harmonisation des tarifs extérieurs, la facilitation du commerce intra régional, l’adoption de règles d’origine claires, la gestion des flux migratoires, le traitement de l’investissement régional, la gouvernance de l’institution, les questions sécuritaires et bien d’autres questions. Déjà au sein de la Communauté, on a du mal à s’accorder sur tous ces aspects. S’agissant maintenant de l’Afrique de l’Est, les perspectives d’élargir les relations de coopération entre les pays de cette zone s’annoncent positives. Il faut dialoguer, convaincre, lever les tabous, briser les barrières idéologiques. Le pragmatisme incite à identifier les intérêts communs et travailler à leur mise en œuvre. Le Maroc veut une diversification et un partenariat. C’est un défi immense. Il s’est engagé à le relever.

Propos recueillis par François Pargny

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