Le Royaume chérifien possède la proximité géographique, la France la connaissance des marchés africains. Le Maroc est libéral en affaires et veut monter en gamme. Une opportunité pour des Français qui peuvent utiliser ce pays comme plateforme ou nouer des partenariats. Ce qui n’empêche pas aussi une certaine concurrence, notamment sur de gros marchés d’infrastructures.
En scrutant les rives de la Méditerranée, on pourrait se demander si le Maroc ne pourrait pas être la porte d’entrée naturelle d’une nouvelle France en Afrique. Une France qui n’imagine plus seulement de commercer avec ses voisins du sud, mais aussi de nouer des partenariats. Une France, et c’est tout nouveau, qui considérerait également le continent dans son ensemble et non plus séparé en deux, le nord et le sud du Sahara.
Ce double concept est d’autant plus séduisant pour une France qui perd du terrain en Afrique, face aux émergents, mais pas seulement – l’Espagne, par exemple, devenu premier client et fournisseur au Maroc devant la France – que le Royaume chérifien a lancé depuis quelques années, sous l’impulsion du roi, une longue marche vers l’Afrique. Avec encore quelques limites, dont certaines pourraient disparaître au fil du temps : une concentration de la prospection sur le champ francophone, mais déjà le Maroc s’intéresse à l’Afrique de l’Est (Rwanda, Tanzanie…) ; un activisme qui est surtout le fait des entreprises publiques, mais là aussi cela pourrait changer, avec l’aide ou pas des PME de l’Hexagone.
C’est effectivement une longue et lente marche, car les PME marocaines ne sont pas coutumières des marchés africains, ce qui peut se transformer en atout pour des PME de l’Hexagone qui cherchent à coopérer. Lié à l’Union européenne (UE) par un accord d’association (en vigueur depuis 2000), le Maroc a orienté depuis longtemps ses échanges vers ce partenaire. Il faudra donc au Royaume du temps « pour diversifier sérieusement ses débouchés », soutient, dans un entretien exclusif au Moci, Larabi Jaïdi, chercheur associé au think tank marocain OCP Policy Center.
Très visible, grâce au Roi, le Maroc est, en fait, un nouveau venu sur la scène africaine. Pour s’en persuader, un chiffre : l’Afrique du Sud a réalisé globalement en Afrique 30 fois cumulées les exportations du Maroc sur le continent entre 2004 et 2014. Plus encore, d’après la base de données GTA (groupe IHS), l’an dernier, sur un montant global d’exportations marocaines de 20,3 milliards d’euros, l’Afrique n’absorbait qu’une part de 9,5 %. L’Égypte et l’Algérie figuraient aux 13e et 15e rangs des pays clients, et il fallait aller au-delà de la 20e place pour trouver une nation d’Afrique subsaharienne, en l’occurrence le Sénégal.
En revanche, l’Union européenne était de loin le premier débouché, avec une part de 64,32 %. Dans les douze premiers clients, figuraient huit États membres de l’UE, dont trois occupaient le podium, l’Espagne et la France dominant largement, avec 23,33 % et 20,73 %, devant l’Italie, avec 4,66 %. Les quatre autres grands marchés du Royaume chérifien, Brésil, Inde, États-Unis, Turquie, comptaient ensemble pour 13,73 %.
Le constat est encore plus frappant pour les importations du Maroc, d’une valeur totale de 37,36 milliards d’euros en 2016, l’Afrique ne représentant que 4 %. Un seul pays dans les vingt premiers, l’Algérie, 18e fournisseur, alors que le Maroc s’est approvisionné à hauteur de 55,56 % dans l’UE. Les sept premiers pays européens figurant dans le Top 12 des fournisseurs du Royaume représentaient à eux seuls 47 %, l’Espagne arrivant en tête avec une part de marché de 15,71 %, devant la France, avec 13,72 %. Les cinq autres États classés dans le Top 12, Chine, États-Unis, Turquie, Russie, Arabie Saoudite, ont constitué ensemble une part de 24,3 %.
Pour autant, l’offensive chérifienne en Afrique impressionne. « Mohammed VI a réalisé 80 voyages en Afrique subsaharienne depuis 1999. Chaque étape est méthodique, des délégations de 30 à 50 chefs d’entreprise sont formées. On joue en meute et groupé, l’industrie et le monde bancaire s’épaulant, les holdings d’État étant associés et, à la volonté d’affaires s’ajoutant une volonté nationaliste qui nous manque à nous Européens », constate Étienne Giros, président délégué du Cian (Conseil des investisseurs français en Afrique).
Politiquement et économiquement, le Royaume chérifien entend peser en Afrique, comme le prouve sa récente réintégration dans l’Union africaine (UA) et sa demande d’adhésion à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Dans un environnement maghrébin chahuté depuis les printemps arabes, le Maroc apparaît comme le partenaire idéal pour les PME de l’Hexagone. « Ce que je constate, c’est que sur la centaine d’investisseurs français que l’on conseille et accompagne chaque année, toutes viennent, certes, pour le Maroc, mais toutes – et ce depuis quatre-cinq ans – ont également des visées dans le reste de l’Afrique », souligne Philippe Confais, le directeur général de la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM), qui, du coup, depuis 2015 organise des missions B to B sur mesure en Afrique subsaharienne avec une dizaine d’entreprises françaises à chaque fois.
« C’est vrai que très largement encore aujourd’hui les entreprises qui font appel à la Chambre se servent du Maroc d’abord comme d’une base arrière avant que de nouer des partenariats », reconnaît Philippe Confais. C’est, de la part, des PME françaises, « une question de mentalité », soutient le Marocain Hicham Amadi, qui a étudié et travaillé en France (école d’ingénieurs de Caen, chef de projets chez Atos et Axa). « Il faut simplement accepter que le Maroc soit le point de passage », ajoute le fondateur de 2WLS, une petite entreprise de Casablanca qui crée et gère des programmes de fidélité en Afrique. Et ce patron, également vice-président de l’Association marocaine des entreprises exportatrices (Amex) d’enfoncer le clou, en appuyant sur les points communs et les atouts à la fois de la France (le même fuseau horaire, l’ancrage français, la puissance de la CFCIM) et du Maroc (la liberté d’entreprendre et d’utiliser ses fonds, la garantie d’investissement). Selon lui, « Français et Marocains ne sont pas concurrents ».
Un avis partagé par Mokhlis Habti El Idrissi, directeur d’Investissement chez Maroc Invest, qui estime également que le secteur privé français peut utiliser le Maroc comme plateforme sur l’Afrique subsaharienne. « De plus en plus de managers et de personnel marocains sont ouverts à l’expatriation dans cette région, ce qui est favorable au positionnement de mon pays comme hub africain. Ils peuvent être particulièrement utiles dans l’ingénierie, un domaine qui est la chasse gardée de la France en Afrique. En termes de coût et de qualité, c’est intéressant, le coût d’un ingénieur étant deux fois et demi moins élevé au Maroc qu’en Espagne », développe-t-il, avant d’ajouter que « l’incursion du Maroc dans des espaces économiques comme la Cedeao doit être aussi considérée comme une opportunité pour des entreprises françaises implantées sur place et qui souhaitent s’étendre à d’autres territoires du continent ».
S’agissant des secteurs d’une coopération triangulaire France-Maroc-Afrique, Philippe Confais cite, en priorité, les grandes infrastructures de communication (routes, aéroports…), mais aussi l’industrie agroalimentaire. « Nourrir le continent et créer de la valeur ajoutée sont indispensables », précise-t-il, avant de mentionner d’autres domaines d’activité, comme les énergies, plus particulièrement les renouvelables, le ferroviaire et l’automobile. Comme l’expliquait Marc Nassif, le directeur général de Renault Maroc, au Moci, qui était invité, les 19 et 20 février, au dernier forum Afrique Développement de Casablanca en février, les accords commerciaux conclus par Rabat permettent notamment au groupe français d’exporter librement en Afrique du Nord. Si Renault n’a pas encore annoncé sa volonté de fournir le sud du Sahara, sa montée en puissance (le Maroc représente déjà 10 % de la production mondiale du constructeur), selon Philippe Confais, devrait logiquement l’y inciter. Pareil pour Peugeot, qui va, outre des voitures, fabriquer des moteurs à Kenitra, pôle de développement automobile en pleine expansion.
Sur l’entente franco-marocaine, Étienne Giros se montre plus mesuré. Tout en reconnaissant l’intérêt pour des PME tricolores sans connaissance de l’Afrique de nouer des partenariats avec des Marocains, il estime que dans certains secteurs – ville intelligente, adduction d’eau, travaux publics, santé, etc. – « les Français n’ont pas besoin de nouer des partenariats ». Et de rappeler que « les Chinois ont fait du pied aux Français parce qu’ils étaient mal vus et voulaient décrocher certains marchés, mais, qu’en fait, ce sont des concurrents comme les autres auxquels il n’est pas question de servir de marchepieds ».
Dans d’autres secteurs, comme la banque et l’assurance, ce sont les Marocains qui « y vont seuls », appuie, dans un entretien exclusif au Moci, Laurent Dupuch, président du Comité Maroc des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) et président du directoire de la filiale marocaine de BNP Paribas. Dans les infrastructures aussi. Lors du forum cité plus haut, organisé par Attijariwafa Bank, Saïd Zarrou, président du Conseil d’administration de Marchica Med, se félicitait que son groupe ait décroché le contrat d’aménagement de la baie de Cocody, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, un succès qui lui a servi ensuite pour remporter une autre affaire en Afrique : les études de faisabilité pour la valorisation et la sauvegarde du canal des Pangalanes à l’est de Madagascar. Selon Laurent Dupuch, « la concurrence est saine ».
François Pargny
Pour voir la carte du commerce extérieur du Maroc avec la France et l’Afrique en 2016 cliquer ici
Chiffres clés
Superficie : 719 850 km2
Population* : 34,87 millions d’habitants en 2017
Produit intérieur brut (PIB)** : 111,09 milliards de dollars en 2017
PIB par habitant** : 3 252,86 milliards de dollars en 2017
Croissance du PIB** : 4,8 % en 2017
Inflation** : 1,3 %
Importations*** : en 2016, 37,4 milliards d’euros. La France est le premier fournisseur, avec 13,22 %, derrière l’Espagne, avec 15,71 %.
Exportations***: en 2016, 20,3 milliards d’euros, dont 20,73 % en France, deuxième pays client derrière l’Espagne, avec 23,33 %.
Sources : * projections du Haut commissariat au plan, **FMI – World Economic Outlook Database, *** GTA (groupe IHS)
Risque pays : B1, faible, selon Euler Hermes
Pour développer une stratégie panafricaine, le Maroc comme hub à l’export sur l’Afrique a pris le pas sur la Tunisie, qui tenait ce rôle avant la révolution du jasmin. Une occasion peut-être unique pour lui de capter des technologies de l’Occident et de les diriger vers le sud. Le Royaume chérifien est un « îlot de stabilité dans la région », il présente « un risque faible – B1* », d’autant qu’après « une année dernière compliquée en raison du manque de pluie dont a souffert l’agriculture, l’économie est repartie à plus de 4,3 % au premier trimestre. Et donc nous prévoyons cette année comme l’année suivante 4,5 %, après 4,5 % déjà en 2015 et 1,1 % en 2016 », développe Stéphane Colliac, économiste chargé de l’Afrique chez Euler Hermes, à Paris.
L’industrie réaliserait un rattrapage progressif, néanmoins les investissements locaux et étrangers auraient encore un impact limité sur la croissance. « Alors qu’en Chine il faut six points d’investissement pour générer un point de croissance, au Maroc il en faut onze parce que ce pays accueille beaucoup de financements immobiliers et que les grands projets comme l’usine automobile de Renault à Tanger sont encore trop rares », précise Stéphane Colliac.
*Risque de moyen terme : l’échelle comporte 6 crans : AA représente le risque le plus faible, D le plus élevé.
– Risque de court terme : l’échelle comporte 4 crans : 1 représente le risque le plus faible, 4 le plus élevé.