Le Moci. Vous présidez la principale organisation d’employeurs du pays, le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam). Que peut espérer le secteur privé camerounais d’un salon comme Promote, qui prend de plus en plus d’ampleur ?
André Fotso. C’est vrai que le Salon international de l’entreprise Promote s’impose aujourd’hui comme un lieu de rendez-vous triennal majeur pour les acteurs économiques de la région Afrique Centrale. Au fil des années, il a acquis une dimension qui met en exergue le génie industriel et commercial de nos entreprises, à travers les hommes et les femmes qui s’y rencontrent ainsi que les intelligences et les expériences qui s’y côtoient. Promote offre aux entreprises une vitrine d’exposition de leur savoir-faire. C’est également un lieu de rencontre où elles peuvent s’imprégner les expériences des autres, échanger et développer des partenariats.
Le Moci. Si les grandes entreprises françaises continuent à investir au Cameroun, il est de plus en plus difficile d’y attirer des PME de l’Hexagone. L’absence de marchés ou la concurrence des pays émergents est souvent évoquée. Qu’en pensez-vous ?
A. F. Il convient de relativiser cette appréciation. Force est de constater que ces dernières années l’économie mondiale connaît des mutations importantes, dont l’un des principaux traits est la montée en puissance de nouveaux pays émergents, notamment les BRICS (Brazil, Russia, India, China et South Africa). Il en découle une certaine reconfiguration des dynamiques économiques mondiales, mais il faut souligner que l’intérêt des partenaires traditionnels comme la France pour notre pays semble toujours aussi grand. J’en veux pour preuve les salons et les nombreuses missions commerciales d’investisseurs français qui nous sollicitent régulièrement. Vous vous souvenez sans doute de l’offensive de haut niveau conduite par la plus haute autorité de l’État en France à l’occasion du forum économique France-Cameroun organisé conjointement par le Medef et le Gicam fin janvier 2013. Cet événement très couru illustre bien l’intérêt que les entreprises françaises continuent d’accorder au Cameroun et à l’Afrique, continent qui suscite de nombreuses convoitises du fait de son potentiel, de sa population jeune et de sa classe moyenne grandissante.
Le Moci. Engorgement du port de Douala, pression fiscale, coupures électriques… les motifs d’insatisfaction sont multiples et toujours les mêmes. Avez-vous, cependant, le sentiment d’être plus écoutés que par le passé ?
A. F. Ces écueils sont réels et pèsent chaque jour, ainsi que bien d’autres sur la compétitivité de nos entreprises. Mais en même temps, il convient de noter les efforts et surtout la volonté affichée par les différentes parties prenantes, particulièrement le gouvernement pour renverser cette situation. Après la publication du dernier classement Doing Business dans lequel le Cameroun a reculé de sept places, nous avons observé un certain sursaut de la part des autorités et sommes convaincus d’une embellie dès l’année prochaine. L’amélioration du climat des affaires appelle essentiellement à la mise en œuvre des réformes, la réalisation de changements dans l’organisation, dans les stratégies, dans les actions, même dans la manière de les apprécier. Les initiatives actuelles pèchent par leur caractère ponctuel. Elles apparaissent souvent isolées, ne s’inscrivent pas dans le temps et dans les formes requises. Notre conviction est que, pour obtenir des résultats appréciables, il faut engager des mesures cohérentes, qui permettent d’actionner tous les leviers disponibles pour changer le modèle et les mentalités.
Le Moci. L’engorgement du port de Douala, la lenteur et les coûts élevés des services douaniers et logistiques ne rendent-ils pas caduque l’ambition de transformer le Cameroun en hub logistique pour l’Afrique centrale ?
A. F. Le port de Douala a effectivement connu depuis décembre 2013 un sérieux problème d’engorgement, qui a entraîné un rallongement important des délais et des coûts de passage portuaires. Dans le cadre du comité de Facilitation du transport maritime international (Comité FAL) que j’ai l’honneur de présider, la communauté portuaire s’est mobilisée et nous observons que la situation s’est considérablement améliorée. Quant aux droits de douane, le problème réside plus dans leur adéquation avec les objectifs de politique économique et dans la qualité de l’application des procédures douanières, puisqu’étant membre d’une union douanière, le Cameroun partage un même tarif extérieur commun avec les autres pays de la zone Cemac (Communauté économique des États d’Afrique centrale).
Quoi qu’il en soit, plusieurs projets sont programmés pour faire du Cameroun un hub logistique. Ils sont contenus dans le Plan de développement de la ville de Douala pour lequel 400 milliards de FCFA ont déjà été mobilisés pour la période 2013-2017 sur un besoin total de financement estimé à 1 500 milliards. Les projets d’envergure comme la construction du port en eau profonde de Kribi ainsi que celui de Limbé sont également de nature à améliorer l’attractivité du pays et lui permettre de capitaliser l’avantage comparatif que lui offrent son positionnement géographique et la qualité des infrastructures d’interconnexion en cours de réalisation.
Le Moci. Votre homologue d’Ecam, Protais Ayangma Amang, a évoqué les pertes fiscales pour l’État et de parts de marché pour les entreprises camerounaises pour qualifier de “léonin” l’Accord de partenariat économique (APE) intérimaire conclu avec l’Union européenne (UE). Partagez-vous son avis et son inquiétude ?
A. F. Les APE sont effectivement un important sujet de préoccupation pour nos pays, nos entreprises et pour le Groupement inter-patronal du Cameroun qui a longtemps assuré la représentation du secteur privé sous-régional dans les différents rounds de négociation au titre de l’Union des patronats d’Afrique Centrale (Unipace). Nous leur avons même consacré les 3es assises de l’Université du Gicam en juin dernier. Les analyses et les échanges avec les experts, les universitaires et les administrations nous ont conduits à une conclusion partagée : aujourd’hui, l’enjeu porte moins sur l’accord en lui-même que sur les réformes indispensables que nos pays doivent engager pour saisir les opportunités qu’offrent la mondialisation et la globalisation, tout en se préservant des risques que ce mouvement charrie. Les mesures qui rendraient compétitives nos entreprises peuvent concerner l’offre énergétique, les infrastructures de transport, les télécommunications, le système judiciaire, la politique fiscale, le droit de travail, etc.
Le Moci. Le Cameroun, première économique de la région, a ratifié l’Accord de partenariat économique intérimaire avec l’Union européenne le 22 juillet 2014, alors que les autres nations d’Afrique centrale, souvent des PMA (pays moins avancés) bénéficiant du régime « tout sauf les armes » qui offre déjà un accès libre au marché européen, ne veulent pas signer d’APE. Qu’en pensez-vous ?
A. F. Je pense que l’APE intérimaire entre l’Union européenne (UE) et le Cameroun a permis aux deux parties d’aller aussi loin que possible dans le cadre des négociations entre l’UE et l’Afrique centrale, mais c’est, en fait, un accord que je qualifierai de second rang, car, après cet accord Cameroun-UE, les pays de la région se retrouvent avec des régimes commerciaux différents avec l’UE. Or, l’Union européenne est à tous son principal partenaire, ce qui fait peser une nouvelle menace sur un processus d’intégration qui avançait déjà difficilement.
De plus, la mise en œuvre de l’APE devrait se traduire par une dégradation de la balance commerciale avec l’UE, alors même que les engagements pris par les Européens sur le volet du partenariat au développement restent à clarifier et préciser lors de négociations ultérieures. C’est pourquoi, notre Groupement suit avec la plus grande attention la mise en œuvre de cet accord que nous souhaitons élargi à toute la région et équilibré.
Propos recueillis par François Pargny