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Dossier Cameroun 2016 : questions à Armel François, président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam)

Le Moci. Le FMI annonce un ralentissement de la croissance au Cameroun en 2016, qui devrait se poursuivre en 2017. Cette perspective pessimiste ne cache-t-elle pas une mauvaise santé du secteur privé ?
Armel François. Le Cameroun fait face depuis 2013 à une conjoncture globalement défavorable – et la poursuite de sa dynamique de croissance révélait une capacité de résilience qui en surprenait plus d’un – avec les vents défavorables d’une conjoncture mondiale en berne, principalement chez son premier partenaire commercial l’Union Européenne ; la chute drastique des cours des matières premières, principalement le pétrole ; la récession au Nigeria, notre grand voisin et la double crise humanitaire sécuritaire sur nos frontières Est et Extrême-Nord ; sans oublier nos propres atermoiements internes habituels.
Pour répondre spécifiquement à votre question, il est nécessaire de préciser que les performances louables de ces dernières années sont restées localisées dans des secteurs spécifiques (BTP, énergie, télécommunications…), les mécanismes susceptibles de générer des effets d’entraînement massifs vers les autres secteurs étant grippés par les vicissitudes de l’environnement des affaires. J’en voudrais pour preuve, l’incapacité de ces performances économiques à se traduire par une création d’emplois décents conséquente pour la grande masse de nos jeunes, dont beaucoup sont obligés de se recycler sans fin dans les activités informelles généralement de subsistance. Si les entreprises, dans leur majorité, peinaient déjà à performer en temps d’embellie, il va de soi que le ralentissement annoncé va se traduire par une fragilisation plus grande encore.

 

Le Moci. Au regard de cette observation, le Cameroun reste-t-il une destination intéressante pour des investissements étrangers, notamment français ?
A.F. Le potentiel humain et naturel du Cameroun, sa politique commerciale d’ouverture ainsi que sa position stratégique au cœur du golfe de Guinée sont des facteurs d’attractivité économique indubitables pour les investisseurs de toutes les origines. Les investisseurs français en particulier ont l’avantage de pouvoir s’appuyer sur des réseaux d’entreprises déjà présentes et avec lesquelles ils peuvent avoir des affinités préétablies. De plus, les projections convergent sur l’importance du rôle économique que jouera l’Afrique au cours des prochaines décennies. Il nous semble donc difficile de penser que des péripéties de court terme puissent brider une perspective portée par des facteurs structurels aussi importants.

 

Le Moci. Le gouvernement veut poursuivre, pour les trois prochaines années, son programme de grands travaux et apporter un appui au secteur privé productif. Cela vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
A.F. Comme toute orientation de politique, sa pertinence et son succès ne peuvent être absolus mais dépendront de plusieurs éléments. Le premier est le choix de ces projets dits de seconde génération. Les indices en notre possession montrent qu’il pourrait s’agir de la construction des lignes ferroviaires, d’un 3e pont sur le Wouri,     du Port de Limbé ou encore de la densification de la fibre optique.
S’ils étaient finalement retenus, tous ces projets apporteraient sans doute des solutions à des problèmes réels, mais il restera toujours la question des motivations de leur priorisation au détriment par exemple du désenclavement des bassins de production agricole, de l’entretien de notre réseau routier urbain et interurbain, de l’aménagement des terres agricoles, etc.
Le second élément conditionnant la pertinence de ce choix est d’ordre macroéconomique : le Cameroun a-t-il les moyens de poursuivre cette politique d’investissement financée par des déficits (commerciaux et contractuels) ? Nous avons beaucoup insisté sur la question de la sous-traitance afin de garantir une internalisation de certains coûts et un transfert de technologie pour développer une véritable capacité locale.
Le troisième élément porte sur les mesures d’accompagnement nécessaires pour que le pays capitalise au mieux ces efforts d’investissement. Il s’agit ici des réformes structurelles (foncier, justice, développement industriel, financement, etc.). À ce sujet, nous attendons de voir les contours de la nouvelle stratégie d’appui au secteur privé productif.

 

Le Moci. La mise en œuvre, depuis le 4 août 2016, de l’Accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne par le Cameroun a-t-elle l’impact qu’on avait redouté ?
A.F. Premièrement, je pense qu’après seulement quatre mois d’entrée en vigueur ou de pseudo-entrée en vigueur, la mise en œuvre des dispositions administratives prévues par le décret du président de la République du 3 août 2016 sur les méthodes de coopération administrative, il est encore tôt pour faire un bilan. Les seuls éléments en notre disposition sont les manques à gagner affichés par l’administration des douanes. Nous avons lancé une évaluation autonome qui nous fournira une meilleure appréciation d’ici le mois de décembre.
Deuxièmement, je voudrais rappeler qu’il n’y a jamais un consensus sur l’impact prévisionnel de cet APE. Certains l’ont présenté comme une énorme opportunité tandis que d’autres y voyaient une menace mortelle. Nous avons toujours appelé à ne pas considérer l’APE comme une menace, car les défis de compétitivité s’expriment avec ou sans APE avec la même acuité pour nos entreprises.

 

Le Moci. Le secteur privé local est-il préparé à affronter le démantèlement tarifaire dans le cadre de l’APE ?
A.F. Le secteur privé local, particulièrement le tissu industriel local, n’est pas prêt à affronter la concurrence extérieure d’où qu’elle vienne, avec ou sans APE. Nous avons un retard de compétitivité très important et les difficultés de notre environnement ne sont guère de nature à induire sa réduction dans une échéance raisonnable. Nous pensons néanmoins que les APE peuvent être une opportunité pour améliorer la compétitivité du secteur privé local et régional, mais également celle des investissements directs étrangers. La 42e session du Comité régional de coordination des négociations APE, qui s’est tenue du 21 au 25 novembre 2016 à Yaoundé, et à laquelle le Gicam a pris part en tant que représentant du secteur privé régional, a été l’occasion d’échanger sur l’impact que les APE pourraient avoir sur la compétitivité des pays de la sous-région Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale). Les questions liées à la subvention des produits européens et aux règles d’origine dans le cas d’un APE régional ont été abordées.

 

Le Moci. Le Cameroun a fait presque du surplace dans le classement Doing Business de 2017, 166e sur 190 pays. Cette place se reflète-t-elle dans la réalité du climat des affaires ?
A.F. Nous considérons qu’il est urgent de traduire en actes concrets les belles intentions affichées à travers la densification du dialogue public/privé observée ces dernières années. Le gouvernement avait semblé jeter l’anathème sur les contributeurs du Cameroun à ce classement tout en invoquant la faible diffusion de ses initiatives, mais force reste de constater que très peu de réformes sont menées à terme dans les formes et les délais requis.

Propos recueillis par Parfait N. Siki

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