Dans un entretien accordé au Moci, la patronne des CCEF au Cameroun pointe l’environnement des affaires difficile auquel est confronté le secteur privé, notamment les entreprises françaises sur place. Critique à l’égard de l’Etat, Marie-André Ngwé n’hésite pas non plus à tacler le FMI accusé d’aveuglement. Pour les PME, elle conseille de coopérer avec les grandes entreprises.
Le Moci. Le Fonds monétaire international (FMI) vient de relever sa prévision de croissance de l’économie camerounaise de 4,9 à 5,4 % cette année. Est-ce que cette bonne santé relative est prise en compte par les entreprises françaises ou se montrent-elles toujours aussi inquiètes dans l’attente de réformes et d’une amélioration sensible du climat des affaires ?
Marie-Andrée Ngwé. La vision des entreprises installées sur place n’est pas vraiment celle des sociétés basées à l’étranger. Ces dernières sont intéressées par les perspectives offertes par le pays dans de nouveaux domaines, comme les énergies nouvelles, et par les grands projets qui font l’objet d’appels d’offres, surtout quand les financements proviennent des bailleurs de fonds internationaux, car le risque d’impayé est alors réduit. Pour les appels d’offres sans financement extérieur, le risque de très gros retards de paiement est important. Pour leur part, les entreprises françaises implantées au Cameroun ont le sentiment qu’il n’y a pas d’amélioration ou de perspective favorable. Elles vivent au quotidien les tracasseries administratives, la multiplication des contrôles, l’absence de décisions et le climat judiciaire très difficile. Sans compter que l’État n’a toujours pas apuré ses arriérés de paiement, notamment les remboursements de TVA. Donc, d’un côté, les sociétés établies sont pressées par l’Administration fiscale, douanière ou autre qui recherche des ressources financières et, de l’autre, elles ne parviennent pas à récupérer ce qui leur est dû, comme les remboursements de TVA, et ont du mal à se faire payer pour leurs prestations à l’État. À cette situation douloureuse pour les sociétés implantées sur place, s’ajoute le fait que le FMI, suivant les journaux, souhaite que l’État améliore ses ressources, préconisant notamment l’arrêt des subventions à l’achat de produits pétroliers. Si l’on peut comprendre ces recommandations sur un plan strictement comptable, en revanche, il conviendrait d’avoir plus de lisibilité sur les mesures d’accompagnement au plan social.
Le Moci. Le FMI se trompe ?
M-A. N. Je ne saurai répondre oui, n’ayant pas les éléments d’appréciation. Toutefois, si ces recommandations sont exactes, certaines mesures prises par le Cameroun pour inciter l’investissement risquent d’être inefficaces. Ainsi la loi sur la promotion des investissements, dont les décrets d’application sont maintenant sortis devait s’appliquer uniformément à toutes les entreprises. Or, d’après les décrets d’application, les sociétés déjà installées en sont quasiment exclues. Pourtant, ce sont elles qui connaissent le terrain, sont le plus disposées à investir, à augmenter leurs capacités de production, à moderniser leurs outils de production et à s’étendre à d’autres domaines. Faut-il y voir une conséquence de la recommandation du FMI d’éliminer les niches fiscales ?
Le Moci. Le secteur privé déplore les coupures régulières de l’électricité. Qu’en pensez-vous, alors que le Fonds d’investissements britannique Actis vient de s’emparer du concessionnaire du service public AES Sonel ?
M-A. N. L’acquéreur Actis va sans doute permettre d’instaurer une politique d’investissement et d’apporter un meilleur management. Mais le chemin est encore long et ce n’est pas le problème de fond. Ce qui compte le plus, c’est la mise en œuvre opérationnelle des grands barrages. En permettant de réguler le cours de la rivière Sanaga, dans la région de l’est, le projet d’aménagement hydroélectrique de Lom Pangar va ainsi donner la possibilité de construire des barrages, comme Nachtigal, du côté de Yaoundé et améliorer la production.
Le Moci. Les grands projets intéressent surtout les grosses entreprises. Que peuvent faire les petites et moyennes entreprises (PME) ?
M-A. N. Pour une PME, s’installer seule ici, c’est difficile. Le mieux pour elle est d’accompagner les grandes sociétés, de s’insérer dans les grands projets, d’être leur sous-traitante. Électricité de France participant au développement de Nachtigal, ce peut-être la possibilité de contribuer aussi. La section Cameroun des CCEF s’efforce de transmettre tous les appels d’offres à son Comité national à Paris, qui lui-même les transfère à ses comités régionaux dans l’Hexagone et au réseau consulaire.
Le Moci. Du 6 au 14 décembre prochains, Yaoundé accueillera le 5e Salon international de l’entreprise de la PME et du partenariat Promote. Est-ce que cette manifestation triennale n’est pas aussi une belle occasion pour les PME de se développer au Cameroun ?
M-A. N. Au départ événement festif, aujourd’hui Promote est une manifestation qui s’est professionnalisée. On y rencontre un nombre croissant d’entreprises étrangères et de la sous-région. Mais s’agissant des sociétés locales, il y a encore une évolution nécessaire à franchir. Pour elles, Promote est devenu une institution où il faut se montrer, mais rien de plus. Elles ne sont pas persuadées que ce grand salon peut-être un lieu effectif pour réaliser des affaires. Pour autant cette année, Ubifrance et le Cercle d’affaires franco-camerounais (Cafcam) vont réaliser un effort spécifique, avec, notamment, l’organisation d’ateliers sectoriels. Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas au Cameroun de salon du niveau de Promote, à l’exception, peut-être, du Salon national du bâtiment et de l’habitat Batimaide, qui est assez sérieux. On peut encore citer Festicacao et Festicafé, les festivals du cacao et du café. Mais pour les entreprises françaises, l’intérêt y réside plutôt dans l’appui technique et les prestations intellectuelles.
Propos recueillis par François Pargny