La France comme ses partenaires d’Afrique de l’Ouest ont tout intérêt à la constitution d’un grand marché harmonisé. Le défi est considérable en termes de développement, d’échanges, de monnaie.
La France a des relations privilégiées avec l’Afrique de l’Ouest, à travers l’Histoire – la colonisation – mais aussi le franc CFA, lié au franc puis à l’euro, adopté par les membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), et, bien sûr, le commerce, plus particulièrement ses exportations dans une région où elle investit aussi considérablement dans de grands projets d’infrastructures et dans l’industrialisation.
Certes, compte tenu de la taille de son marché et de la puissance de son économie, c’est un géant anglophone, le Nigeria, pays pétrolier au demeurant, qui est le premier client de la France en Afrique de l’Ouest. Mais la Côte d’Ivoire n’est pas loin, et le Sénégal se tient derrière en retrait, complétant le podium des Etats qui absorbent le plus de marchandises hexagonales (voir carte).
Que l’on parle de l’Uemoa (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) ou plus largement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui comprend des Etats anglophones, à l’instar du Nigeria et du Ghana, l’intégration régionale est pour ces nations une nécessité autant que pour les pays partenaires. « Favoriser l’union régionale est essentiel », confirme Etienne Giros, le président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian). Et ce, pour au moins deux raisons. D’abord, l’étroitesse des marchés. Sur le sujet, Etienne Giros est très clair et met en garde. « Si on veut que les Africains développent une économie de transformation, qu’ils créent de la valeur ajoutée, alors il faut une taille de marché suffisante, capable de supporter des investissements industriels dans le ciment, le plastique, la sacherie ou le chocolat ».
Selon le dirigeant du Cian, « on ne peut rester avec des zones de chalandise limitées aux capitales ». Le problème, c’est que les barrières douanières subsistent. Les procédures de dédouanement sont longues. Et même s’il y a une volonté politique, les infrastructures sont insuffisantes.
Deuxième raison, il faut empêcher une Afrique de l’Ouest à deux vitesses, les nations de la côte et les autres, ce qui signifie « sortir les pays de l’intérieur de leur enclavement ». Par rapport aux nations de la côte, ce sont les plus susceptibles de cumuler les handicaps du continent, notamment une natalité et un chômage élevés. Mais évidemment les Etats maritimes ne sont pas à l’abri. « Car, explique Etienne Giros, si on ne fixe pas les populations, alors c’est la porte ouverte aux migrations, et on ne peut éviter, notamment, que dans les ports se constituent de nouveaux quartiers, des bidonvilles, où la sécurité est aléatoire, et que l’économie informelle se développe, plus encore la malfaisance avec ses prolongements vers l’Europe ».
On peut penser aussi que l’intégration régionale passe par une monnaie commune. Le sujet est sensible politiquement et techniquement difficile à mettre en place, ne serait-ce que parce que le géant nigérian possède un marché domestique considérable, ce qui n’est pas le cas des autres Etats de la zone, et que même si près de la moitié de sa population, soit 85 millions d’habitants, d’après la Banque mondiale, y vit avec moins de 1,90 dollar par jour, il ne ressent pas la nécessité d’un rapprochement de la monnaie, instrument de souveraineté. Le naira a sans doute encore de beaux jours devant lui, de même que le cédi au Ghana. Pour un expert africain, qui parle sous le couvert de l’anonymat, il est vraisemblable qu’il faudra vivre un moment avec trois monnaies dans un espace plus ou moins intégré : le franc CFA, le naira et le cédi. Et qu’avec les progrès de l’intégration, on pourrait en éliminer une, puis une autre pour n’en conserver qu’une finalement.
Quoi qu’il en soit, ceux qui parlent de la chute du CFA dans l’Uemoa ne sont pas légion. Pour Etienne Giros, « il est incontestable que la monnaie unique donne confiance dans la zone et aux investisseurs ». Alors, « certes, reconnaît-il, c’est une monnaie chère, parce qu’elle est liée à l’euro, mais, selon lui, les avantages sont supérieurs aux inconvénients. Et en particulier, les gouvernements ne sont pas tentés de jouer avec les dévaluations et la planche à billets ».
Toujours est-il qu’il reste bien du travail à effectuer pour développer un véritable commerce régional. Le troisième trimestre de l’année 2016, comme le précédent, a encore mis en évidence le déséquilibre du commerce extérieur de la région, avec un taux de couverture de 65,5 %. « Les importations ne sont donc toujours pas entièrement financées par les exportations et la situation s’est détériorée par rapport à la période précédente, avec une diminution de 13,3 points de pourcentage », reconnaît-on à l’Uemoa.
Quand on regarde à l’intérieur de la zone, c’est pire. Le taux des échanges commerciaux entre les huit Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine demeure faible, oscillant entre 12 et 14 %. Ainsi, si la valeur du commerce intra régional a plus que doublé entre 2003 et 2015 à 2 236 milliards de francs CFA, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) remarque que, par rapport à l’ensemble des échanges dans le monde, la part relative de la zone a chuté lourdement, en passant de 17,5 % à 14 %.
D’après la BCEAO, la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont restés les principaux fournisseurs intra-régionaux, avec respectivement 40,8 % et 20,6 % des exportations totales en 2015, alors que, l’année précédente, leurs parts respectives étaient inférieures, exactement de 36,4 % et 19,0 %. Le Mali et le Burkina Faso se sont, pour leur part, maintenus aux deux premiers rangs des importateurs intra-communautaires, avec respectivement 29,3 % et 22,2 % des approvisionnements, contre 30,1 % et 26,7 % enregistrés un an plus tôt.
Quant à répartition sectorielle, les produits pétroliers sont demeurés en première position, avec une part de plus de 44,0 % des échanges commerciaux intra-Uemoa, devançant largement « les préparations alimentaires et les produits locaux (céréales, animaux vivants), les huiles et les graisses, l’électricité ainsi que les tissus de coton », précisait la BCEAO.
En lançant officiellement le 21 février à Ouagadougou, le Projet d’appui à la compétitivité du commerce et à l’intégration régionale (Paccir), l’Uemoa cherche à surfer sur la vague d’un afro-optimisme raisonné, faisant du continent le grand marché mondial de demain. Pour développer les échanges dans la zone, le chantier est immense. Le Paccir vise ainsi à fluidifier les flux commerciaux, améliorer l’environnement des affaires, renforcer les capacités des structures régionales et nationales d’appui au commerce et développer et promouvoir les filières à fort potentiel d’exportation et de substitution aux importations. Un projet ambitieux donc, qui devrait accélérer l’insertion de l’Afrique de l’Ouest dans le concert des grandes économies.
Doté de 11 millions d’euros, le projet comprend plusieurs phases. La première d’une durée de 18 mois, avec l’appui du Centre technique international de Genève, est financée à hauteur de 3 millions d’euros par l’Union européenne dans le cadre du Programme indicatif régional de l’Afrique de l’Ouest, lui-même financé sur les ressources du 10e Fonds européen de développement (Fed). Le Paccir est aussi éligible au 11e Fed.
Parmi les mesures concrètes qui devront être mises en place, figurent la création d’un Comité régional de facilitation des échanges (CRFE), d’un mécanisme d’échan-ge électronique du certificat d’origine Uemoa, d’un système régional d’alerte aux obstacles commerciaux et la promotion des modes alternatifs de règlement des différends commerciaux (arbitrage, conciliation et médiation).
Autres projets, la mise en réseau des agences de promotion du commerce et des investissements, l’installation d’une plateforme d’intelligence économique et l’élaboration d’études sur la traçabilité des produits, avec l’imposition d’un code barre, et la création à terme, d’une bourse régionale des produits vivriers. Restent à appliquer ce programme ambitieux et à convaincre le secteur privé d’y participer.
François Pargny