Le Moci. Est-ce que l’union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) répond aux besoins des entreprises ?
Paul Derreumaux. Une union économique et monétaire implique une union douanière, une monnaie commune, une politique économique qui doit viser la convergence, une coopération dans les stratégies et les projets structurants pour le développement. On constate effectivement dans l’Uemoa un marché unique qui favorise l’activité des entreprises. La meilleure illustration en est que nombre d’entreprises étrangères ou africaines opèrent dans plusieurs États de la zone. La circulation des biens et des personnes, même s’il y a des imperfections, fonctionne bien. D’ailleurs, je note que d’autres regroupements régionaux considèrent comme une référence ce qui se passe dans l’Uemoa. C’est évidemment le cas de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (Cemac), mais aussi de l’East African Community (EAC). Un autre exemple de bonne avancée de l’Uemoa est le rapprochement progressif de la fiscalité des huit États membres. C’est vrai sur la TVA, c’est vrai pour le tarif extérieur commun (TEC) et la fiscalité de l’épargne ou des émissions obligataires. On n’est pas encore au bout du chemin, mais il y a un effort de convergence réel. Enfin, dans le cadre de l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires), même s’il n’est pas spécifique à l’Afrique de l’Ouest, il existe un régime juridique et judiciaire commun en Afrique (17 signataires, dont les 8 de l’Uemoa), qui est bien utile aux hommes d’affaires en particulier.
Le Moci. Quelles sont les imperfections ou les défauts de cette union de pays francophones en Afrique de l’Ouest ?
P. D. De vraies ambitions politiques sont affichées et des tendances lourdes adoptées au niveau régional, mais elles ne sont pas toujours traduites au niveau national. C’est très visible en matière de fiscalité ou d’évolutions juridiques comme celles de la création des sociétés d’investissement à capital fixe et variable. Les administrations nationales, par leurs comportements, remettent aussi parfois en question les décisions politiques. Tout le monde a aussi entendu parler des blocages sur les routes, des abus des douanes et des impôts, avec, parfois même, des rackets. On peut ajouter que la notion d’urgence du changement n’est pas passée dans les comportements et que cette absence ne fait que renforcer les points négatifs.
Le Moci. Pour le fonctionnement de l’Uemoa, faut-il conserver le franc CFA ?
P. D. J’y suis plutôt favorable. Certes, cette monnaie n’est pas plus parfaite que toute autre monnaie. Mais si on veut changer, il faut faire mieux. Dans ce cas, il faut être très prudent car, comme nous avons pu le voir dans le passé en Guinée ou au Zimbabwe, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous pour les pays qui reprennent leur souveraineté monétaire. L’indépendance monétaire est en effet toujours difficile même quand elle fonctionne dans un environnement plus favorable comme au Ghana et au Kenya. Un acquis essentiel à préserver devrait être dans tous les cas celui de l’union régionale. Une région aux règles unifiées est très commode pour les affaires, elle permet de régler la question de la petitesse des marchés nationaux et de trouver une main-d’œuvre qualifiée grâce à la libre circulation des personnes.
Le Moci. Est-ce que la principale faiblesse de l’Uemoa n’est pas le poids très limité de ses institutions auprès des États membres et des bailleurs de fonds ?
P. D. En fait, la coopération est active et permanente entre les organes de l’Uemoa, la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). La BOAD coopère avec la BCEAO pour faciliter l’essor des marchés financiers, les financements au profit de l’habitat, le renforcement des fonds propres des banques. Les bailleurs de fonds, comme l’Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale ou la Banque européenne d’investissement (BEI), soutiennent ces institutions régionales. L’Uemoa est l’une des institutions les plus structurées d’Afrique, même si elle semble encore faible, ce qui ne fait que refléter les difficultés générales du continent. On pourrait comparer l’Uemoa à l’Union européenne (UE). Ensemble, les chefs d’État semblent pleins de bonnes intentions et d’idées, ils veulent concrétiser une vision commune, avec un avenir qu’ils veulent meilleur. Mais de retour chez eux, ils sont confrontés aux soucis et aux pressions internes. Alors, on retranche, on remet en question, on lâche du lest.
Le Moci. Un marché commun, c’est indispensable, mais insuffisant sans spécialisation sectorielle entre les États membres. Qu’en est-il exactement. Y a-t-il des progrès, des avancées ?
P. D. On pourrait faire mieux. Le fait est que les bonnes intentions de départ sont souvent mises en attente. L’agriculture vivrière, indispensable pour conquérir l’indépendance alimentaire et nourrir une population en vive croissance, peut faire l’objet de spécialisations dans chacun des huit membres de la communauté. Prenons les produits vivriers. Au Mali, dans le périmètre de l’office du Niger, il y a un vrai potentiel pour irriguer le riz, pour le mil et le sorgho, ou encore la noix de cajou et le karité. On retrouve un peu les mêmes produits au Burkina Faso. Au Sénégal, c’est plutôt l’arachide ; au Niger, le haricot niébé dont sont très demandeurs les consommateurs du Nigeria, mais aussi les oignons. L’objectif quantitatif d’une augmentation de la production doit se faire parallèlement à la modernisation de l’agriculture et l’amélioration de sa productivité. Il y a également les cultures d’exportation : le coton au Mali, au Burkina Faso, au Bénin ; le coton, le cacao, le café ou la noix de cajou en Côte d’Ivoire. Dans le tourisme, chaque État dispose d’atouts, par exemple, le balnéaire au Sénégal et en Côte d’Ivoire, le culturel et la découverte dans le Sahel. L’Uemoa peut aider à développer, à mutualiser, à régionaliser. Dans le commerce et les transports, le Mali, le Burkina Faso sont géographiquement bien placés pour constituer des hubs tandis que le Bénin et le Niger peuvent utiliser leur proximité avec le puissant Nigeria. Le potentiel peut donc être mieux exploité, mais il est clair que chacun doit accepter éventuellement des sacrifices à côté de ses gains. Il faut aussi que l’Uemoa soit toujours plus forte et que les décisions prises au niveau régional soient plus respectées.
Propos recueillis par François Pargny