Le Moci. Quelles sont les demandes des patronats et des chefs d’entreprises auprès de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) ?
Lancina Ki. Très clairement, la principale demande qui nous est faite concerne le coût des facteurs de production et plus particulièrement dans l’énergie, ce qui nous a amené à mettre en place un programme spécifique, doté d’un instrument financier, le Fonds de développement de l’énergie. Le programme Énergie vise ainsi à rendre soutenable le coût de l’énergie d’ici 2030. De même, pour réduire le déficit d’infrastructures, nous avons un programme Infrastructures, plus particulièrement dédié aux aménagements des voies communautaires, à l’image de celles reliant les différentes capitales des États membres.
Le Moci. On est très loin de l’objectif de 25 % de commerce intra-régional fixé par l’Uemoa. Que préconisez-vous pour rendre les économies plus solidaires et complémentaires ?
L. K. La nécessité de renforcer les complémentarités des appareils de production est clairement soulignée dans le préambule du Traité. La Commission et tous les États membres fournissent des efforts dans ce sens. Vous avez deux pays en pointe en matière de diversification, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Et puis vous avez les pays sahéliens à très forte dominante d’élevage, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Les autres États, dans leurs zones qui le permettent, entreprennent des actions de développement de l’élevage. Il est clair que c’est la compétitivité qui va faire la différence. La Côte d’Ivoire fournit déjà les autres pays avec les produits de son agriculture et sa transformation agroalimentaire. Elle devrait continuer à le faire, au regard de ses immenses potentialités en la matière. Et les pays du Sahel devraient, de leur côté, être compétitifs dans leurs productions.
Mais, si les moyens le permettaient, pour y arriver, il leur faudrait des voies ferrées pour transporter à moindre coût le bétail entre Niamey et Abidjan, via Ouagadougou, entre Niamey et Dakar, via Bamako, et entre Niamey et Cotonou, via Parakou. Aujourd’hui, la concession de Bolloré va d’Abidjan à Kaya, au nord d’Ouagadougou, et la ligne n’est pas encore arrivée à Niamey. Le bétail doit être amené à pied ou des camions doivent le transporter jusqu’au rail. Les animaux sont épuisés, c’est coûteux et la compétitivité est fortement érodée.
Pour le développement du commerce intracommunautaire, l’Union, à travers la Chambre consulaire régionale, a institué une foire régionale de l’intégration, qui est une opportunité pour les opérateurs économiques de la sous-région de présenter leurs produits, de les commercialiser et de nouer des relations de partenariat. Nous sommes à la 8e édition. Il nous faut professionnaliser davantage cette foire en vue de lui permettre d’atteindre les objectifs attendus. Dans l’ensemble, je souhaite que les États poursuivent leurs efforts sans relâche tant dans la transformation des produits locaux que la réalisation des événements de promotion et de partenariats interentreprises. Les conditions seront ainsi créées pour booster le commerce intracommunautaire.
Le Moci. Soutenez-vous le projet de boucle ferroviaire ouest-africaine entre la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger et le Bénin ?
L. K. Oui, bien sûr. La réalisation de cette boucle ferroviaire va résoudre beaucoup de problèmes. C’est pourquoi, le développement des transports (toutes voies confondues) est une priorité pour les premiers responsables de l’Uemoa. L’Union soutient les efforts des États pour le développement global des infrastructures de transport et le Programme économique régional (PER) montre combien les infrastructures occupent une place importante dans la politique de développement économique. Le chemin de fer, qui demande des investissements lourds, en fait partie. Mais, de toute évidence, il nous faudra résoudre les problèmes de normes techniques pour nous adapter aux exigences modernes en la matière.
La démarche PPP est privilégiée pour développer les infrastructures de transport. Le groupe Bolloré est déjà actif dans ce secteur dans notre espace économique. Les enjeux sur cette question sont si importants que l’Union est en train d’élaborer un dispositif communautaire de promotion des PPP pour susciter un intérêt des investisseurs pour notre espace économique en matière de réalisation de projets PPP, et plus particulièrement dans les infrastructures. Ce dispositif pourra certainement accélérer la réalisation des projets en souffrance. Le Niger et le Bénin, le Mali et le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, pour ne citer que ceux-là, sont dans une dynamique de renforcer le développement du chemin de fer pour lui donner un souffle pour répondre aux attentes des acteurs. L’espoir est permis.
Le Moci. Comment voyez-vous le rapprochement entre l’Uemoa et l’autre grande zone économique régionale, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), comprenant le Nigeria et le Ghana notamment ?
L. K. Il y a déjà des rapprochements. Je peux dire que ce rapprochement était déjà dans l’intention des fondateurs de l’Uemoa, quand on lit le préambule du Traité. Un secrétariat technique conjoint est mis en place avec une rencontre périodique des premiers responsables de ces deux institutions sœurs. La synergie d’actions est désormais une réalité entre les deux institutions qui sont engagées à optimiser leurs interventions. On peut citer les domaines de l’énergie, du commerce extérieur (tarif extérieur commun), de la restructuration et de la mise à niveau de l’industrie et de la promotion de la qualité, etc.
Il y a des programmes qui étaient initialement exécutés au niveau seulement de l’Uemoa qui le sont maintenant au niveau de la Cedeao, à un niveau donc plus grand, puisque concernant plus de pays que l’Uemoa. Par exemple, le programme Qualité, le programme de Restructuration, le prix Qualité, le programme communautaire de Développement en synergie avec le PER de l’Uemoa. Quant à la monnaie, le sujet n’est pas facile et je pense, à titre personnel, que l’évolution vers une monnaie unique ouest-africaine risque de se faire par étapes, la zone franc étant bien opérationnelle pour huit États depuis des décennies. Je sais que la réflexion est bien avancée sur le sujet qui, comme vous le savez, est une question très sensible et demande des réflexions très mûries. Les investisseurs ont certainement besoin d’être rassurés sur cette question et je suis sûr que les solutions qui seront retenues répondront aux exigences du développement économique.
Propos recueillis par François Pargny