Pays côtier comme la Côte d’Ivoire, le pays de la teranga est porté par un incontestable dynamisme économique, encouragé par un environnement politique et sécuritaire stable. Les infrastructures se développent, l’économie se diversifie, mais il y a encore des obstacles à ce que Dakar devienne un grand hub régional. Il faut moderniser le port, exploiter la proximité du Mali, industrialiser, réformer l’Administration.
« En 35 ans de Sénégal, je n’ai jamais connu un tel dynamisme économique », a lancé d’emblée Bruno Paret visiblement « submergé par le travail ». La raison : un gros contrat sur les eaux de Dakar pour son entreprise de mécanique Senemeca. Au pays de la taranga (bienvenue), il n’est pas le seul à être débordé, loin s’en faut. « Il y a en ce moment un intérêt manifeste des entreprises françaises pour ce pays. Il faut dire que la croissance y est réelle, soutenue, et que les finances publiques y sont bien gérées », explique ainsi Christian Delherm, le chef du Service économique à Dakar, pour lequel ce sont des atouts de poids pour « l’implantation de sièges d’entités à vocation régionale ou plus largement continentale ». D’autant, ajoute-t-il, que « le rayon des possibilités commerciales s’est élargi depuis que le tarif extérieur commun (Tec) de l’Ueoma (l’Union économique et monétaire ouest-africaine à laquelle appartient le Sénégal avec sept autres pays francophones), a été adopté le 1er janvier 2015 par les 15 pays de la Cedeao (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, comprenant aussi des nations anglophones, comme le Ghana et surtout le Nigeria) ».
Bruno Paret, qui préside également le comité Sénégal des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), est enthousiaste, mais « submergé », répète-t-il.
Avec lui, on ne parle pas de politique. Inutile, puisque le président Macky Sall, promoteur du plan Sénégal émergent (PSE), cadre de référence pour parvenir à un Sénégal émergent à l’horizon 2035, est en place jusqu’en 2019. Il y a bien des législatives en juillet prochain, mais le pays est stable. On ne parle pas non plus de djihadisme ou d’attentats, puisque contrairement à la Côte d’Ivoire, au Burkina Faso ou encore au Mali, la patrie du poète président Léopold Serdâr Senghor a échappé aux actes terroristes. « La menace rode autour de nous, mais le risque est bien géré par les autorités », juge sobrement Bruno Paret. Pour autant, certains estiment que ce petit pays semi-aride devrait rejoindre le G5 Sahel, le groupe constitué aux lendemains de la crise malienne par la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso pour sécuriser les zones frontalières selon un modèle de coopération à la carte.
Havre de paix et dynamisme, on peut penser que Dakar a une carte à jouer pour devenir un hub en Afrique de l’Ouest, et, en particulier une plateforme dans l’Uemoa, espace intégré avec une monnaie unique, le franc CFA lié à l’euro. Et ce, malgré la puissance du géant ivoirien (35 % du produit intérieur brut/PIB de l’Uemoa), identifié dans le PSE comme le principal concurrent du Sénégal en matière d’investissements directs étrangers (IDE) et de hub logistique, aérien et de services.
« Le gouvernement est lui-même dynamique, l’économie est diversifiée avec le tourisme, l’agriculture croît, la pêche a retrouvé sa santé, aidé en cela par la baisse des prix du pétrole, des sociétés de service se portent particulièrement bien ou s’implantent, comme Sonatel dans les télécommunications, Atos dans l’ingénierie informatique, et les perspectives sont prometteuses avec des découvertes de pétrole et de gaz, à condition de ne pas tomber dans les travers d’autres pays », énumère encore le président du comité Sénégal des CCEF.
En matière d’agriculture, le PSE met en valeur « l’émergence de filières à haute valeur ajoutée (horticulture, produits de la mer, productions animales) ». Lors du récent Salon de l’agriculture à Paris, 26 entreprises portées par des groupements de femmes sont venues promouvoir des produits alimentaires et cosmétologiques à base de plantes, fruits et légumes, par exemple des huiles à base de neem, baobab ou bissap « aux vertus hydratantes, rajeunissantes, cicatrisantes », du karité originaire de Kédougou « proposé en beurre utilisable aussi bien pour la cosmétologie qu’en cuisine » ou encore le cajou en marmelade, en pate à tartiner, en jus ou en noix.
La spécialisation est un atout au grand export, mais aussi pour développer le commerce intra régional. Le Sénégal en est conscient. Au sein de l’Uemoa, d’après la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (Bceao), il a livré pour 461 milliards de francs CFA de biens dans l’Uemoa en 2015, soit environ la moitié de la Côte d’Ivoire. Les États membres de la zone ont tendance à se focaliser sur les mêmes productions. Le PSE vise ainsi « à approfondir l’intégration régionale », notamment, « par la réhabilitation et le développement du réseau d’infrastructures » et « l’incitation à la spécialisation selon les avantages comparatifs des États ».
C’est dans les infrastructures que le Sénégal réalise les meilleures performances, et c’est ce secteur qui soutient le plus aujourd’hui son dynamisme économique. C’est ainsi que la première autoroute à péage du pays file sur une distance de 50 kilomètres entre Dakar et le futur aéroport Blaise Diagne et que le projet de train régional express (TER) est sur les rails. D’un montant de 800 millions d’euros, il s’agit du plus important projet depuis l’indépendance du pays. Reliant également la capitale au nouvel aéroport, il desservira aussi la nouvelle ville de Diamniadio, un pôle urbain à 30 kilomètres de Dakar, déjà doté d’un centre de conférences international, devant accueillir 30 000 habitants, un parc industriel, une cité du savoir (université…) et un parc technologique numérique pour créer un centre d’excellence dans les TIC (technologies de l’information et la communication).
« Le gouvernement est conscient que les infrastructures ne suffisent pas. Il faut créer des activités, des industries et des services », commente Christian Delherm. Lors de la présentation du PSE à la communauté internationale en février 2014 à Paris, il avait obtenu 5,67 milliards d’euros au total d’engagements financiers des bailleurs de fonds. Une somme considérable qui devrait inciter le gouvernement à écouter le Fonds monétaire international (FMI) qui lui recommande de ne pas accorder d’exonérations fiscales complètes pour attirer les investisseurs. On s’orienterait donc, pour le pôle industriel de Diamniadio, plutôt vers des mesures de simplification administrative, de facilités logistiques et, peut-être de façon mesurée, des avantages fiscaux.
La région de Dakar se développe à grands traits. « Peut-être trop, affirme un observateur économique sous le couvert de l’anonymat, car on oublie le reste du pays qui s’enfonce. Et puis l’environnement des affaires n’est pas encore fameux ». Dans le PSE, on peut lire que « le pays enregistre depuis 2008 des contre-performances dans les classements internationaux sur l’environnement des affaires ». Une prise de conscien-ce, qui n’a pas jusqu’ici permis de modifier substantiellement les comportements. Certes, depuis deux à trois ans, le Sénégal a progressé dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale, mais pour que cette amélioration soit sensible il faudrait une ou des réformes en profondeur des services publics. Sans compter que ce grand pays de tourisme n’adapte pas ou n’applique pas toujours ou pas facilement les législations et réglementations de l’Uemoa en matière de circulation des biens, des personnes et des capitaux.
En outre, certaines infrastructures majeures sont encore insuffisantes ou manquent cruellement. Le Sénégal est doté d’une position géographique stratégique, avec le port de Dakar, idéalement placé pour servir l’hinterland. Les trois quarts du trafic de conteneurs malien transitent par ce port, mieux placé que son concurrent Abidjan en termes de coût et de distance. Pour autant, des obstacles sérieux subsistent. En l’occurrence, le port autonome de Dakar (PAD) est handicapé par sa position centrale dans la ville historique et la dégradation de ses dessertes intérieures, routes comme voies ferrées.
« Le centre-ville est complètement engorgé », affirme ainsi Philippe Lenormand, patron d’une PME de fret maritime, Archer Logistics, confrontée aussi à la lourdeur des procédures administratives au PAD, faute de dématérialisation notamment. On attend les investissements de Bolloré et de Necotrans arrivés en 2015 pour gérer respectivement le roulier et le vrac et qui ont mené une réorganisation complète des terminaux. Plusieurs ports sont encore à l’étude, notamment à Bargny, sur la côte sud de la presqu’île du Cap-Vert, à une trentaine de kilomètres de Dakar. « Une autre solution serait de créer un port sec à l’extérieur de la zone franche de la capitale pour que les conteneurs pour le Mali soient traités sous douane, ce qui, selon Philippe Lenormand, permettrait d’éviter le passage des camions maliens sur le port ».
Une option d’autant plus à prendre au sérieux que la liaison ferroviaire Dakar-Bamako demeure un serpent de mer. Plusieurs investisseurs seraient intéressés, dont Bolloré, mais, en fait, plusieurs projets ont été évoqués, sans qu’aucun ne débouche à ce jour. Il pourrait s’agir d’une nouvelle ligne à écartement standard au départ de Dakar, qui se terminerait à Tambacounda, la plus grande ville du Sénégal oriental à 470 kilomètres de la capitale, où serait créé un port sec. Autre possibilité, la rénovation partielle des tronçons les plus dégradés entre les deux capitales, Dakar et Bamako.
François Pargny
Electricité :
le pays de la teranga a retrouvé la lumière
En matière d’infrastructures, le moins surprenant n’est pas la transformation totale de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec), une entreprise publique « aux abonnés absents », pourrait-on dire, tant sa gestion a été calamiteuse pendant des années, ses coupures et ses délestages « monnaie courante ». On pensait que la lumière ne viendrait jamais, mais, sous la férule de son nouveau directeur général depuis mi 2015, Makhtar Cissé, la Sénélec a retrouvé son lustre. Servi par la baisse des prix du pétrole, l’ancien directeur général des Douanes et ministre du Budget a pu présenter un bilan financier positif et annuler la subvention publique qui était jusqu’alors versée à la Sénelec pour l’achat de carburant.
Du coup, la société nationale est parvenue à répondre à la demande d’électricité, qui est en forte progression. Selon Christian Delherm, chef du Service économique à Dakar, toute une série de grands projets ont été menés, y compris dans les énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque (trois usines + deux projets). De 600 mégawatts (MW) en 2015 de capacité installée, le pays est passé à 900 MW et le gigawatt devrait être dépassé en 2018. En 2015, outre 40 MW d’électricité importée de Mauritanie, le Sénégal disposait de la production de la centrale hydroélectrique de Félou (15 MW). Et en 2016, ont été mises en service les centrales thermiques duales (fuel/gaz) de Tobène (96 MW) et de Cap des Biches (83 MW) et trois centrales solaires (72 MW), deux par des entreprises françaises à Bokhol (Greenwish Partners et Vinci), Santhiou Mékhé (Meridiam et Engie) et une à Malicounda.
D’après Christian Delherm, « cette capacité va continuer à progresser en 2017 avec la mise en service de deux autres centrales solaires (50 MW), de la mise en œuvre du programme Scaling Solar de la SFI (Société financière internationale) pour 100 MW de solaire, du lancement des travaux d’une production éolienne de trois phases de 50 MW chacune, soit un total de 150 MW (Sarreole), et à un horizon 2018/2019, l’interconnexion avec la Guinée pour l’importation de l’électricité du barrage de Kaleta et de celui de Sanbangalou et de la mise en service d’une centrale au charbon de 125 MW à Sendou ».
La situation est si florissante que pour la première fois le président de la République, au début de l’année, a décidé une baisse globale de 10 % la facture du consommateur. Pour autant, tout n’est pas réglé, les coupures n’ont pas totalement disparues, en raison de la vétusté de certains réseaux, en particulier dans la région de Dakar, qui concentre les trois quarts de l’activité économique du pays. D’où les chantiers qui sont lancés aujourd’hui pour renforcer et développer les réseaux de transport et de distribution.