Les entreprises françaises ont du souci à se faire, et les organisateurs de salons avec eux. Les prochains mois risquent de leur réserver des surprises. Qui peut prédire ce que deviendra le Royaume-Uni ? Qu’en sera-t-il du bras de fer entre Washington et Pékin ? Le pouvoir en place aura-t-il raison des contestations populaires à Hong Kong et en Algérie ? Entreprises et professionnels de l’évènement doivent être attentifs, prudents aussi, mais sans perdre de vue leur intérêt. Le risque serait de laisser leurs concurrents prendre la place.
Incertitudes au Royaume-Uni, en raison du Brexit, tensions économiques et sociales au Brésil, manifestations politiques à Hong Kong et en Algérie, guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis… Si leur activité est jusqu’ici satisfaisante, les professionnels des foires et salons ont toutes les raisons de s’inquiéter.
Si les évènements spécialisés composent des îlots de stabilité, leur rentabilité est remise en cause dans un monde où les modèles économiques ne cessent de changer, les entreprises serrent leurs budgets au maximum depuis la crise de 2008, la révolution technologique bouscule les us et coutumes. Trouver sa place ou la garder est la grande hantise des organisateurs des manifestations professionnelles, qui n’ont de cesse de s’adapter. Et voilà maintenant que les meilleurs clients pourraient manquer.
Pour un géant comme le salon du textile et du tissu Première Vision, le Brexit s’est fait sentir, lors de la dernière édition, du 17 au 19 septembre à Paris Nord Villepinte. Cette manifestation abritait, pourtant, la bagatelle de 2 056 exposants, autour de thèmes mobilisateurs : mode éco responsable, digitalisation, lien entre sport et mode, soutien à l’innovation et la jeune création.
En effet, cette année la légère baisse de 1,89 % de la fréquentation par rapport à septembre 2018 est imputable au Royaume-Uni et, de façon générale, à l’érosion de la consommation. Alors que 73 % des visiteurs étaient européens, selon les organisateurs, la fréquentation, par ordre d’importance des pays représentés, a accusé un léger fléchissement s’agissant de la France (30 % de la fréquentation), est restée stable pour l’Italie (8 %), « en baisse marquée » pour le Royaume-Uni, qui complétait le podium devant l’Espagne (5 %), quatrième.
Quelles que soit leur taille et leur périodicité, tous les grands salons sont touchés par les mouvements tectoniques d’un monde politique toujours plus surprenant, souvent inquiétant. Autre évènement de taille mondiale faisant la loi dans le domaine du commerce de détail, EuroShop, organisé tous les trois ans à Düsseldorf, craint une évaporation de la fréquentation lors de sa prochaine édition (16-20 février 2020).
Le danger ne viendrait pas seulement d’outre-manche, a répondu Ulrich Spaan, Senior vice president de l’Institut EHI Retail, à Cologne, interrogé sur ce point par Le Moci, lors d’une conférence de présentation d’EuroShop 2020, le 24 septembre dernier à Paris. À côté du Royaume-Uni, le dirigeant allemand se soucie aussi de la situation économique et politique sur le continent américain.
« Le Brexit, on va le sentir », affirmait d’emblé ce spécialiste de la distribution, dans un excellent français. Propos corroborés par Elke Moebius, la directrice d’EuroShop, qui notait que certains exposants traditionnels britanniques avaient déjà décidé de ne pas se déplacer à Düsseldorf l’an prochain.
Interrogé aussi par Le Moci sur l’impact prévisible de la guerre Chine-Etats-Unis, Ulrich Spann s’est montré plus réservé. « Je ne sais pas, mais j’espère que non, car les Américains sont très importants pour EuroShop », déclarait-il.
Dans un salon qui comptait près de 114 000 visiteurs en 2017, dont 76 % d’internationaux, la santé de la planète est évidemment un facteur déterminant. Surtout que la fréquentation est relativement homogène entre les grands pays : Pays-Bas, 10 % des visiteurs hors Allemagne, Italie, 8 %, France et Royaume-Uni, à égalité à 6 %. Les États-Unis occupaient la neuvième place, avec 3 %. L’ensemble de l’Asie était à 8 %. Ulrich Spaan pointait le doigt sur un autre État américain, le Brésil, selon lui, en proie à « de très fortes tensions ». Pour lui, « c’est un pays où ça va mal » et EuroShop pourrait souffrir d’une certaine désaffection de la part des professionnels brésiliens.
Sans parler d’attentisme, les entreprises sont devenues prudentes. Leur recentrage, déjà perceptible depuis dix bonnes années sur les évènements majeurs, risque de s’accroître. Autant dire que pour les organismes spécialisés dans le pilotage des PME, TPE et ETI dans les salons étrangers, les programmes qu’ils proposent doivent être pesés, quitte à revoir le contenu en cours d’année. Cela signifie qu’ils peuvent aussi hésiter à prendre des risques.
« Il faut être souple et flexible dans la tenue de nos opérations », soutient Frédéric Rossi, directeur général délégué chez Business France. « Il faut anticiper et se monter réactif, ce qui signifie être en veille constante », renchérit Michelle Grosset, secrétaire générale de l’Adepta (Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires).
« Aujourd’hui, explique Frédéric Rossi, il ne faut pas se le cacher, la première préoccupation des sociétés françaises, c’est le Brexit, ce qui demande de notre part une coordination très forte avec tous les acteurs en amont pour monter des opérations dans deux directions : les secteurs tricolores qui pourraient être les plus touchés et les ouvertures que pourrait créer le retrait de certaines entreprises du Royaume-Uni ».
Du coup, l’agence publique, qui privilégiait l’accompagnement individuel, va « rebooster » l’action collective. Si bien que l’an prochain 25 délégations d’entreprises sont d’ores et déjà prévues au Royaume-Uni, au lieu de 10 cette année.
S’agissant de Hong Kong, « bien sûr, il faut rester attentif, mais, ce que nous constatons pour l’instant, c’est que les Hongkongais honorent leurs rendez-vous, cherchent et signent des contrats, ce qui est très positif », se félicite Frédéric Rossi. Pour autant, Business France demeure mobilisé dans la perspective des grands salons des vins et spiritueux Vinexpo Hong Kong (26-28 mai) et Hong Kong International Wine et Spirits Fair (5-7 novembre).
L’Algérie est un cas intéressant, car ce pays fait l’objet d’un commerce courant conséquent de la part des PME de l’Hexagone. Business France a, pour sa part, prévu de monter un pavillon France sur trois salons : SIEE Pollutec (environnement, 8-11 juin, à Oran), Sipsa Filaha (solutions pour l’élevage, 6-8 octobre, Alger), SITP (travaux publics, 1er-30 novembre, Alger). « Pour ces salons, il y a un volant de boîtes récurrentes, ce qui justifie notre présence, même si à côté y amener de nouvelles entreprises paraît compliqué », souligne Frédéric Rossi.
« En Algérie, nos collègues européens restent, nous aussi, même si c’est avec un peu moins de surface et un peu moins d’entreprises », indique, de son côté, Michelle Grosset. L’Adepta prévoit de monter un Pavillon France à Djazagro, le Salon de l’équipement agricole, des process et de l’emballage, du 6 au 9 avril, à Alger.
Preuve de l’importance de l’Algérie pour les entreprises françaises, le Comité français de promotion des salons français Promosalons s’est diversifié en contribuant à l’essor de manifestations organisées dans cet État du Maghreb. « Quand Equip Auto Algeria a rencontré des problèmes de rentabilité, nous avons décidé de le reprendre. Aujourd’hui, c’est Promosalons Algérie qui l’organise et nous versons des royalties au propriétaire de la marque », précise Corinne Moreau, la directrice générale de Promosalons.
Le Salon de l’après-vente et de la mobilité automobile s’est tenu du 11 au 14 mars à Alger, alors que les troubles politiques agitaient déjà le pays. La fréquentation n’a sans doute pas atteint les 10 300 visiteurs de l’édition précédente, mais les professionnels des autres nations maghrébines étaient présents. S’il y a eu une affluence moindre, cette diminution viendrait plutôt de visiteurs des régions intérieures.
Promosalons connaît bien également Djazagro, puisque le français Comexposium, qui en est l’organisateur, lui a confié la régie commerciale et promotionnelle à Alger. Le fait que l’association française y dispose d’un bureau est un atout, car le marché demeure compliqué pour au moins trois raisons : persistance de lourdeurs administratives et réglementaires, importance de la connaissance des codes culturels, obligation de constituer des filiales, répondant à la règle du 49/51 (51 % d’un projet ou d’une société détenus par des intérêts locaux).
Cette dernière règle est très contestée par les investisseurs internationaux et les observateurs économiques. Le gouvernement actuel souhaiterait la supprimer. Sans doute une bonne nouvelle pour les organisateurs de salons en particulier. À condition que l’Algérie retrouve les chemins de la stabilité politique.
François Pargny
2019, une année contrastée pour les affaires
Après une année 2018 positive, 2019 sera moins favorable pour la filière des expositions, d’après le dernier Baromètre mondial de l’Union des foires internationales (Ufi), achevé en juillet dernier auprès de 322 entreprises de 57 pays et régions. Le ralentissement économique est la première raison évoquée. Les incertitudes politiques et économiques et la concurrence accrue sont aussi mentionnées.
En fait, s’agissant de 2019, le nombre de sociétés à annoncer une hausse de leurs chiffres d’affaires a baissé au premier semestre et devrait remonter au second semestre. De façon concrète, par région, par rapport au deuxième semestre 2018, cette proportion est passée de 85 % à moins de 70 % entre janvier et juin 2019 en Asie Pacifique et en Europe, de 60 à 55 % en Amérique et de moins de 80 à plus de 30 % au Moyen-Orient et en Afrique (Mena).
Ces chiffres devraient encore progresser l’an prochain, sauf en Asie-Pacifique. La majorité des sociétés dans huit pays déclarent des progressions sur les trois périodes : Autriche, Brésil, Italie, Japon, Afrique du Sud, Thaïlande, Royaume-Uni, Etats-Unis.
« En ce qui concerne le résultat opérationnel, 80% des entreprises ont maintenu un bon niveau de performance en 2018 et plus de 40 % des entreprises de toutes les régions ont déclaré une augmentation de plus de 10% par rapport à 2017. Cependant, les perspectives pour 2019 sont actuellement plus faibles », indique l’Ufi. Ainsi, cette année, seule une majorité d’entreprises européennes devrait bénéficier d’une hausse de leurs profits supérieurs à 10 %. Par pays, on retrouve, hors Europe, l’Inde et les Etats-Unis.
Chiffres clés (2018)
1/ Le marché mondial
32 000 foires et salons
303 millions de visiteurs
4,5 millions d’exposants
138 millions de m2 d’exposition loués
Les retombées économiques
115,9 milliards d’euros de dépenses directes
68,7 milliards d’euros de contribution au PIB
3 343 euros de dépenses directes par m2 d’exposition
1,3 million d’emplois
L’impact économique global
275,1 milliards d’euros de retombées économiques*
167 milliards d’euros de contribution au PIB
7 900 euros de retombées économiques par m2 d’exposition
3,2 millions d’emplois
* dépenses liées aux prestations de services (comptabilité, services juridiques, etc.) et dépenses des employés (transport…)
Source : Etude Oxford Economics, Ufi, avril 2019
2/ La France
1 200 foires et salons
230 000 exposants
Salons professionnels
370 salons
99 000 exposants
4,5 millions de visites
23,5 milliards d’euros de transaction
Participation étrangère : 45 %
• dont 22 % (45 000) dans les salons de la mode, du textile et des accessoires
• dont 13,5 % d’Italie, 10,7 % de Chine, 8,7 % du Royaume-Uni, 7,1 % d’Allemagne, 6,6 % d’Espagne, 5,1 % de Belgique, 4 % de Turquie, 3,6 % des États-Unis, 3,5 % des Pays-Bas et 2,4 % de l’Inde
Visiteurs étrangers : 30 %, soit 1,1 million
• dont 28 % dans les salons de la mode, du textile et des accessoires
• dont 9,3 % Italie, 9,1 % Royaume-Uni, 7,8 % Belgique, 6,5 % Allemagne, 6,5 % Espagne, 4,6 % Pays-Bas, 4,2 % États-Unis, 3,5 % Chine, Suisse 3,5 %, 2,7 % Turquie
Salons grand public et mixtes
750 salons
101 000 exposants
12,5 millions de visiteurs
Foires-expositions
80 foires
30 000 exposants
6 millions de visiteurs
Source : Unimev – Event Data Book édition 2019