Ces entreprises qui défendent leurs créations : Sandales K Jacques. «14 de nos modèles sont contrefaits par une société française »
La maison familiale K Jacques fabrique depuis 1933 des spartiates tropéziennes, entièrement à la main, avec du matériau de qualité.
Ces sandales en cuir, créées en 1920 dans le village varois de St-Tropez et inspirées de l’Antiquité, étaient destinées aux pêcheurs pour leur bonne résistance à l’eau et au sel. Les sandales sont devenues célèbres quand des stars et écrivains ont commencé à les porter. La PME réalise un chiffre d’affaires annuel de 4,9 millions d’euros, dont 60 à 70 % à l’international. Pour vendre ses produits, l’entreprise fait de la vente en ligne et dispose d’un show room à Milan, destiné au marché européen, et d’un à New York pour la clientèle outre-Atlantique.
« Michelle Obama a commandé un modèle sur mesure dans notre agence de Chicago », raconte avec fierté Bernard Keklikian, P-dg de K Jacques.
La PME ne produit que des sandales (environ 60 000 par an) et n’a que des collections été. Cette niche est malgré tout victime de contrefaçon, de la part d’une entreprise française en particulier. Bernard Keklikian explique que la marque « Les Tropéziennes par M. Belarbi » nuit fortement à leur image : ce sont des sandales de gamme inférieure importées d’Inde, qui bénéficient de l’image du nom « Tropézienne », en référence à la sandale de St-Tropez et au modèle de K Jacques.
Bernard Keklikian a entamé une action en justice pour concurrence déloyale contre cette marque et attend beaucoup de ce procès, dont l’issue sera connue en septembre. « 14 de nos modèles sont contrefaits. La tropézienne n’est pas une marque, c’est un nom générique de sandale, un terme inscrit dans le dictionnaire de la mode, explique-t-il. C’est comme si l’on voulait s’approprier le terme “pizza” ! Cela prête à confusion pour le consommateur. C’est de la tromperie, car le client croit acheter nos modèles alors que c’est du made in India ! », s’indigne-t-il.
Jusqu’à il y a deux ans, K Jacques ne faisait aucun dépôt de brevet. « Nous n’étions pas copiés. Mais maintenant nous devons systématiquement protéger nos modèles ou combinaisons de couleurs. »
K Jacques a rejoint l’Unifab l’année dernière. « Au moment où nous avons démarré la procédure contre les Tropéziennes, précise Bernard Keklikian. Cela nous apporte un soutien moral en tant que membre. Nous nous intéressons à la contrefaçon maintenant. Et depuis, nous sommes très sollicités par la télévision. Je suis surpris de cet intérêt ! »
A. C.
Ces entreprises qui défendent leurs créations : Coutellerie de Laguiole. « Le couteau Laguiole n’est pas une marque déposée »
Quand on l’interroge sur la contrefaçon, le directeur général de la coutellerie de Laguiole, Christophe Durand, répond qu’on ne peut pas utiliser ce terme, car Laguiole n’est pas une marque.
« La marque Laguiole n’est pas déposée, l’abeille forgée caractéristique non plus. Le modèle a été créé il y a 150 ans mais n’a jamais été breveté. Or, au bout de vingt ans, il tombe dans le domaine public et devient impossible à protéger. Donc tout le monde a le droit d’en faire ! N’importe qui peut marquer Laguiole sur n’importe quoi. »
Et il ne peut pas être protégé par un label du type « Appellation d’origine contrôlée » (AOC), car celui-ci ne concerne que les produits alimentaires.
L’entreprise familiale, qui emploie 30 personnes, existe depuis 25 ans dans le village de Laguiole (Aubrac). En 2010, la société a réalisé un chiffre d’affaires de 2,3 millions d’euros, dont 10 % à l’export, principalement en Europe (Allemagne, Suisse, Belgique). Elle fabrique de façon totalement artisanale des modèles divers de couteaux Laguiole avec une forge d’acier Damas, une sculpture des manches, et des abeilles forgées dans la masse.
Christophe Durand regrette que l’image de marque des vrais couteaux soit ternie, mais aussi que cela détruise les emplois locaux. « Au Pakistan, en Chine, les couteaux sont fabriqués industriellement et c’est du bas de gamme, du jetable. Même en France, certains en fabriquent des faux ! » Et, dans le village originel de l’Aubrac, des revendeurs n’hésitent pas à proposer des modèles de ce type. Alors comment reconnaître le bon ? « C’est très difficile, il faut être un passionné. Il y a quelque temps, on donnait comme référence le fait qu’un couteau chinois avait le rivet excentré. » Qu’à cela ne tienne, le défaut a été corrigé, « les contrefaçons évoluent aussi ! »
Seule assurance d’authenticité, à l’achat, le couteau doit être délivré avec un bon d’origine et de garantie sur lequel doit figurer le nom, l’adresse et le numéro de téléphone du fabricant. Le conseil de Christophe Durand : visiter l’atelier et ensuite acheter. Il faut exiger une traçabilité. Ainsi, le produit pourra être réparé ou remplacé en cas de problème.
La PME a rejoint l’Union des fabricants (Unifab) il y a deux mois. « Pour se positionner sur notre volonté d’en parler. Car les faux couteaux sont dangereux pour notre avenir, mais aussi pour la santé des clients. »
Avec l’Unifab et l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), la Coutellerie organise pour la septième année l’exposition « Contrefaçon, sans façon ! » du 11 juillet au 30 septembre à Laguiole, afin de sensibiliser les consommateurs.
A. C.
Ces entreprises qui défendent leurs créations : Parfums Millennium Fragrances « Nous luttons contre la contrefaçon dans les salons professionnels »
La PME française Millennium Fragrances fabrique et distribue des parfums haut de gamme pour enfants. La problématique, pour une petite entreprise comme elle, c’est de bien déposer la marque sur tous les marchés exploités.
« Mais cela coûte cher, précise Frédéric Beaulieu, directeur général de Millennium Fragrances. Nous n’avons pas les moyens ou même on oublie. Nous avons zappé le Mexique, alors que c’était notre plus gros marché… un contrefacteur l’a exploité et il a fallu se battre. Il nous en a coûté 50 000 euros pour retrouver notre droit sur ce territoire, contre quelques centaines d’euros pour déposer la marque… »
Avec un effectif de 20 salariés, dont 6 dédiés à l’export, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 4,5 millions d’euros en 2010, dont 60 % à l’export, principalement dans les pays européens « à mentalité francophone » comme la Belgique, le Portugal, ou l’Espagne. Son portefeuille de distribution internationale est constitué des marques Kaloo Parfums, Parfums Corolle, et Parfums Clayeux.
Pour Frédéric Beaulieu, le Moyen-Orient est également un marché important, mais surpassé par l’Amérique latine, où les consommateurs sont « très friands de produits pour enfants ». Et en Asie, la Chine est un « gros client » mais aussi « un gros contrefacteur ». « Nous nous battons depuis pas mal de temps en tant que membre actif de l’Unifab. Les premières contrefaçons ont été trouvées sur le marché mexicain en 2004. Un parfum Baloo, copié à 100 % sur notre marque Kaloo : même design, même produit, mais sous un autre nom », explique Frédéric Beaulieu. Il a fallu lutter pendant trois ans contre cette concurrence déloyale pour récupérer le droit d’utiliser la marque Kaloo.
Depuis, la contrefaçon s’est beaucoup développée en Asie, notamment en Chine. « Rien qu’en allant sur le site des grossistes comme Alibaba, on en trouve. » Et pour stopper cette vague, « il faut des moyens, contacter des juristes chinois, l’Unifab en Chine. C’est lourd et compliqué pour une PME. »
Alors Millennium Fragrances agit à son niveau en aidant la lutte anticontrefaçon : « Comme nous n’avons pas les moyens d’être sur tous les fronts, nous faisons du lobbying pour essayer d’apporter des solutions. Je vais dans les salons professionnels mondiaux. Par exemple, en 2007, le salon international Cosmoprof de Bologne (Italie) a mis en place un bureau de plaintes pour la contrefaçon, grâce à mon impulsion, explique Frédéric Beaulieu. Les exposants en ont assez de voir des vendeurs à la sauvette et des fournisseurs asiatiques contrefacteurs sur place. » Il souhaite faire en sorte que chaque salon professionnel ait son bureau de plaintes afin de rendre ces foires « propres ». Encore faudrait-il que les organisateurs de salons se sentent concernés.
La PME s’attelle en outre à la contrefaçon de flacons de parfums. « Il y a peu de verriers dans le monde et beaucoup de verriers chinois font de la contrefaçon. Pourquoi ne pas mener une action contre eux ? » Seulement cela implique de faire un audit. C’est pourquoi Frédéric Beaulieu espère recevoir le soutien de son syndicat professionnel de la parfumerie.
A. C.
Ces entreprises qui défendent leurs créations : Verrerie Arc International. « Le département propriété industrielle a été renforcé »
« Nos forces commerciales, qui sont au contact des marchés internationaux, trouvent la contrefaçon surtout en Chine et en Inde. Mais aussi au Moyen-Orient (Égypte, Arabie Saoudite, Iran) et dans les pays de l’Est (Russie) », signale Thomas Striffling, directeur du département propriété industrielle d’Arc International.
Ce sont notamment les décors d’assiettes et les formes qui sont copiés. L’entreprise a mis en place une stratégie de dépôt systématique de ses modèles. « Nous nous efforçons de traiter l’information le plus rapidement possible et sensibilisons les collaborateurs de la société. Il faut réagir vite », souligne Thomas Striffling. Le verrier mondial Arc International, originaire d’Arques, dans le Pas-de-Calais, conçoit des produits d’arts de la table destinés aux particuliers et aux professionnels. Ce fleuron industriel français distribue ses produits dans plus de 160 pays, par le biais de grossistes ayant un réseau de distributeurs. L’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros en 2010, dont 51 % en Europe. Elle est présente sur les cinq continents à travers cinq sites de production (deux en France, États-Unis, Chine, Émirats Arabes Unis), des filiales de distribution (France, États-Unis, Espagne, Australie, Mexique, Brésil, Japon, Afrique du Sud) et des bureaux de liaison.
Cette présence mondiale importante signifie aussi que les risques sont multipliés. « L’enjeu de la protection des droits de propriété intellectuelle est devenu critique pour Arc International, dont le savoir-faire industriel et marketing est pionnier dans ce secteur d’activité », rappelle le groupe. Il était devenu « indispensable de renforcer les moyens de défense mis en œuvre pour protéger les créations du groupe ». Pour cela, Arc International a renforcé en janvier 2011, au sein de sa direction juridique, le département propriété industrielle, confié au nouveau venu Thomas Striffling.
L’entreprise a rejoint l’Unifab en début de cette année, « pour bénéficier de l’expertise du réseau et d’un échange de bonne pratiques, de tendances sur un secteur industriel dans un pays donné. » Des actions de lobbying sont aussi possibles car l’Unifab invite des délégations de douaniers ou de magistrats en charge de veille intellectuelle économique.
Arc International a d’ailleurs des procédures en cours en Chine pour lesquelles il a déjà obtenu des dommages et intérêts. Même s’ils ne sont « jamais aussi conséquents qu’on l’espère », nuance Thomas Striffling. Mais cela a une fonction dissuasive, en s’attaquant aux bénéfices des contrefacteurs. Ces procédures sont coûteuses, nécessitent une surveillance mondiale, mais « c’est le prix à payer », estime-t-il. De plus, une hiérarchisation des cibles est indispensable. L’entreprise vise en premier lieu la Chine et le Moyen-Orient, principaux lieux de contrefaçon.
A. C.
Ces entreprises qui défendent leurs créations : Legrand. « Nous avons mis en place un réseau d’enquêteurs en Chine »
Même Legrand, numéro un mondial de l’appareillage électrique et du cheminement de câbles, est une cible pour les contrefacteurs.
Selon François Sarton, responsable de la propriété intellectuelle du groupe, « il s’agit pour un quart environ de disjoncteurs, et pour trois quarts d’interrupteurs ainsi que prises de courant. D’une façon générale, on constate également une tendance à reproduire des séries d’appareillages datant d’une quinzaine d’années dont la production a été arrêtée il y a longtemps ».
Le groupe limougeaud a détecté des contrefaçons à l’importation en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient. Souvent, c’est le prix anormal qui fait suspecter la contrefaçon : « La douane algérienne a détecté des disjoncteurs de branchement en provenance de Chine car le prix déclaré était de 2 euros les 12 alors que le prix unitaire du produit original est plutôt de 20 euros. » Implanté dans 180 pays, le groupe a pu constater que les produits copiés proviennent quasi exclusivement de Chine. Plus précisément, de « Whenzhou et ses environs ainsi que de la petite ville de Yiwu, située à 300 km de là, d’où partent les marchandises », observe François Sarton. Il note que « les contrefacteurs y sont très concentrés, ce qui facilite notre tâche. Ils n’ont quasiment pas essaimé ailleurs en Chine ». À une exception près, à savoir une véritable usine qui a copié des disjoncteurs de branchement, les contrefaçons se font toutes dans des petits ateliers, souvent spécialisés dans une seule tâche, et en quantité limitée. Il y a deux bonnes raisons à cela. « D’une part, la perte économique du contrefacteur en cas de saisie est limitée. D’autre part, la valeur de la saisie, calculée sur le prix sortie d’usine du contrefacteur, est généralement inférieure au seuil permettant d’engager des actions pénales », remarque François Sarton. Quant au contrefacteur, les seules sanctions qu’il encourt sont la fermeture de son local s’il est illégal, la saisie et la destruction de la marchandise, et une amende de quelques milliers d’euros.
En Chine, où Legrand possède huit usines, il a mis sur pied un réseau d’enquêteurs. En outre, l’entreprise a rejoint un groupe de constructeurs concurrents, mais qui sont mobilisés contre la contrefaçon de leurs produits. L’action en groupe a trois avantages : « Nous sommes plus nombreux, ce qui réduit les coûts et augmente notre force, détaille François Sarton, et c’est presque toujours efficace car, même si nos produits ne sont pas concernés lors d’une saisie, il n’est pas rare que les enquêteurs découvrent ceux d’un de nos partenaires. » Depuis 2006, Legrand a fait saisir 2 millions de produits contrefaits en Chine. Enfin, il veille aussi sur Internet et a fait fermer 600 pages.
J.-F. T.