Nation produisant traditionnellement des vins d’assemblage, la France a su se frayer en moins de 20 ans une place sur le marché international des cépages. Mais cette ascension s’est ralentie ces dernières années. Les professionnels ont des pistes pour lui donner un nouveau souffle.
Exporter des vins par l’entrée « cépage » et non par l’entrée « terroir » est une façon de se mettre à la portée de pays importateurs qui se perdent dans le système français des indications géographiques d’origine. La notion de terroirs est surtout une particularité de la France et de l’Italie. Lorsque le vignoble du Languedoc était en pleine déconfiture, au milieu des années 1970, passant de 400 000 hectares à 240 000, des leaders, comme Jacques Gravegeal, président de l’identification géographique protégée (IGP) Pays d’Oc, revenant de Californie, ont fait un pari pour faire revivre le Languedoc viticole : construire une offre de vins sur le critère des cépages, et non plus sur le critère du terroir, pour l’export. Dans cette optique, on vend du vin provenant de variétés de vignes qui s’appellent Merlot, Cabernet-Sauvignon, Grenache, Syrah, Chardonnay, Pinot Noir ou Gris, Riesling, Malbec, etc.
L’exportation de vins du Pays d’Oc s’est rapidement développée. Partie de rien en 1975, elle a atteint 1,7 million d’hectolitres (Mhl) en 2000, et a dépassé les 2 Mhl deux ans plus tard, pour culminer à 2,4 Mhl en 2014. Maintenant, « quand on parle de vins de cépage, on parle du Pays d’Oc », affirme Jacques Gravegeal. En l’absence de statistiques nationales, l‘IGP revendique 94 % des rouges produits en France en vins de cépages, 86 % des blancs et 6 % des rosés. Mêmes proportions pour l’export, selon le service économique de l’IGP. L’IGP du Pays d’Oc est le 5e ou 6e exportateur mondial de vins de cépage, selon les années.
Mais depuis 2015, la progression marque le pas, en volume du moins. « Nous rencontrons des difficultés au Royaume-Uni et en Allemagne », d’où la stagnation des volumes exportés, mais « nous assistons à une valorisation de l’offre aux États-Unis, au Canada, au Japon, à Hong Kong et à Singapour », signale Laure Lacombe, du service économique.
Cela n’empêche pas la plupart des vignobles français de mettre en avant plus ou moins les cépages à l’exportation, mais de façon pragmatique : le Val de Loire, les Côtes du Rhône, l’Alsace, et même le Bordeaux et le Bourgogne. L’appellation de Cahors a décidé d’associer « Malbec » (le cépage) et « Cahors » (le terroir) dans sa communication à l’export. « Le marché mondial ne se fait pas par segmentations administratives », précise Jérôme Agostini, directeur du Cniv, le Comité national des interprofessions viticoles, qui rassemble tous les bassins de production de vin. « C’est ni le tout appellation ni le tout cépage », résume-t-on à FranceAgriMer, l’établissement public de l’agriculture et de la pêche. À chaque entreprise sa stratégie propre dans cette plage de pragmatisme.
Ainsi, le négociant Grands Vins Gironde adapte sa segmentation : « Nous mettons en avant le cépage au Royaume-Uni et aux États-Unis… mais ailleurs beaucoup moins, et en Chine pas tellement », indique Catherine Émine, directrice du marketing. La Grande Ragotière, près de Nantes, société constituée par plusieurs associés viticulteurs d’IGP du Val de Loire et d’AOC de Muscadet, exporte les deux-tiers de sa production, soit 450 000 bouteilles par an, dont les deux-tiers en vins de cépage. « Je présente d’abord la provenance, et après le cépage », indique Amélie Dugué, cogérante. Les monopoles d’État des pays nordiques comme le Canada et les pays scandinaves achètent par appels d’offres, mais prennent surtout en considération la provenance, témoigne-t-elle. L’innovation utile à l’export, c’est, à la vigne, la réduction des pesticides en laissant des bandes enherbées entre les plants, et, au chai, le travail de la fraîcheur du vin de Loire en vinification, selon elle.
L’Alsace quant à elle est un cas particulier, car le cépage se confond avec le terroir. La segmentation par le cépage peut lui être profitable, quand on sait que le vin de Riesling se vend bien au Japon parce que les Japonais mangent beaucoup de plats à base de poisson. Et qu’en Chine et au Vietnam le Gewurztraminer convient à l’alimentation épicée.
Le groupe de négoce et d’export Castel constate surtout, sur le marché chinois, une fascination pour les marques et les médailles, plus que pour le cépage. Le nom de Castel y est une référence, y compris sa marque Roche-Mazet. « La marque est un repère. Tous nos produits sont scellés pour qu’ils ne soient pas copiés. C’est aussi une réassurance pour le consommateur chinois », indique le porte-parole de Castel. Le prix élevé peut être aussi un bon argument de vente en Chine…
Sur d’autres destinations, Castel signale « de bons résultats » en Sauvignon sur les Dom-Tom, l’Afrique francophone, la Lettonie et le Royaume-Uni ; en Cabernet-Sauvignon au Tchad, Cameroun ; en merlot en République tchèque ; et enfin en Chardonnay en Australie et Europe de l’Est.
Même constat de l’AOC Saint Chinian (Languedoc) à propos du marché chinois : « La notoriété, c’est la marque », témoigne Henri Miquel, président de l’appellation. Chez lui, 70 % de ses exportations se font sous la segmentation des cépages. « Le Saint Chinian ne s’arrache pas dans le monde. Notre entrée aux États-Unis se fait en partie par le cépage, en partie par les relations que nous nouons là-bas ». L’AOC a fait aussi le choix, pour se différencier, d’organiser une sélection sur 195 vins présentés, intitulée « Les Virtuoses ».
Oui, le cépage est une clé d’entrée : « Un Britannique connaît le goût d’un Cabernet, c’est sa façon de se repérer. De même, un Australien sait quel est le goût d’un Chardonnay ou d’un Merlot… mais pas d’un vin de l’Ardèche », explique Philippe Dry, directeur de l’Union des Vignerons de l’Ardèche (Uvica). « Cela n’empêche pas les adhérents de l’Uvica de miser, à l’export, à 80 % sur la vente de vins d’assemblage car l’assemblage est ce qui permet de donner une personnalité propre à une marque, de la même façon que par les combinaisons d’arômes un Chanel est différent d’un Dior ».
Philippe Dry donne l’exemple de la complémentarité du Chardonnay (qui apporte la structure) et du Sauvignon (qui apporte la fraîcheur et la vivacité). Les assemblages permettent aussi de corriger chaque année les carences ou les excès de tel cépage, et ainsi d’avoir une qualité constante. Pour Philippe Dry, la mise en avant des cépages n’est qu’un moyen de se mettre à la portée du consommateur. « Dans une troupe, on avance toujours à la vitesse du dernier soldat », dit-il, en citant Napoléon !
Marc Nicolle