C’est devant quelque 500 PME (petites et moyennes entreprises), ETI (entreprises de taille intermédiaire) et grands groupes, que Michel Sapin, le ministre des Finances et des comptes publics, a ouvert la journée d’information « Produire en France avec la douane », organisée le 16 octobre à Bercy.
Cette journée, la troisième organisée par la Direction des douanes et droits indirects (DGDDI) avec Bercy, vise à présenter aux entreprises françaises produisant dans l’Hexagone les procédures douanières leur permettant d’optimiser leur coût de production en vue de renforcer leur compétitivité à l’international.
Des entreprises et des experts de la Douane se sont ainsi succédé pour témoigner sur leur expérience autour de trois tables rondes. Le moci.com y était, voici ce que nous en avons retenu :
1/ Importer en suspension tarifaire : une règle d’or du sourcing de certains produits
Intitulée « Importer à droit zéro avec les suspensions et les contingents tarifaires ? », la première table ronde a permis de faire un rappel sur le type de marchandises concernées par les suspensions et contingents tarifaires et les entreprises qui peuvent en bénéficier.
La suspension tarifaire permet un abandon total ou partiel des droits de douane normalement acquittés sur les marchandises importées. Si elle s’applique à une quantité illimitée, on parle de suspension. Si une telle mesure s’applique à une quantité limitée de marchandises, on parle de contingent.
Les suspensions de droits de douane ont vocation à permettre aux entreprises de l’Union européenne (UE) d’utiliser des matières premières, des semi-produits ou des composants, sans devoir payer les droits normaux prévus par le tarif douanier commun.
Les suspensions concernent uniquement les marchandises qui sont indisponibles dans l’UE, comme les fils de soie naturelle, ou bien disponibles dans l’UE mais en quantité insuffisante.
Important :
En principe, aucune suspension n’est octroyée lorsque des produits identiques, équivalents ou de substitution sont fabriqués en quantité suffisante dans l’UE ou dans des pays tiers bénéficiant d’accords tarifaires préférentiels (SPG).
Une entreprise qui produit en France des biens mais qui source ses matières premières dans des pays tiers (hors UE) car celles-ci sont indisponibles dans l’Union, pourra dès lors importer des matières premières non communautaires en suspension de droits de douane et de TVA sous réserve de remplir les conditions fixées par le cadre juridique.
Enfin, précision importante, seules les entreprises de production peuvent bénéficier des suspensions tarifaires. Les composants et matières premières qui sont importés par l’entreprise doivent rentrer dans la fabrication d’un produit fini. La transformation et l’utilisation des matières premières ou composants doit être réalisée sur le territoire douanier communautaire.
Un + pour le Made in France
« L’Union européenne, a ainsi déclaré Valérie Maniez, adjointe à la chef du bureau E1 Politique tarifaire et commerciale au sein de la DGDDI, a mis en place une politique commerciale, on peut dire offensive, en vue de protéger la production européenne et donc la production française ».
Les suspensions et les contingents tarifaires visent à promouvoir la production française en incitant les entreprises à continuer à produire en France.
L’objectif poursuivi par cette politique commerciale est d’accroître la compétitivité en termes de coût de production des entreprises et de stimuler leur activité économique grâce à un approvisionnement à un moindre coût.
« En 2013, les sociétés françaises ont pu économiser 25 millions d’euros de droits de douane », a indiqué Valérie Maniez.
Bon à savoir : établir une demande de suspension ou de contingent
Pour bénéficier d’une procédure de suspension de droits de douane, les économies de droits de douane envisagées par l’entreprise doivent être supérieures à 15 000 euros.
Les suspensions tarifaires octroyées sont valables pour une durée de 5 ans renouvelable.
Lorsqu’une entreprise remplit les conditions citées plus haut, elle doit adresser sa demande par courriel au bureau E1 de la DGDDI ([email protected]) qui lui enverra les documents à renvoyer complétés.
S’en suivra un examen de la conformité de la demande de l’entreprise, une analyse technique des produits et une analyse économique.
Lorsqu’elle est recevable, la demande est transmise à la Commission européenne qui en informe les autres Etats membres de l’UE.
Témoignages d’entreprises qui utilisent cette procédure
1. Lisi Aerospace
La société Lisi Aerospace, division du groupe industriel français Lisi dédiée à l’activité aérospatial, produit en France des fixations et composants d’assemblage (rivets, boulons, écrous) pour avions. Elle équipe notamment Airbus et Boeing.
Lisi Aerospace dispose de plusieurs usines de production en France et à l’étranger. « Mais, souligne Nodira Akhmedova, responsable douane de Lisi Aerospace, la qualité française est demandée par la majorité de nos clients aujourd’hui ». Lisi Aerospace concentre essentiellement sa production en France sur ses différents sites.
En 2013, son chiffre d’affaires s’est élevé à 663,9 millions d’euros dont 40 % réalisés à l’export avec pour premier marché les Etats-Unis, patrie de Boeing. « Avec la croissance de l’activité, le besoin de matières premières a augmenté », informe Nodira Akhmedova. L’entreprise s’est donc faite accompagnée par la Douane dans le montage de son dossier pour bénéficier de suspensions tarifaires, une procédure qui lui permet de réaliser des économies importantes.
2. Roquette
Spécialisée dans la production de produits amylacés, c’est-à-dire issus de l’amidon, l’entreprise Roquette produit dans l’Hexagone une gamme de plus de 700 produits (amidonnerie de maïs et de blé…) qu’elle commercialise en France et à l’export.
Forte d’un effectif de 8 000 personnes dans le monde, Roquette fournit de nombreux secteurs industriels (agroalimentaire, alimentation animale, pharmacie, industries de cosmétique etc.) et possède 21 sites de production implantés en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Son chiffre d’affaires consolidé a atteint 3,4 milliards d’euros en 2013.
Cette société familiale effectue 28 000 déclarations en douane par an en France. Roquette importe certains produits qui ne peuvent pas être trouvés sur le territoire communautaire. « Tout est venu d’un nouveau produit. On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de producteur en Europe. Le bureau E1 nous a accompagné », a ainsi résumé Réjane Leroy, responsable douane et sûreté de Roquette.
Grâce aux outils douaniers (suspensions et contingents) Roquette économise 240 000 euros de droits de douane annuels que l’entreprise réinvestit directement dans sa production ce qui lui permet de baisser le coût de revient. Réjane Leroy recommande aux entrepreneurs présents dans la salle de conférence de Bercy de « faire le tour de l’entreprise » et d’accorder une attention particulière au sourcing, « car pendant des années, nous n’avons pas eu de suspensions pour des produits introuvables en Europe ! ».
2/ Les régimes douaniers économiques
La deuxième table ronde intitulée « Renforcer sa compétitivité et maîtriser ses coûts avec les régimes économiques » s’est intéressée aux régimes douaniers économiques.
Les régimes douaniers économiques permettent aux entreprises d’importer dans l’UE des marchandises non communautaires en suspension des droits de douane et de TVA. Ces marchandises peuvent être stockées, utilisées ou transformées avant d’être ensuite réexportées vers l’UE ou des pays tiers.
« Les régimes douaniers économiques sont des outils prévus par la réglementation communautaire, a indiqué Pascal Regard, chef du bureau E3 Politique de dédouanement de la DGDDI. Cette réglementation, a-t-il poursuivi, accompagne la croissance des entreprises à l’export ».
Il existe trois grandes familles de régime économique :
– La fonction stockage : régime de l’entrepôt douanier
Le régime de l’entrepôt douanier permet d’importer et de stocker en suspension de droits et taxes des marchandises tierces, pendant une durée correspondant aux besoins de l’entreprise. Les droits et taxes sont acquittés seulement en sortie d’entrepôt.
– La fonction utilisation : régime de l’admission temporaire
Le régime de l’admission temporaire en exonération totale permet à l’entreprise d’importer temporairement, sous certaines conditions, une marchandise tierce dont elle a besoin pour son activité. Elle ne doit pas subir de modification. Lorsque le bien est réexporté, aucun droit ni taxe n’est payé par l’entreprise utilisatrice.
– La fonction transformation : régimes du perfectionnement actif
Le régime du perfectionnement actif permet à l’entreprise d’importer temporairement sur le territoire douanier communautaire des marchandises tierces, en suspension de droits et taxes et de les transformer avant de réexporter hors de ce territoire les produits finis obtenus.
Bon à savoir : comment bénéficier de ces régimes
Les régimes douaniers économiques sont accordés sur demande des entreprises. L’autorisation est délivrée par l’administration des douanes. Elle fixe le cadre juridique dans lequel l’entreprise peut utiliser le régime sollicité.
Témoignages d’entreprises qui utilisent cette procédure
1. Cristofol
Installée à Paris, l’entreprise française de haute joaillerie Cristofol crée des produits destinés aux grandes marques internationales de joaillerie, basés en France mais également aux Etats-Unis, au Japon et en Suisse.
Cette TPE de 25 personnes travaille depuis les année 1960 à l’export où elle réalise entre 40 % et, certaines années, 70 % de son chiffre d’affaires.
Dominique de Blanchard, présidente de Cristofol, a illustré le processus industriel que sa société met en œuvre et qui nécessite d’utiliser deux régimes douaniers.
Elle reçoit, par exemple, une commande d’un client, un horloger suisse, pour qui elle va concevoir une pendule artistique. Son client lui fournit la boîte et le cadran de la pendule, des pièces horlogères pour lesquelles le savoir-faire suisse est reconnu. Cristofol va importer la boîte et le cadran suisse sous le régime du perfectionnement actif. Une fois qu’elle aura réceptionné ces pièces, l’entreprise va les intégrer dans la pendule avant de la réexporter.
Cristofol peut également avoir besoin de pierres précieuses pour fabriquer cette pendule. Elle va importer, sous le régime de l’admission temporaire, des émeraudes en provenance de Colombie pour les montrer à son client pour qu’il fasse un choix, et sans avoir la garantie qu’il achète les pierres. De même, lorsque la société fait venir des pierres de l’étranger, elle ne sait pas en avance si elle utilisera la totalité des pierres et donc là aussi Cristofol importe les pierres temporairement sous le régime de l’admission temporaire.
« L’utilisation d’un régime économique (douanier) n’est pas compliquée, assure Dominique de Blanchard, mais ça demande une connaissance complète du produit, des éléments. Il faut une rigidité ».
2. Axens
L’entreprise Axens, filiale à 100 % du groupe IFP énergies nouvelles (ex-Institut français du pétrole), spécialisée dans les technologies avancées et la production de catalyseurs dédiés à l’industrie pétrochimique, utilise beaucoup les matières premières pour la fabrication de ses produits finis.
« Axens, a informé Nicolas Sube, responsable douane et logistique externe de la société, a grossi ces dix dernières années via une croissance externe. Nous avons trois sites de production aux États-Unis, un au Canada et un autre en Arabie saoudite ».
Axens importe sous le régime du perfectionnement actif sa matière première principale, en provenance d’une usine américaine basée en Géorgie. « Nous réexportons ces catalyseurs, ce qui nous permet d’être complètement exonérés », explique Nicolas Sube qui conseille de « bien suivre le régime douanier de la marchandise et la comptabilité matière grâce à des logiciels ».
3/ Le savoir-faire Made in France, comment le faire savoir
Quant à la troisième table ronde, intitulée « Valoriser son savoir-faire », elle a abordé la thématique de la certification « Made in France ».
« Le Made in France, première idée forte, c’est un marquage, a signalé Katell Guiziou, chef du bureau E1 de la DGDDI. Il n’y a pas de label particulier, vous pouvez aussi bien utiliser le terme « made in France », « produit en France », « fabrication française » ; vous pouvez l’écrire sur le produit, sur l’emballage ; vous pouvez utiliser la police de caractère ou la couleur qui vous sied. Il faut juste qu’il y ait la notion de fabrication, « designé en France » ce n’est pas du made in France ».
Le marquage d’origine n’est pas obligatoire ni à l’importation dans l’Union européenne, ni à la commercialisation. Cependant, certaines réglementations spécifiques obligent à un marquage de l’origine notamment les réglementations sanitaires et agricoles. L’étiquetage de la viande avec mention de son origine est obligatoire. « Pour nous, l’origine, c’est un concept, c’est un terme bien précis à différencier notamment de la notion de provenance », a souligné Katell Guiziou.
Important :
Pour pouvoir apposer la mention « made in France » sur une marchandise, l’entreprise doit s’assurer que celle-ci puisse être considérée comme étant originaire de France au regard d’une réglementation spécifique définie à l’échelle européenne : les règles d’origine non préférentielle (ou origine de droit commun). En France, la Douane délivre le renseignement contraignant sur l’origine (RCO), un sésame dans ce domaine.
Bon à savoir : comment obtenir un RCO
Délivré par la Douane, le RCO valide l’origine de la marchandise que l’entreprise souhaite importer ou exporter, au regard de son chemin d’approvisionnement (origine des produits intermédiaires, nature et localisation des étapes d’obtention du produit etc.).
Le RCO permet de bénéficier des avantages commerciaux et tarifaires associés lors des opérations d’importation et d’exportation.
Témoignages d’entreprises qui valorisent cette origine
1. Nexelec
Créée en 2009, la société Nexelec produit en France des détecteurs avertisseurs autonomes de fumée (DAAF). La marque d’origine « Made in » fait partie de la stratégie de l’entreprise, axée sur la qualité de ses produits. « Je reste très très vigilant sur la maîtrise de la qualité », a ainsi affirmé Raphaël Bellier, co-fondateur de Nexelec. En effet, à l’heure où 90 % des détecteurs de fumée sont fabriqués en Chine, Nexelec souhaite se différencier en faisant du made in France voire « quasiment du made in Bretagne ». En vue de se développer à l’international en 2016, la start-up mise sur la fabrication française pour se différencier à l’export. « Il faut se donner des moyens quand vous exportez », avance le dirigeant qui s’est adressé au bureau E1 des douanes pour bénéficier d’un renseignement contraignant sur l’origine (RCO).
2. Henri Selmer
Fondée en 1885, l’entreprise française Henri Selmer, leader mondial dans la fabrication de saxophones, réalise 85 % de son chiffre d’affaires sur le grand export avec pour principaux marchés l’Asie, les États-Unis et l’Europe.
« Tout est exclusivement fabriqué à Mantes-la-Ville », a souligné Marina Gadaud, responsable douane et logistique de Henri Selmer. « Nous sommes sur un secteur haut de gamme », a-t-elle ajouté.
Titulaire de l’agrément Exportateur agréé (EA), l’entreprise utilise les outils de sécurisation du dédouanement tels que le RCO. Dans le cadre de problématiques liées à la propriété intellectuelle, Henri Selmer a recours au interventions des douanes pour la lutte anti-contrefaçon.
Reportage de Venice Affre
Pour prolonger, lire aussi :
– Nos fiches pratiques sur les procédures douanières évoquées dans cet article : cliquez ICI
– Nos articles et dossiers sur ces sujets, notamment :
Douane-entreprises (1) : comment sécuriser sa déclaration en douane
Douane-entreprises (2) : l’origine préférentielle, sésame pour profiter des accords de libre-échange
Douanes-entreprises (3) : comment Henri Selmer et Eurosérum ont tiré profit du statut d’exportateur agréé à l’export
Douane-entreprises (4) : s’y retrouver dans le labyrinthe des règles cumulatives
Pour en savoir plus :
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