La perturbation des trafics maritimes de conteneurs lié la crise sanitaire entraîne la saturation des principaux ports européens et mondiaux, sans compter le récent blocage du canal de Suez qui aggrave leur congestion. Décryptage de la situation du port d’Anvers, deuxième port européen, avec Dominique Mathern, son représentant en France, dans un entretien exclusif paru dans le dernier numéro spécial du Moci consacré à la logistique et au transport à l’international *.
Le Moci. Quelle est le bilan du port d’Anvers en 2020 ?
Dominique Mathern. Le port a bien résisté à la crise sanitaire. Avec un volume global traité de 230 millions de tonnes de marchandises, il n’a enregistré qu’une baisse de 3,1 % du trafic par rapport à 2019. Cela est dû à la diversification du port sur les types de marchandises et de trafics.
La bonne tenue de l’activité de conteneurs qui a crû de 1,3 % en nombre de conteneurs, à 12 millions, a aussi permis de compenser en partie les baisses sensibles des volumes notamment de vracs liquides, de vracs solides et de machines industrielles.
Et malgré le Brexit et la poursuite de la crise sanitaire, le résultat du 1er trimestre reste positif par rapport au 1er trimestre 2020, avec un trafic global identique de 59,1 millions de tonnes de marchandises. Le transbordement de conteneurs a encore augmenté de 2,3 % en EVP par rapport au T1 2020, bien qu’un certain nombre de défis opérationnels aient entravé l’exploitation des terminaux à conteneurs.
Des retards « liés à la congestion des ports chinois »
Le Moci. Quels sont ces défis ?
D. M. La crise du coronavirus entraîne des retards importants des porte-conteneurs dont les plus gros arrivent en même temps. Cela a pour effet de surstocker les conteneurs dédiés à l’export qui s’empilent sur les terminaux. Du coup, pour fluidifier les déplacements de conteneurs afin de les charger sur les navires au bon endroit, l’autorité portuaire a dû ouvrir les terminaux 24h/24 et 7j/7 de façon à lisser les heures d’attentes, notamment des 400 à 500 camions pour charger les conteneurs. Ces retards des navires en provenance d’Asie, qui déstabilisent l’organisation les mouvements de conteneurs sur le port, sont liés à la congestion des ports chinois.
Le Moci. Ces perturbations entraînent-elles un problème de réservation de conteneurs ?
D. M. Bien sûr. Elles aboutissent à une pénurie de conteneurs vides dont les réservations sont compliquées pour les commissionnaires de transport. Les compagnies maritimes ne prennent plus les réservations « spot » et ne fonctionnent que par contrat.
Cette pénurie de conteneurs associée au manque de bateaux entraîne, de plus, une envolée des taux de fret à un niveau élevé jamais vu de l’ordre de 10 000 dollars US le conteneur de 40 pieds. Le rapport de force entre les compagnies maritimes et les chargeurs penchent largement en faveur des premières.
« Ce marché manque d’une offre alternative d’un outsider »
Le Moci. Le port d’Anvers ressent-il la congestion des ports américains qui ont été privilégiés par les compagnies maritimes sur l’axe Asie-Amérique, au détriment des lignes Asie-Europe ?
D. M. Oui, d’autant qu’Anvers est plus actif dans l’exportation de conteneurs vers l’Amérique du Nord qu’à l’importation. La congestion des ports américains et la suppression de porte-conteneurs des compagnies maritimes sur l’axe Asie-Europe perturbe l’activité export du port.
Cette situation difficile ne pourra pas être résolue tant que les trois plus grandes compagnies maritimes seront en situation de monopole sur le transport de conteneurs. Pourtant, les autorités chinoises font pression sur ces compagnies pour accroître le nombre de navires et faire baisser les prix. Et l’Union européenne a fait de même avec CMA-CGM pour l’inciter à mettre à l’eau davantage de navires. Ce marché manque d’une offre alternative d’un outsider, pour pallier le déficit de moyens de transport.
Le Moci. Le récent blocage du canal de Suez aggrave-il cette situation ?
D. M. L’incident du canal de Suez entraînera de nouveaux retards dans les escales de porte-conteneurs tout au long du deuxième trimestre. Cela va amplifier la congestion des ports en général, notamment celle de Rotterdam qui traite de très gros volumes de conteneurs, mais aussi du port d’Anvers.
La péripétie de Suez, qui a bloqué temporairement plusieurs centaines de navires, crée un goulet d’étranglement lorsqu’une dizaine d’entre eux arrivent en même temps au port d’Anvers. Tous les plannings de traitement des conteneurs sont ainsi bouleversés y compris pour les opérateurs ferroviaires et fluviaux qui les transportent dans l’hinterland portuaire.
Le Moci. La congestion des ports et celle d’Anvers va-t-elle durer ?
D. M. On ne peut résorber cette congestion rapidement lorsqu’on voit que la crise sanitaire perdure. Il va falloir du temps pour rééquilibrer le trafic maritime de conteneurs en faveur de l’axe Asie-Europe, si les principales compagnies maritimes veulent bien jouer le jeu et accepter de tirer moins profit de la situation.
Nos opérateurs de terminaux estiment que la congestion portuaire va durer jusqu’en septembre 2021. Pour le port d’Anvers, qui constitue un hub européen de transbordement de conteneurs où escalent 35 % des volumes « short sea » depuis la Scandinavie, la Russie et la péninsule ibérique, le plus tôt sera le mieux.
Propos recueillis
par Bruno Mouly
*Cette interview est extraite du
Guide 2021 Logistique & transport à l’international du Moci,
paru en mai 2021.
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