La digitalisation du financement du commerce international – Trade Finance- va connaître un coup d’accélérateur en France avec la Loi Helroyd autorisant la dématérialisation des titres transférables. Sans attendre le décret d’application, Paris Europlace, Bpifrance et ICC France s’activent pour amorcer la structuration d’un écosystème d’entreprises technologiques françaises de la « Tradetech » pouvant apporter des solutions concrètes pour la mettre en œuvre dans le cadre d’un écosystème à créer.
La Loi Holroyd autorisant la dématérialisation des titres transférables – en premier lieu des documents clés du commerce international comme les connaissements maritimes, mais aussi les effets de commerce – a été votée le 13 juin, tout juste avant la dissolution. Elle n’attend plus que le décret d’application et les arrêtés ministériels qui permettront sa mise en œuvre concrètes, attendus pour début 2025. En attendant, les principaux promoteurs de cette initiative ouvrant la voie à une digitalisation complète des transactions du commerce international veulent battre le fer tant qu’il est chaud et mobiliser les jeunes pousses innovantes de la TradeTech pour construire ensemble les briques qui permettront de développer une ou des plateformes françaises de solutions.
C’est pourquoi Bpifrance, ICC France et Paris Europlace ont organisé le 23 septembre, dans le Hub de Bpifrance à Paris, une matinée dédiée à la « digitalisation du commerce international et du Trade Finance ». L’objectif était notamment de « dresser un panorama, non exhaustif, des solutions et technologies digitales proposées par la scène Tech française répondant aux besoins constatés autour de la digitalisation du Trade Finance ». Mais aussi d’amorcer un travail collaboratif sur le sujet, grâce à un « speed meeting » organisé au cours de la même matinée entre 20 TradeTech et les participants. Tout un programme !
« Il ne faut pas qu’on se fasse doubler »
Selon Denis Le Fers, directeur général de Bpifrance assurance export (au centre sur notre photo en couverture), l’intérêt d’une digitalisation est multiple : elle peut permettre de « fluidifier les transactions grâce à une baisse des délais », « accroître la traçabilité » des opérations, aider à mieux « prévenir la fraude ». « Nous participons à un groupe de travail avec la DG Trésor pour mettre en œuvre la Loi, et notamment préparer le décret d’application » a-t-il assuré. Il n’y a pas de temps à perdre : « les Anglais, les Singapouriens vont très vite, il ne faut pas qu’on se fasse doubler ».
De fait, « il existe 16 plateformes de clearing de documents du commerce international dans le monde mais aucune n’est française » a renchéri Philippe Henry, Senior Advisor de Paris Europlace, l’un des artisans de ce vaste projet (à gauche sur notre photo en couverture).
Comme l’a expliqué Emmanuelle Butaud-Stubbs, secrétaire générale d’CCI France (à droite sur notre photo en couverture), autre cheville ouvrière de ce projet, ces 16 plateformes ont été validées pour leur conformité avec la loi-type de la Cnudci sur la dématérialisation des document transférables électroniques (en anglais Model Law on Electronic Transferable Records-MLTR) par la Digital Standard Initiative (DSI), un groupe de travail associant des institutions telles que la Cnudci (Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international) et la Chambre de commerce international (ICC). La DSI, basée à Singapour, est aussi en train de standardiser 36 documents clés du commerce international afin de faciliter leur digitalisation à grande échelle : ses travaux seront dévoilés mi-octobre.
« L’un des problèmes du commerce international est qu’il mobilise 5 canaux différents, dont l’un est le Trade Finance, qui travaillent jusqu’à présent en silo : il ne se parlaient pas, d’où la nécessité d’un vrai travail d’advocacy [plaidoyer] », a rappelé Philippe Henry. Mais « au bout d’un an et demi, on dispose enfin d’une base de données sur les intervenants. »
Pour celui qui a co-rédigé le rapport au gouvernement de 2023 « Accélérer la digitalisation des activités de financement du commerce international » qui a été à l’origine de ce projet de Loi, il est temps de former un écosystème et de multiplier les « cas d’usage » qui contribueront à faire avancer la digitalisation grâce à des expérimentations concrètes.
90 sociétés identifiées comme apportant des solutions
Le fait est que des solutions existent : pas moins de 90 sociétés apportant une solution technologique à une étape ou une autre de la chaîne de valeur d’une transaction internationale, du financement à l’archivage en passant par la gestion du transport et du dédouanement ou encore la certification et la gestion documentaire, ont été identifiées dans le cadre d’un travail de cartographie mené par Bpifrance Export et Paris Europlace.
Mais ce vivier brille par son morcellement, comme le montre le graphique ci-dessus. Car qu’elles interviennent au niveau de la gestion des flux financiers liés à la transaction (banques, acheteurs, vendeurs…), de la gestion des flux physiques de marchandises (transport, douane et stockage, traçage de la marchandise, contrôle et inspection des marchandise), de la gestion des flux documentaires (dépôt et suivi des registres, dématérialisation des factures) ou encore des fonctions support (contrôle et certification, infrastructure et gestion documentaire), ces sociétés sont très focalisées sur les maillons qu’elles adressent mais ne se connaissent pas et ne collaborent que rarement entre elles.
Ovrsea, par exemple, un commissionnaire de transport 100 % digital, fait partie des 11 sociétés identifiées pour apporter des solutions de digitalisation dans la gestion du transport des biens physiques. Mais elle méconnaît sans aucun doute les 15 intervenants pertinents identifiés en matière de dématérialisation des factures ou les 19 acteurs intervenants dans le domaine du contrôle et de la certification (réglementaire, identification, traçabilité carbone…). Et réciproquement. Idem pour les acteurs du financement, entre les apporteurs de solutions de gestion et d’assurance du risque de crédit, les factors, financeurs de l’exportateur ou financeurs des acheteurs, sociétés de paiement multidevises…
Développer des cas d’usage
Or toutes répondent à leur niveau à un ou plusieurs des quatre critères de sélection définis par les auteurs de cette cartographie : réduction des coûts et des délais, sécurisation et traçabilité, faciliter la mobilisation de créance (pour les faire financer) et enfin permettre un meilleur pilotage de l’activité et de la trésorerie de l’entreprise. D’où l’intérêt de les faire se rencontrer et de commencer à les faire plancher sur des cas d’usage, le meilleur moyen de préparer le terrain pour passer de la théorie à la pratique lorsque le cadre réglementaire le permettra.
A l’instar de la collaboration entre la Société Générale et la startup Semsoft pour développer des outils de détection des fraudes et opérations de blanchiments d’argent, un sujet devenu sensible pour les banques du commerce international. Semsoft, dans ce cadre, travaille sur deux sujets au sein de l’incubateur de la banque : le traçage des flux logistique afin de s’assurer que les marchandises ne passent pas par des pays sous sanctions international, pour lequel elle développe un logiciel qui permet de vérifier la cohérence des documents liés à la transaction ; et l’anticipation des trafics frauduleux (sur ou sous-facturation) grâce à un outil logiciel permettant de reconstituer le code douanier HS de la marchandise et de vérifier sa cohérence avec son prix.
Mais l’enjeu sera de faire émerger un véritable écosystème, permettant la construction d’offres globales associant différents intervenants. Cette rencontre, dans un format inédit, est une première pierre à l’édifice.
C.G