Le 27 janvier dernier, la Commission des Affaires juridiques (JURI) du Parlement européen a adopté, à la quasi-unanimité des voix (21 pour et une contre), un projet d’initiative sur le devoir de vigilance qui intéresse directement les entreprises internationalisées. Le texte vise en effet à rendre celles-ci juridiquement responsables lorsqu’elles se rendent complices, directement ou indirectement, de violations des droits de l’homme ou de destruction de l’environnement.
C’est « une mini révolution qui en train de voir le jour sous nos yeux. Et qui me redonne foi en l’utilité de l’Union européenne », confiait Manon Aubry, un brin ironique, au Moci. A l’initiative de cette proposition, l’eurodéputée française, issue des rangs de la France Insoumise (LFI), a bataillé ferme pour obtenir le consensus le plus large possible autour de son projet.
Mission accomplie jusqu’ici, et le pari était loin d’être gagné. Les textes présentés par les membres de la Gauche radicale (GUE), la famille politique européenne de LFI, étant généralement peu suivis par les autres familles politiques représentées au sein de l’hémicycle européen.
Si le texte venait à être adopté par l’UE, les grandes entreprises ou multinationales devront, pour la première fois, rendre des comptes devant la justice avec – in fine – le risque d’être sanctionnées. « Nous poursuivons cet objectif parce qu’il existe un vide juridique. Avec la mondialisation qui s’est développée, les chaînes d’approvisionnement se sont complexifiées et se sont allongées, sans que le droit s’adapte, ce qui a dilué la responsabilité », explique l’élue européenne.
A titre d’exemples, elle cite des marques emblématiques qui comme Nike, exploite le travail des Ouïgours en Chine, ou Vinci, qui profite des travailleurs sans protections au Qatar, mais aussi Mac Donald, qui utilise dans ses préparations du soja issu de la déforestation en Amazonie.
Les entreprises européennes ne seront donc pas les seules visées. Toute société non européenne ayant des intérêts au sein de l’UE pourrait aussi avoir à répondre de ses actes, à l’image des lois américaines extraterritoriales, en vigueur notamment sur Iran.
La France rejointe par l’Allemagne
Jusqu’ici la France était le seul pays à s’être doté d’un cadre juridique sur le devoir de vigilance. Mais le 12 février dernier, le gouvernement allemand mettait lui aussi fin à une longue querelle en s’accordant sur un projet de loi imposant aux entreprises d’une certaine taille d’être vigilantes sur les normes sociales en vigueur chez leurs fournisseurs étrangers. « Mais le projet de texte porté par le Parlement européen va beaucoup plus loin », insiste Manon Aubry.
La loi française de 2017 ne vise que les entreprises de plus de 5000 employés, qui ne sont pas plus de 150 au total.
Le seuil proposé dans le projet européen est plus grand. Il viserait toute société qui remplirait au moins deux des trois critères suivants : un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, 20 millions de bénéfices et 250 employés. « Cela concernerait aussi les petites entreprises qui seraient cotées en bourse et celles qui seraient dans des secteurs à risque comme le secteur extractif », explique l’élue européenne.
Autre différence : l’inversement de la charge de la preuve. Ce ne sera donc plus à la victime de prouver qu’elle a subi une violation de ses droits mais à l’entreprise de démontrer qu’elle ne l’a pas commise.
Un projet soutenu par Renew
Membre du groupe Renew, la famille politique européenne de La République en Marche, Marie-Pierre Vedrenne soutient elle aussi ce projet législatif.
Pour la vice-présidente de la Commission du Commerce internationale (INTA) au PE, ce type d’instrument autonome est nécessaire pour accompagner la nouvelle stratégie commerciale de l’UE présentée le 16 février dernier par la Commission européenne.
« Avec la Chine il faut imposer davantage de réciprocité. L’accord d’investissement signé fin 2020 n’est pas suffisant, on le sait, souligne l’eurodéputée Renew. Donc il nous faut une boîte à outils. Le devoir de vigilance, au même titre que le filtrage des investissements étrangers ou l’instrument de réciprocité pour l’accès aux marchés publics, fera partie de ces instruments qui nous permettront d’agir, non seulement contre les Etats mais aussi sur la responsabilité des entreprises ».
Vote en plénière le 8 mars
Le vote en plénière est prévu le 8 mars prochain. Si, comme c’est généralement le cas, il s’aligne sur les consignes de la Commission JURI, son adoption ne devrait pas poser de problème.
Les membres du PPE (Parti populaire européen), principale famille politique au PE, pourraient toutefois, via de nouveaux amendements, « amenuiser considérablement la portée du texte comme sur les seuils d’entreprises concernées ou la responsabilité juridique », s’inquiète Manon Aubry qui souligne les pressions exercées durant les négociations notamment par Business Europe, le lobby patronal européen.
Viendra ensuite la proposition de la Commission européenne programmée à la mi-juin, à l’issue d’une consultation publique qui aurait déjà reçue de nombreuses contributions de la part des entreprises.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles