Le revirement stratégique de Donald Trump sur l’Ukraine et son rapprochement avec la Russie a sonné le branle-bas de combat en Europe pour accélérer les investissements dans le réarmement et la défense et réduire la dépendance des Européens aux États-Unis. Les financements vont abonder. Pour l’industrie française du secteur, les carnets de commandes sont appelés à augmenter en France mais aussi à l’export, à commencer par l’Europe.
Courant mars, le gouvernement portugais a annoncé qu’il étudiait « toutes les options » pour remplacer ses F-16 américains, dont non seulement les F-35 américains, successeurs du F-16, mais aussi les appareils européens. Un signe que depuis la prise de distance de l’administration Trump de ses alliés traditionnels de l’OTAN, la confiance des Européens dans l’Oncle Sam est sérieusement écornée. En temps normal, l’offre américaine aurait à peine été discutée…
Dans un autre registre, au début de l’année, Europlasma annonçait que sa filiale les Forges de Tarbes avait reçu le feu vert du ministère des Armées pour négocier en République Tchèque un contrat de 100 000 corps creux d’obus de « gros calibre »…
Autant d’exemples que partout en Europe, de nouvelles opportunités sont en train de naître pour les industries de défense françaises. C’est d’ailleurs l’une des raisons – avec l’augmentation de la commande publique française elle-même – qui ont poussé le gouvernement français à sonner la mobilisation générale de la Place de Paris, lors d’un événement à Bercy le 20 mars, autour de la question du financement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), ses neuf grands fleurons industriels (les Safran, Thalès, MBDA, KNDS, Dassault, Airbus, Naval Group, etc.) et surtout ses 4500 PME et ETI sous-traitantes, souvent endettées et en manque de fonds propres.
Les carnets de commandes sont déjà pleins : pour 2024, l’État a signé pour 17 milliards d’euros (Md EUR) de commandes dans le cadre de la Loi de programmation militaire (LPM) et les industriels français ont engrangé pour 18 Md EUR de contrats export. Sur l’export, la part de la défense dans l’encours de Bpifrance assurance export est passée en 10 ans de 24 % à plus de 40 % avec environ 28 Md EUR de garanties en stock en 2024. Avec les refinancements export de la Sfil, l’encours de garanties export publiques totalise 35 Md EUR.
Il s’agit donc d’augmenter la cadence.
Les leviers des nouveaux outils de financement européens
A l’export, la demande viendra d’abord d’Europe. Notamment grâce aux nouveaux outils de financement qu’est en train de mettre en place l’Union européenne : non seulement les règles de rigueur budgétaire vont être assouplies pour permettre aux États membres de financer l’augmentation des dépenses publiques d’armement (jusqu’à 1,5 % du PIB), mais en outre le bloc est en train de se doter de nouveaux outils de financement qui avantageront les offres européennes.
C’est tout l’objet du plan ReArm Europe présenté le 4 mars dernier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ce plan vise ainsi à mobiliser près de 800 Md EUR pour renforcer les capacités de défense de l’UE dans des secteurs prioritaires (défense anti-aérienne, missiles, drones, systèmes anti-drones, systèmes d’artillerie) et l’aide militaire à l’Ukraine.
Ce plan européen comprend deux composantes :
– 650 Md EUR correspondant au montant estimé des financements nationaux rendus possibles par la flexibilisation temporaire du cadre budgétaire européen.
–150 Md EUR de prêts aux États pour des achats d’armes ou des investissements visant à renforcer les capacités de défense en Europe dans le cadre d’un instrument spécifique, « Security Action for Europe- SAFE », qui vient de faire l’objet d’une proposition de Règlement.
Une « préférence européenne » affirmée
En introduisant une « préférence européenne » conséquente pour l’utilisation des fonds SAFE, la Commission européenne a incontestablement fait un grand pas en faveur du Made in Europe dans le domaine de la défense, une orientation réclamée de longue date par la France.
Ainsi, d’après les détails fournis lors de la présentation de la stratégie de mise en œuvre du plan « Rearm Europe/préparation 2030 » , le 19 mars, un minimum de 65 % de composants européens seront exigés pour les commande d’armes « simples », et pour les « systèmes complexes », « l’autorité de conception » devra être européenne.
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Dans ces conditions, SAFE devrait être un levier important pour stimuler les commandes auprès des industriels de l’Union européenne, donc de France.
La Commission européenne veut aussi encourager, dans ce cadre, la coopération entre États membres. Pour bénéficier des fonds SAFE, il faudra en effet que la demande émane d’au moins deux États, dont un membre de l’UE, décidés à effectuer une commande conjointe.
Des partenaires de l’UE y auront accès : les pays membres de l’AELE (Association européenne de libre-échange) et de l’EEE (Espace économique européen), soit l’Islande, le Liechenstein, la Norvège et la Suisse, ainsi que l’Ukraine.
D’autres, pays ayant des accords de défense avec l’UE, pourraient également être autorisés à y participer : Moldavie, Albanie, Macédoine du Nord, Corée du Sud, Japon. A terme, s’y ajouteront peut-être le Royaume-Uni et le Canada, en quête de nouveaux alliés depuis le retour de Donal Trump à la Maison Blanche, si des accords sont trouvés.
Autant de perspectives porteuses pour la BITD française.
Christine Gilguy