La Commission européenne renforce encore son arsenal de défense commerciale. Elle a rendu public le 8 décembre sa proposition au Conseil et au Parlement européen pour créer un nouvel instrument juridique visant à lutter contre les mesures de coercition économique prises par les pays tiers à l’encontre de l’Union ou de ses membres. La première étape d’un processus qui va durer plusieurs mois et commencera sous la présidence française de l’UE.
Cette proposition fait suite à une déclaration commune de la Commission, du Conseil et du Parlement européens, en date du 2 février dernier, pour un nouvel instrument juridique visant à décourager et à contrer les mesures coercitives de pays tiers prises à l’encontre des États membres ou de l’UE, « devenus la cible d’une pression économique délibérée ces dernières années ».
Les pays auteurs de ces pressions ne sont pas cités dans ce communiqué mais on devine sans peine ceux qui pourraient cocher toutes les cases : les États-Unis, rois des lois extra-territoriales, qui avaient multiplié ces pressions sous le mandat de Donald Trump, mais aussi la Chine de Xi Jinping, qui a récemment instauré des mesures de sanctions à l’égard de la Lituanie pour avoir autorisé l’ouverture d’un bureau de représentation de Taiwan à Vilnius.
L’objectif, selon la Commission, est de dissuader les pays tiers de restreindre le commerce ou les investissements — ou de menacer de le faire — pour susciter un changement d’orientation dans l’UE dans des domaines tels que le changement climatique, la fiscalité ou la sécurité des aliments.
D’abord le dialogue, puis une réponse « sur mesure »
Dans la plus pure tradition européenne de recherche de compromis et de dissuasion, la mécanique du nouvel instrument se veut progressive dans le niveau de réponse et commence par la discussion.
« L’instrument anti-coercition doit permettre de désamorcer les crises et d’induire l’abrogation de mesures coercitives spécifiques, grâce à un processus dont la première étape est le dialogue » précise la Commission. « Toute contre-mesure prise par l’UE ne serait appliquée qu’en dernier ressort, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de lutter contre l’intimidation économique ».
Cette « intimidation économique » peut prendre diverses formes : une coercition explicite et des outils de défense commerciale utilisés par certains pays à l’égard de l’UE, ou bien des contrôles sélectifs à la frontière ou en matière de sécurité des aliments visant les marchandises en provenance d’un pays de l’UE, ou encore le boycott des biens ayant une certaine origine.
Concrètement, l’UE dialoguera directement avec le pays concerné pour mettre un terme à l’intimidation économique. Si celle-ci ne cesse pas « immédiatement », le nouvel instrument permettra à l’UE de réagir rapidement et efficacement, en apportant dans chaque situation « une réponse sur mesure et proportionnée ».
Exemples de contre-mesure envisageable : institution de droits de douane, limitation des importations en provenance du pays en question, restrictions applicables aux services ou aux investissements, mesures limitant l’accès de ce pays au marché intérieur de l’UE…
« Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, le commerce est de plus en plus utilisé comme une arme, et l’UE et ses États membres sont la cible d’intimidations économiques, commente Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif et commissaire au Commerce. Nous avons besoin d’outils appropriés pour réagir. Avec cette proposition, nous envoyons un message clair indiquant que l’UE fera preuve de fermeté pour défendre ses intérêts. L’objectif principal de l’instrument anticoercitif est la dissuasion. Mais nous disposons à présent de davantage d’outils lorsqu’il est nécessaire d’agir. Cet instrument nous permettra de relever les défis géopolitiques des prochaines décennies, en préservant la force et la souplesse de l’Europe. »
La France, qui doit assumer à partie du 1er janvier prochain la présidence tournante de l’UE pour six mois, a salué immédiatement la proposition : « avec cet instrument, l’UE franchit une nouvelle étape pour bâtir une politique commerciale moins naïve, en renforçant concrètement les moyens à notre disposition pour affirmer notre souveraineté et défendre nos intérêts avec fermeté, déclare Franck Riester, ministre en charge du Commerce extérieur, dans un communiqué publié le jour-même. Conformément aux orientations fixées par le Président de la République depuis le discours de la Sorbonne, la France soutient pleinement la mise en œuvre de cet instrument ».
De fait, la France pourra veiller à stimuler l’avancée du processus durant sa présidence. La proposition doit être examinée et approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Elle sera soumise à la procédure législative ordinaire, qui prévoit que le Parlement et le Conseil élaborent en interne leurs positions avant de négocier entre eux lors de discussions en trilogue avec l’aide de la Commission. Au cours des deux prochains mois, les parties prenantes et les citoyens pourront fournir un retour d’information supplémentaire, sur lequel la Commission fera rapport au Conseil et au Parlement.