Alors que les crises politiques se succèdent dans le monde arabe, le Maroc ne serait pas vraiment touché, si l´on en croit le titre du débat, « l´exception marocaine », organisé, le 2 mars au Sénat, par l´Observatoire d´études géopolitiques (OEG). Le Royaume chérifien est une « réelle démocratie » et « la nation est attachée à l´unité, à l´islam malékite et à la monarchie », justifie son directeur, Charles Saint-Prot. Un avis que ne partage pas Jean-Louis Guigou, délégué général de l´Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), qui, lui, estime qu´il y a « un problème politique au Maroc » et qu´une « mutation doit y être opérée ».
Si Jean-Louis Guigou n´a pas évoqué les manifestations du 20 février, puis des 25 et 26 février – parfois émaillées de violences, surtout dans l´extrême Sud à Dakhla – il en a sans doute tiré les conséquences. Les manifestants, tout en respectant la personne du roi, commandeur des croyants, se plaignaient qu´il soit aussi le chef de l´Etat et du gouvernement. Pour le directeur de l´Ipemed, « il faut que le Maroc trouve les moyens de devenir une monarchie parlementaire ». Des propos que l´on a entendu lors des manifestations, tout comme celles de mettre fin à l´affairisme au sommet de l´Etat, à la corruption, aux inégalités.
S´agissant de la liaison entre développement économique et social, les propos se rejoignent. Charles Saint-Prot salue, par exemple, la mise en place toute récente du Conseil économique et social, la poursuite aussi de l´initiative nationale pour le développement humain (INDH) en faveur des plus nécessiteux, « les projets de développement » dans le cadre d´une économie diversifiée et « la profondeur stratégique du Maroc », avec en ligne de mire l´Afrique subsaharienne.
Tout comme le directeur de l´OEG, Jean-Louis Guigou se félicite de la réforme constitutionnelle en faveur des régions pour y attirer des élites et de la politique d´aménagement du territoire de Mohamed VI en faveur du Nord « qui avait été abandonné par son père » : d´abord le rif (région de Tanger-Tétouan), en contact avec la Méditerranée, puis maintenant l´Oriental, la région d´Oujda frontalière avec l´Algérie. Sur la régionalisation et l´aménagement du territoire, le Maroc est vraiment une « exception », se réjouit le délégué général de l´Ipemed.
« De TangerMed 1 au second port de Tanger, en passant par la politique autoroutière, le Maroc a consenti un effort d´investissement unique », renchérit Henri Védié, professeur à HEC, auteur de « Maroc : l´épreuve des faits et des réalisations ». Cette politique d´aménagement du territoire ne s´est pas limitée à la zone côtière du Nord au centre, mais s´est étendue aussi au Sud, avec, notamment, une stratégie de développement de la pêche artisanale, comportant différents axes : emploi des jeunes, financement des équipements, installation de halles à poissons dans les villages, etc.
Il y a également le tourisme qui irrigue tout le pays, avec les plans Azur (stations balnéaires de luxe) et Biladi (résidences, hôtels, campings pour les touristes locaux) et la rénovation des cités impériales. Enfin, grâce à une politique de barrages et d´irrigation des terres, le Maroc est parvenu à ne plus dépendre des résultats de son agriculture. L´économie croît ainsi aujourd´hui de 4,5 à 5 % par an. Il faudrait, toutefois, encore 2 % supplémentaires pour réduire un chômage encore élevé (20 %). « Donner un petit coup de pouce au pouvoir d´achat serait possible, selon Henri Védié, car l´inflation (2 %), tout comme le déficit budgétaire (4 %), sont faibles ». Mais le Maroc doit surtout continuer à attirer les investissements directs étrangers.
François Pargny