Le dernier rapport de la Cour des comptes sur Business France, qui ne prend pas en compte les deux années de crise sanitaire (il porte sur la période 2015-2019), et certaines de ses recommandations, questionnent ses orientations et son impact auprès des entreprises, mais aussi celle de son principal partenaire au sein de la Team France Export, le réseau des CCI. Elles ont suscité des réponses brèves des tutelles, plutôt positives pour l’agence, mais une réponse très détaillée de son directeur général Christophe Lecourtier, dans une note dense de 18 pages*. Morceaux choisis.
D’après un tableau fourni dans sa réponse par Christophe Lecourtier, en 2019, 5228 entreprises ont été accompagnées en Europe par l’agence et 6909 dans le reste de monde en 2019, via des prestations telles que VIE, accompagnements collectif ou missions individuelles. Le sujet n’est donc pas sans intérêt pour les PME et TPE qui bénéficient de ses services.
Trop d’Europe ?
Sur le plan des priorités géographiques de l’agence, la recommandation n° 5 de la Cour des compte semble faire reproche à Business France de trop se focaliser sur le marché européen (48 % de ses revenus en 2019), au détriment du « grand export », peut-être plus dynamique, et appelle donc l’agence et ses tutelles à « formaliser et présenter au conseil d’administration les priorités sectorielles et géographiques pour le développement de l’activité export » de l’agence, « en cohérence avec la stratégie de soutien des exportations françaises définie par le Gouvernement ».
Ce tropisme européen est vigoureusement défendu par le directeur général de Business France qui en nuance toutefois certains aspects : la part des entreprises accompagnées vers l’Europe n’est que de 44 % en 2018 et 43 % en 2019, précise-t-il dans sa réponse. En outre, si 2000 entreprises sont accompagnées en temps normal chaque année sur les salons allemands, « elles ne s’y rendent que marginalement pour le marché allemands », ces événements étant largement de portée mondiale et donc des occasions de nouer des contacts avec des prospects du monde entier.
Christophe Lecourtier s’efforce toutefois de justifier le maintien en Europe par Business France d’une « activité importante » et d’un « réseau de bureaux conséquent (incluant UK et Suisse et la CSP Norvège » : ces choix peuvent être « assumés » écrit-il, « au regard de la nécessité pour la France de récupérer des parts de marché perdues dans l’UE (davantage que dans le reste du monde) » et d’assurer aux PME moins aguerries « un marché de proximité ».
Enfin, sur les « priorités géographiques » de l’agence, Christophe Lecourtier précise « qu’une partie conséquente de l’activité de BF s’inscrit d’ores et déjà dans une logique de programmation, sur la base d’une analyse des couples secteurs/pays », notamment à travers le « Programme France Export », calendrier des 450 à 600 pavillons et missions de prospection élaboré chaque année et qui sert de boussole à la TFE. Ce qui n’empêche pas des actions plus ciblées encore, notamment avec les Régions et Bpifrance, à l’instar des programmes Accélérateurs (« Boosters », Accélérateur Afrique).
Rappelant que la réforme de la TFE a permis « de ne pas se limiter à une logique d’offre, mais de la compléter par une prise en compte ‘sur mesure’ de la réalité de l’entreprise », le directeur général de Business France conclut ce long commentaire par un dernier argument en faveur du dispositif : « A la fois programmatique et pragmatique, l’approche mise en place par la TFE me semble constituer aujourd’hui un dispositif pertinent pour répondre à l’objectif de ‘plus d’exportateurs, plus d’exportations’».
Plus d’intégration Business France / CCI ?
C’est un aspect soulevé par la recommandation n° 4 de la Cour des comptes, qui appelle à « poursuivre le rapprochement des équipes de conseillers internationaux CCI et de BF », socle des guichets uniques Team France Export. Un sujet sensible, qui touche à l’avenir des deux entités, soumises à des réductions de subventions publiques dont la trajectoire n’a pas été remise en cause par l’actuel gouvernement, même si la crise a donné un répit, en particulier aux CCI.
En résumé, le problème vient du fait que ces conseillers -235 au total- relèvent de statuts différents, restant chacun rattaché à son réseau d’origine et donc à ses méthodes de management propres. Si Christophe Lecourtier écrit qu’il « souscrit en tous points » à la recommandation de la Cour (à l’instar de ses tutelles), le problème est le « comment ».
Il relève que ce ne sera pas chose facile et nécessitera une « remise à plat du modèle économique de chacun des deux réseaux ». Evoquant la question d’une « enveloppe commune » de subvention budgétaire pour la mission de l’international, « clarifiant les moyens publics mobilisés par les deux réseaux », elle créerait, selon lui, les conditions « pour une harmonisation des statuts, des modes de rémunération et du management des collaborateur de la TFE ».
Faire le bilan des concessions de service public (CSP) à l’étranger
C’est la recommandation n° 6 qui appelle à « bilanter les concessions de service public » avant de lancer de nouveaux appels d’offres. Rappelons que 6 CSP sont en vigueur depuis 2019 avec des CCI françaises à l’étranger : Belgique, Hongrie, Norvège, Maroc, Philippines, Singapour. Des marchés publics de service ont par ailleurs été passés avec celles de Tokyo, Hong Kong et Moscou.
Le directeur général de Business France fait peu de commentaires. Il observe toutefois que ce bilan est prévu « au terme de trois années d’exercice », et qu’il est à ce stade difficile de faire la part des choses « entre une année de rodage (2019), « une année de crise (2020) » et les « ambitions attribuées initialement aux concessions ».
Et de mettre en garde contre les conséquences d’un bilan négatif à cet égard : « il conviendra aussi de prendre en compte la capacité de l’agence, ainsi que de ses tutelles, à tirer toutes les conséquences d’une évaluation qui conclurait à la nécessité de reprendre en régie l’activité d’accompagnement de telle ou telle CSP ». Une hypothèse qui aurait en effet un coût budgétaire.
Signe que tous ces sujets sont sensibles alors que Business France, confrontée à la chute des VIE en raison des restrictions sanitaires (68 % de la hausse de sa marge opérationnelle en 2019), doit négocier un nouveau contrat d’objectif et de performance (COP) avec l’Etat l’an prochain, Christophe Lecourtier consacre un long développement à défendre l’impact de l’agence auprès des entreprises, dont le taux s’est établi à 54 % en 2019 (et près de 3 milliards d’euros de CA export supplémentaires générés), mais qui, selon la Cour, « ne semble plus progresser ».
Rappelant les efforts d’évaluation menés dans le cadre du Bilan Export de l’agence, il nuance ce constat en remarquant que le nombre d’éntreprises accompagnées a progressé de 17 %, ce qui relativise la stabilité du taux d’impact, et cite notamment une étude menée avec le concours de la Douane montre qu’en 2019, « la croissance des exportations des PME/TPE et ETI projetées par TFE est deux fois plus rapide » que pour les autres.
Bien que ce rapport de la Cour des comptes ne concerne que la période 2015-2019, la question de la pérennité du modèle économique de Business France se pose, l’Etat comptant poursuivre la réduction de la subvention sur le long terme (-8 % par an environ), ce qui implique qu’elle hausse la facturation aux entreprises. La subvention de l’Etat représentait 49,5 % d’un budget d’environ 203,9 millions d’euros en 2019. Hors, la crise à entraîné une chute de 30 % de l’activité de Business France, VIE compris, rappelle Christophe Lecourtier dans sa note.
L’agence a pu enrayer la dégraadation de ses équilibres financiers en 2020 et 2021 en resserrant ses coûts et en captant une partie de l’activité générée par le plan de relance export mais quid de l’après ? Une réflexion que son directeur général dit avoir engagé avec ses tutelles dès début 2021, dans la perspective de la renégociation du COP. A suivre…
Christine Gilguy
*Le rapport de la Cour des Comptes ainsi que les réponses du directeur général de l’agence et de ses ministres de tutelle sont en ligne sur le site de la Cour au lien suivant : cliquez ICI