Premier ministre démissionnaire, Daniel Kablan Duncan, 73 ans, a été nommé mercredi matin, à 10 heures, vice-président de la République de Côte d’Ivoire, un nouveau poste prévu par la nouvelle Constitution ivoirienne, promulguée le 8 novembre 2016. Un homme du nord, Amadou Gon Coulibaly, a été nommé pour lui succéder à la tête du gouvernement.
Ce choix était attendu, surtout depuis que le 6 janvier, le chef de l’État, Alassane Ouattara, président du RDR (Rassemblement des Républicains) depuis 1999, s’était déplacé à Daoukro, en pays baoulé, au centre du pays, pour rencontrer son allié du PDCI-RA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire Section du Rassemblement Démocratique Africain), l’ancien président Henri Konan Bédié (1993-1999).
En effet, Daniel Kablan Duncan est un baoulé du sud proche du patron du PDC-RDA, dont il a été le chef du gouvernement entre 1993 et 1999, poste qu’il a ensuite occupé de 2012 à aujourd’hui sous Ouattara « parce qu’il ne dérangeait personne, étant plus un technicien qu’un politique », commente pour la Lettre confidentielle du Moci un observateur avisé de la vie politique et économique du premier producteur de cacao au monde.
Le réveil de Guillaume Soro
« En tous les cas, poursuit notre interlocuteur, ce ne pouvait pas être le puissant secrétaire général de la présidence de la République, Amadou Gon Coulibaly, car, étant originaire du nord, de Korhogo, dont il est le maire depuis un quart de siècle, il ne pouvait être accepté par le PDCI-RDA ». En revanche, à 57 ans, ce fidèle du clan Ouattara remplace Daniel Kablan Duncan comme Premier ministre, ce qui permettrait au chef de l’État, selon certaines sources dans les milieux d’affaires, de conforter sa main mise sur la scène politique ivoirienne, au moment où Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale récemment réélu face à Évariste Méambly, député du PDCI-RDA, vient de « montrer son pouvoir de nuisance ».
Selon ces sources, Guillaume Soro a lancé un démenti cinglant à ceux qui annonçaient sa mort politique, en allumant en catimini le feu de la contestation dans quatre casernes au centre et au nord du pays (Bouaké, Korhogo, Daola, Daoukro) où il bénéficie historiquement de positions fortes. Motif de la mobilisation des armées : la promesse non tenue du pouvoir de verser rapidement les primes dues aux militaires. Si ces mêmes sources dans les milieux d’affaires -sollicitées séparément par la LC– ne croient que ces événements correspondent à une véritable déstabilisation du régime et une instabilité politique grave, en revanche, elles notent que d’autres bases militaires, comme à Man dans l’ouest, ont cherché à profiter de la situation pour avancer leurs revendications, ce qui illustrerait le fait que l’Armée est « fragile ».
Le programme DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion), soutenu par les bailleurs de fonds, a permis de réintégrer 70 000 combattants dans la société civile, mais l’intégration à l’intérieur de l’Armée des anciennes forces fidèles à Guillaume Soro, elle, est loin d’être achevée, précisent ces sources. « Elle se caractérise par une hétérogénéité des statuts et des niveaux hiérarchiques, défavorables aux anciens combattants des forces rebelles, qui nuit à la réconciliation », précise un de nos interlocuteurs.
Des couteaux déjà aiguisés pour les présidentielles de 2020
Le coup de force en sous-main de Guillaume Soro semble avoir porté ses fruits, puisque, d’après d’autres sources, le 7 janvier au matin, le président de l’Assemblée nationale a été convié à un Conseil de défense, « ce qui est sans doute une première et prouve que le pouvoir avait compris que la contestation avait été attisée par des gens de Soro », remarque un observateur à Abidjan. Autre conséquence du coup de semonce lancé par ce dernier, le 7 janvier après-midi, c’était lui, le président tout juste réélu de l’Assemblée nationale, qui accueillait le chef de l’État de retour du Ghana où il avait assisté à l’investiture de son homologue, Nana Akufo-Addo.
L’ex-dirigeant de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles se relancerait ainsi dans la course aux présidentielles de 2020, année de clôture du deuxième mandat d’Alassane Ouattara. La partie est loin d’être gagnée : celui qui fut Premier ministre d’Alassane Ouattara avant Daniel Kablan Duncan, de 2007 à 2012, devrait être dans trois ans confronté à toute une série de concurrents redoutables, à commencer par Amadou Gon Coulibaly, mais aussi Adama Bictogo, le P-dg de la Société nationale d’édition de documents administratifs et d’identité (Snedai), un proche du clan Ouattara, ou encore Ahmed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur.
D’après nos informations, Guillaume Soro aurait renforcé sa sécurité depuis deux mois. Certains pensent que l’héritier naturel d’Alassane Ouattara est Amadou Gon Coulibaly et que le président de l’Assemblée nationale, qui se considérait comme le dauphin à la fin de la guerre civile, se prépare à engager un bras de force terrible avec le secrétaire général de la présidence. De quoi justifier ce regain de protection ? A Abidjan, au bord de la lagune Ébrié, on s’interroge.
François Pargny
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