Le Coronavirus 2019-nCoV a pris de court tous les prévisionnistes et la décision de l’OMS de décréter cette épidémie comme une « urgence de santé publique internationale », le 30 janvier, a accéléré les mesures d’endiguement dans le monde entier, avec des conséquences économiques dont on commence à peine à mesurer l’ampleur sur la Chine et l’économie mondiale.
Des villes chinoises entières mises en quarantaine et sous quasi couvre-feu en pleine période de congés du nouvel an lunaire ; des compagnies aériennes (dont Air France KLM) qui, les unes après les autres, interrompent ou restreignent drastiquement leur desserte de la Chine ; des pays qui, à l’instar des Etats-Unis ou de l’Australie, interdisent temporairement l’accès aux voyageurs en provenance de Chine et aux ressortissants chinois ; d’autres qui, à l’instar de la France, organisent le rapatriement de leurs ressortissants et de ceux de leur partenaires bloqués à Wuhan, capitale du Hubei d’où est partie l’épidémie ; des événements internationaux reportés par leurs organisateurs à l’instar du Forum de Soshi, le Davos russe, qui devait se tenir du 12 au 14 février ; des indices boursiers chinois qui dévissent (- 9 % pour Shanghai le 3 février à la mi-journée)…
Les événements s’enchaînent à un rythme infernal, et l’on sait que les dégâts économiques et commerciaux seront très importants. Pour la Chine en premier lieu, mais aussi pour le monde, via les perturbations dans les supply chain et l’impact du repli de la demande chinoise. Celle-ci s’est effondrée de 20 % depuis le début de l’année pour le pétrole, un signe qui ne trompe pas.
Plus grave que le SRAS de 2003
D’ores et déjà, l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV est considérée d’ampleur plus importante que celle du SRAS en 2003 : le 2 février, le nombre de personnes contaminées à atteint 17400 – dont 17200 en Chine, à plus de 60 % localisées dans le Hubei-, alors que l’épidémie est en pleine expansion, contre 8437 pour le SRAS en 2003 (dont 5327 en Chine), rappelle Oxford Economics*.
Si le nouveau Coronavirus semble moins mortel que le SRAS (362 morts au 2 février, soit un taux de mortalité à ce jour de 2% contre 10 % pour le SRAS), il est plus contagieux et son expansion est largement favorisée par l’augmentation de la « connectivité » de la Chine, depuis 2003, sur le plan intérieur et avec l’extérieur : si la France compte 5 cas, les Etats-Unis en ont déjà comptabilisé 9, et le premier mort hors de Chine a été signalé début février aux Philippines.
La Chine tourne au ralenti depuis trois semaines avec des milliers d’entreprises et de commerces à l’arrêt. Les congés du nouvel an lunaire, déjà prolongés de 3 jours au niveau national, ont été prolongés encore par certaines municipalités (à Shanghai, jusqu’au 10 février) pour limiter les déplacements de populations.
Prévisions de croissance à la baisse
Dans ce contexte, les économistes du monde entier sortent leurs calculettes et commencent à revoir leur prévisions de croissance pour la Chine, la zone Asie-Pacifique voire l’ensemble de la planète. Et elles sont à la baisse. Même si les mesures de soutien annoncées début février par la banque centrale chinoises pour soutenir l’activité et les secteurs en difficultés -1200 milliards de yuans (soit 156 milliards d’euros) de liquidités injectés dans l’économie via des facilités de refinancement-, rassurent.
Oxford Economics estime que l’épidémie va coûter 2 point de croissance à la Chine au premier trimestre 2020 et 0,6 point sur l’ensemble de l’année : l’institut britannique table à présent sur une croissance du PIB chinois de 5,4 % sur 2020, contre 6 % initialement prévu.
Euler Hermes*, qui vient de publier ses propres estimations, estime pour sa part que l’impact de cette crise sanitaire sur l’économie chinoise et le reste du monde « ne sera pas négligeable » et pourrait coûter jusqu’à 1 point de croissance du PIB à la Chine cette année.
Quant à l’impact sur la croissance de l’économie mondiale, il sera également sensible : Oxford Economics l’estime à 0,25 point, presque deux fois celui du SRAS (0,15 point) à l’époque. Mais la zone Asie-Pacifique, où l’imbrication des supply chain et des marchés est étroite, sera la plus impactée par ce coup d’arrêt à la croissance chinoise : il lui en coûtera 0,4 point de croissance cette année.
Les secteurs les plus touchés : tourisme et consommation
Tourisme et consommation sont considérés comme les secteurs les plus impactés, à court terme, par la situation. L’interruption brutale des voyages, l’annulation en chaîne des programmes touristiques, la fermeture des magasins se passent de commentaires. Or, la consommation a pris un poids majeur dans l’économie chinoise, deux fois plus important qu’à l’époque du SRAS : 50 % du PIB contre 28 % il y a 17 ans, selon Euler Hermes. De quoi peser sur l’économie dans son ensemble.
Oxford Economics estime que la croissance de la consommation chinoise devrait ralentir à +5 % en 2020 (après + 6,8 % en 2019), et que les investissements ne progresseront que de 2 % (4,2 % en 2019). Sur le plan international, les acteurs du secteur du luxe (textile, parfums et cosmétiques, hôtellerie et restauration, etc.), dans lequel la France compte de nombreux acteurs, peuvent légitimement s’inquiéter.
Car l’impact sur la demande chinoise, et donc ses fournisseurs extérieurs, devrait être également important. Oxford Economics table sur une chute de 50 % des seules importations de services liées au tourisme chinois au premier trimestre 2020, avec un effet plus important sur les marchés de la zone Asie-Pacifique.
Les supply chain seront également fortement impactées même si les chiffres précis et globaux manquent encore. Oxford Economics souligne ainsi que le seul Hubei, dont 16 villes ont été mises en quarantaine, abrite d’importants sites industriels dans l’automobile (Général Motors, Peugeot, Citroën, Renault, Nissan) et des centres de R&D importants pour la santé et les NTIC actuellement fermés ou au ralenti.
Cette province pèse également 22 % de la production industrielle chinoise dans la chimie et les minerais non-métallique, 18 % de la production chinoise d’équipements de transport, et 9 % de la production automobile, selon Euler Hermes. Quel seront les conséquences du coup d’arrêt sans précédent sur les supply chain de ces secteurs ?
L’assureur-crédit estime, plus globalement, que les supply chain internationales dans plusieurs grands secteurs industriels pourraient subir des perturbations à court terme si la situation devait perdurer : le textile et les matériel informatiques et électroniques. La Chine représente respectivement 19 % et 17 % de la valeur ajoutée mondiale dans le textile et les matériels informatiques et électroniques. A cet égard, le top 5 des pays les plus dépendants des fournisseurs chinois sont Taiwan, la Corée du sud, les Pays-Bas, la Hongrie et l’Indonésie.
Reste toutefois un gros point d’interrogation : si l’on s’attend à un rebond de l’économie chinoise dès que cette épidémie sera sous contrôle, nul ne sait, aujourd’hui, quand cela interviendra.
Christine Gilguy
*Cet article est inspiré de deux notes d’analyse des organismes qu’il cite :
–Coronavirus outbreak in China : Risks of supply chain disruption increase with time, 31 janvier 2020, Euler Hermes.
–Coronavirus outbreak prompts downward GDP revision, Oxford Economics, 3 février 2020.