Quelques jours après la clôture, le 12 décembre, de la XXIe Conférence des parties sur le climat « COP21 » présidée par la France (30 novembre-12 décembre), sanctionnée par un accord qualifié «d’historique » par de nombreux participants et observateurs*, la Lettre confidentielle revient sur certaines des initiatives et annonces concrètes émanant du monde économique et faites en marge des négociations internationales sur le changement climatique.
Ce sont, parmi bien d’autres**, des signes importants que la prise en compte de la lutte contre le réchauffement climatique, qui a reçu une impulsion décisive à l’occasion de cette Conférence, bouleverse d’ores et déjà la donne dans de nombreux marchés, donc dans de nombreuses activités. En voici une liste non exhaustive.
L’action des institutions financières multilatérales et nationales
Les banques multilatérales de développement (BMD), institutions financières publiques qui financent de nombreux projets clés dans les pays en développement (infrastructures, énergie…), n’ont pas été en reste. Huit banques multilatérales de développement (BMD) ont ainsi publié le 3 décembre, à Paris, une déclaration conjointe dans laquelle elles s’engagent à accélérer leurs efforts pour aider les pays à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter au changement climatique, notamment dans le domaine du transport. Une façon d’accentuer le caractère prioritaire de ces préoccupations.
Ces huit banques sont : la Banque africaine de développement (BAfD), la Banque asiatique de développement (BAsD), Banque de développement d’Amérique latine et des Caraïbes (CAF), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque inter-américaine de développement (BID), la Banque islamique de développement (BIS) et la Banque mondiale (BM).
Ces institutions se sont engagées concrètement à accroître l’assistance financière et technique qu’elles apportent aux pays qui mettent en œuvre des solutions de transport durables selon trois axes : hausse des financements climatiques, c’est-à-dire destinés à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation des émissions de gaz à effets de serre (GES) (la BM s’est engagée à accroître ses financements au titre du climat pour les porter à 29 milliards de dollars annuels) ; soutien aux solutions de transport sobres en carbone (et poursuite de l’harmonisation des outils et indicateurs utilisés pour évaluer les émissions de GES liées aux transports ; soutien à l’adaptation avec le développement conjoint d’une approche systématique pour généraliser la résilience climatique dans les politiques, plans et investissements liés aux transports.
En dehors de cette priorité sectorielle dédiée aux transports, les huit BMD ont aussi annoncé des hausses substantielles de leurs investissements pour le climat, s’engageant aussi à s’assurer que les programmes de développement prennent désormais en compte les risques et les opportunités climatiques :
– La BAfD a annoncé qu’elle allait tripler son financement climatique pour atteindre près de 5 milliards de dollars annuels d’ici 2020.
– La BAsD a annoncé qu’elle ferait plus que doubler son financement annuel climatique, pour atteindre 6 milliards de dollars d’ici 2020 : 4 milliards seront destinés à l’atténuation et 2 milliards à l’adaptation.
– La BERD a indiqué qu’elle allait augmenter sa part de financement climatique et lié à l’environnement de 25 % à 40 % de ses engagements annuels d’ici 2020. Ce qui fournira 20 milliards de dollars sur les cinq prochaines années, contre 20 milliards au cours des dix dernières années.
– La BEI injectera 20 milliards de dollars annuels à l’échelle mondiale sur les cinq années à venir dans le cadre de ses engagements récents en matière de stratégie climatique, soit un total de 100 milliards de dollars, équivalant à au moins 25 % de son volume global de prêts sur la période. L’action en faveur du climat devrait représenter près de 40 % de l’ activité de la BEI en France en 2015.
– La BID a annoncé son objectif de doubler le volume de son financement climatique d’ici 2020, sous réserve du soutien de ses gouverneurs, ce qui correspondrait à une augmentation d’une moyenne de 14 % de ses engagements annuels au cours des trois dernières années, à une moyenne de 25-30 % d’ici 2020.
– La BM, sous réserve du soutien de ses gouverneurs, a annoncé une augmentation d’un tiers de son financement climatique, soit une hausse de 21 % à 28 % de ses engagements annuels d’ici 2020.
Il faut également signaler que quelque 26 institutions financières du nord et du sud, publiques et privées, pesant 11 trillions de dollars, ont adopté 5 principes volontaires pour intégrer l’action climatique dans les institutions financières. Développés par l’International Development Finance Club (IDFC), dont l’Agence française pour le développement (AFD) est membre, ces principes visent à faciliter la transition vers des économies « décarbonées et résilientes ». Les principes mettent en avant des approches concrètes et opérationnelles pour placer les considérations climat au cœur des activités des institutions financières.
Les promesses des institutions financières privées de la Place de Paris
Les institutions financières privées, qui n’ont pas bonne presse depuis quelques années en matière de « finance responsable et de contribution à l’économie durable », ne sont pas en reste et leurs annonces se son multipliées. Dans un communiqué publié le 16 décembre, Paris Europlace en dresse une liste au nom de la Place financière française.
Selon ce communiqué, les banques françaises (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Société Générale) ont annoncé la « réduction massive de leurs investissements dans les industries ayant trait au charbon et le développement des investissements dans les énergies renouvelables ». Dans le secteur de l’assurance, Axa a déclaré en mai dernier lors du Climate Finance Day qu’il allait désinvestir la totalité de ses expositions au charbon d’ici la fin de l’année et tripler ses investissements verts. CNP Assurances a lancé un fonds d’infrastructures vertes et va doubler ses investissements dans les énergies renouvelables d’ici 2017. Les sociétés de gestion françaises (Amundi, Natixis AM, Mirova…) ont annoncé le lancement de fonds d’investissement dans des projets liés à la transition énergétique et se sont engagées à réduire l’empreinte carbone de leurs portefeuilles.
Plusieurs investisseurs français (Amundi, Axa, la Banque Postale AM, BNP IP, la Caisse des Dépôts, Mirova) ont d’ailleurs rejoint deux initiatives lancées ces derniers mois : le Montreal Pledge, regroupement de 120 investisseurs, représentant 10 000 milliards de dollars d’actifs, engagés à mesurer, rendre public et réduire l’empreinte carbone de leurs portefeuilles; Portfolio decarbonization coalition, qui supervise la décarbonation de près de 230 milliards de dollars d’actifs sous gestion gérés par 23 signataires.
Dans le capital-investissement, 5 sociétés représentant 70 milliards d’euros d’actifs sous gestion (Apax Partners, Ardian, Eurazeo, LBO France et PAI Partners) ont créé l’« Initiative
Carbone 2020 » et s’engagent à publier et à réduire l’empreinte carbone de leurs participations à horizon 2020.
Les grands groupes énergéticiens français (EDF et Engie) se sont engagés à ne plus développer de nouveaux projets dans l’industrie du charbon et à « construire massivement » dans le secteur des énergies renouvelables. Le mouvement suit également l’engouement des acteurs français pour les « Green Bonds » (« obligations vertes »), la France étant le 1er émetteur mondial avec 11 milliards de dollars d’émissions en 2014 sur les 50 milliards au total. Parallèlement, Euronext a rejoint la Sustainable Stock Exchange Initiative (SSE) des Nations Unies et annoncé le lancement du premier indice boursier qui mesure la performance énergétique des 100 plus grandes sociétés européennes émettant le plus faible niveau de CO2 dans leurs secteurs.
Une « Mission Innovation » mondiale associant le public et le privé dans 19 grands pays
L’initiative, on s’en souvient, à fait la Une des médias internationaux à l’occasion de l’ouverture de la COP21. François Hollande, Barack Obama et Bill Gates, fondateur multimilliardaire de Microsoft, ont ainsi lancé en grande pompe la « Mission Innovation », une initiative qui vise à augmenter significativement les investissements publics et privés dans les énergies propres. Avec eux, 19 autres chefs d’État, chefs de gouvernement et ministres se sont engagés à doubler, sur 5 ans, le budget alloué à la recherche publique dans l’efficacité énergétique, les technologies bas-carbone, et les énergies renouvelables.
La « Mission Innovation » a pour objectifs de :
– donner à la recherche et développement les moyens de jouer un rôle déterminant dans la lutte contre le dérèglement climatique;
– assurer la conjonction, inédite à cette échelle, d’efforts privés et publics pour permettre à ces projets d’accélérer leur déploiement et de diminuer leur coût ;
– favoriser une diffusion massive de ces technologies ;
– permettre aux pays en développement d’avoir accès à une énergie fiable et abordable, dans le cadre d’un développement immédiatement décarboné.
La France, dans ce cadre, s’est engagée à doubler ses investissements publics en R&D dans la transition énergétique dans les cinq prochaines années par rapport au niveau d’investissement moyen de 2012 à 2015. Ces investissements nouveaux concerneront : les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie et les innovations favorisant les économies d’énergie et la substitution des énergies fossiles, en particulier dans le bâtiment, l’industrie, la mobilité, l’économie circulaire et les réseaux intelligents. Cet engagement s’appuiera sur les moyens du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) et accompagne la stratégie nationale bas-carbone, dont le décret vient d’être publié, au service de la création d’emplois durables.
De son côté, le gouvernement américain s’est également engagé à doubler d’ici cinq ans son niveau actuel d’investissement dans la R&D dans les énergies propres. Les nouveaux financements seront alloués en priorité aux programmes les plus porteurs et novateurs, « les technologies de rupture ». Ces programmes ciblent une large gamme de projets : efficacité énergétique, énergies renouvelables, énergie nucléaire, technologies des réseaux électriques, captage et stockage du carbone, systèmes de transport avancés et carburants innovants.
Outre la France et les États-Unis, 17 autres pays ont d’entrée rejoint l’initiative et annoncé des engagements similaires : l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Chine, la Corée du Sud, le Danemark, les Émirats arabes unis, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Mexique, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède.
Les six recommandations de la communauté mondiale des patrons
Le Medef a organisé, les 8 et 9 décembre, dans l’enceinte de son siège parisien, un Sommet mondial des entreprises sur l’énergie et le changement climatique, réunissant les représentants d’entreprises et de fédérations patronales de 30 pays –Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Australie, Brésil, Canada, Congo, Côte d’Ivoire, Espagne, États-Unis, France, Inde, Italie, Japon, Liban, Maroc, Mexique, Norvège, Pays-Bas, Tanzanie et de l’Union européenne– en vue d’apporter des solutions « concrètes » au défi climatique.
Une déclaration commune a été présentée solennellement le 9 décembre par Pierre Gattaz, président du Medef, Gérard Mestrallet, président directeur général d’Engie et coordinateur du réseau Business dialogue, et Miriem Bensalah-Chaqroun, présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Elle appelle notamment les entreprises « à développer et combiner leurs efforts pour investir dans la recherche et le développement et promouvoir l’innovation » et à « multiplier les partenariats avec la communauté scientifique et universitaire » dans ce domaine. Elle plaide en outre pour des » accords gagnant-gagnant » avec le secteur privé et la poursuite par les organisateurs marocains de la COP22 du « Business Dialogue » gouvernement/entreprises initié par le gouvernement français pour la COP21.
Plus récemment, le président du Medef, surfant sur la dynamique du projet Borloo et de la COP21 a lancé une initiative visant à monter une « Equipe de France de l’électrification de l’Afrique »**.
Des initiatives sectorielles multiples
Toujours en marge des négociations de la COP 21, de nombreuses initiatives plus sectorielles ont été lancées. Nous n’en citerons que quelques unes :
– Une « Alliance solaire internationale »
Le 30 novembre, dès l’ouverture de la COP21, a été lancée l’Alliance solaire internationale (ISA). Plus de 50 gouvernements se sont mobilisés autour de Narendra Modi, Premier ministre d’Inde, François Hollande, président de la République française, Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, et Gérard Mestrallet, P-dg d’Engie, pour le lancement de cette alliance dont le but affiché est de démocratiser et diffuser les technologies solaires.
Sa mission : traiter les questions de l’accès à l’énergie et du réchauffement climatique grâce à des investissements à très grande échelle dans l’énergie solaire ; l’ISA veut encourager une coopération technologique entre les pays industrialisés et pays en développement. Son ambition : installer 1 000 gigawatts de capacité photovoltaïque d’ici 2022 !
À l’occasion du lancement de cette alliance, a d’ailleurs été fondée l’Initiative Terrawatt (TWI), une organisation mondiale à but non lucratif dont l’objectif est de répondre à l’appel des gouvernements et de saisir l’opportunité de mettre en œuvre un nouveau mix énergétique mondial. La mission de la TWI est de collaborer avec l’ISA et ses États membres pour établir les conditions règlementaires nécessaires à un déploiement en masse des capacités de production d’énergie solaire.
« Projet commun entre pays industrialisés et émergents, l’Alliance intéresse aussi le monde de l’entreprise », observait le Journal de l’Environnement dans un article repris par le site d’information Euractiv. D’après le P-dg d’Engie, Gérard Mestrallet, cité dans l’article, pour atteindre l’objectif fixé, il faudra investir de 1 000 à 1 200 milliards de dollars (947 à 1 136 Mds EUR) en 15 ans, dont 70 % pourraient être apportés par le secteur privé. L’Agence internationale qui portera l’Alliance doit être créée en Inde, pays qui ambitionne de porter à 40 % la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique, et dont le Premier ministre souhaite faire une plaque tournante pour l’énergie solaire.
– Une « Alliance mondiale pour la géothermie »
La ministre française de l’Environnement, Ségolène Royal a lancé officiellement le 7 décembre une « Alliance mondiale pour la géothermie (Global Geothermal Alliance) » aux côtés d’Olafur Ragnar Grimsson, président de l’Islande, de Judy Wakhungu, ministre de l’Environnement du Kenya et d’Adnan Z. Amin, directeur général de l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA).
Cette Alliance doit notamment permettre de lancer de nouvelles coopérations technologiques (Engie et l’entreprise islandaise Reykjavik Geothermal ont lancé le jour même une coopération de ce type, pour développer la géothermie au Mexique). Elle doit aussi mobiliser des financements, notamment pour mieux gérer le risque géologique : la France est déjà en première ligne grâce à la création de Geodeep, un fonds de partage du risque de forage permettant de sécuriser les investisseurs.
La prochaine COP aura lieu au Maroc dans deux ans : il sera temps de voir, pour cette COP22, si toutes ces initiatives ont été concrétisées.
Venice Affre
*Pour des détails factuels sur la COP21 et « l’Accord de Paris », consultez le site officiel français www.gouvernement.fr/action/la-cop-21 ou celui de l’UNFCC (United Nation Framework Convention on Climate Change) qui publie la version finale, en anglais, de l’Accord (unfccc.int/documentation/documents/advanced_search/items/6911.php?priref=600008831)
**Lire également dans la LC d’aujourd’hui : Afrique / Medef : Frédéric Vincent (Nexans) chargé de créer une « Equipe de France de l’électrification de l’Afrique »