Pour ceux qui douterait de l’utilité du Conseil commerce et technologie (CCT) mis en place le 15 juin 2021 par l’Union européenne (UE) et les États-Unis pour servir de cadre à une reprise du dialogue et de la coopération transatlantique après 5 ans de gel sous l’ère Trump, le bilan de la deuxième réunion ministérielle de cette instance, qui se tenait à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Paris-Saclay les 15 et 16 mai, pourrait les faire changer d’avis. Revue de détail.
Sur un point en particulier, l’utilité du CCT, qui avait tenu sa première réunion en septembre 2021 et lancé à cette occasion 10 groupes de travail*, a été probante : la coordination des actions des deux blocs à l’encontre de la Russie. C’est en effet le CCT qui, selon un communiqué final de la Commission européenne à l’issue du Sommet (voir les points clés à la fin de cet article), a « servi à coordonner l’adoption de mesures conjointes par l’UE et les États-Unis face à l’agression russe contre l’Ukraine ».
Coopération accrue dans plusieurs domaines sensibles
Ainsi en matière de contrôle des exportations, « la coopération dans le cadre du CCT a joué un rôle déterminant dans la mise en place rapide et harmonisée de contrôles sur les exportations de technologies avancées, notamment dans les domaines de l’aérospatiale et de la cybersurveillance, afin de compromettre la possibilité pour la Russie de poursuivre le développement de ses capacités industrielles et militaires. »
Autre domaine où le CCT s’est révélé fort utile en ces temps de tensions géopolitiques : renforcer la résilience de certaines chaînes d’approvisionnement déjà fragilisées par la crise sanitaire, et à nouveau menacées par la guerre en Ukraine. Dans ce domaine, UE et les États-Unis affichent leur volonté commune de « coopérer étroitement ». A commencer par les semi-conducteurs : les deux blocs ont ainsi convenu de « mettre au point un mécanisme commun d’alerte précoce et de surveillance pour les chaînes de valeur des semi-conducteurs, afin de sensibiliser davantage aux ruptures d’approvisionnement et de mieux s’y préparer, et de développer les échanges d’information afin d’éviter une course aux subventions ».
Par ailleurs, les deux blocs ont mis en place « un groupe de travail spécial sur le financement public d’infrastructures numériques sûres et résilientes dans les pays tiers » qui doit ouvrir la voie « au financement public conjoint, par les États-Unis et l’UE, de projets numériques dans les pays tiers, sur la base d’un ensemble de principes généraux communs ».
L’ère Trump définitivement enterrée
A l’issue du Sommet du CCT de Paris-Saclay, dans une déclaration commune, l’UE et les États-Unis ont par ailleurs confirmé « leur étroite coopération afin de relever les défis mondiaux en matière de commerce et de technologie conformément à leur engagement commun en faveur de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme ».
Autrement dit, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, face à laquelle le monde occidental fait bloc, l’ère Trump est définitivement enterrée et il s’agit bien de reconstruire « un agenda positif commun », comme on aime à le rappeler dans l’entourage de Franck Riester, ministre en Charge du Commerce extérieur.
« Cette coopération va au-delà de notre réaction à la guerre, a notamment commenté Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique et coprésidente du CCT dans le communiqué de l’UE. Avec nos partenaires transatlantiques, nous pouvons créer une vision positive pour nos économies et pour une gouvernance démocratique de l’internet fondée sur la dignité et l’intégrité de l’individu. Lorsque nous agissons ensemble, nous pouvons fixer les normes de l’économie de demain. En unissant nos forces, nous parviendrons, comme cela se produit lorsque deux partenaires aussi déterminés prennent l’initiative, à changer le cours des événements.»
Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif et commissaire au Commerce, et coprésident du CCT, a ainsi salué le fait que les deux blocs coopéraient désormais dans le cadre du CCT en tant que « partenaires de confiance ». Et d’égrener les domaines d’action désormais concertés : « Nous coopérerons étroitement pour sécuriser nos chaînes d’approvisionnement et renforcer la sécurité alimentaire mondiale. Nous nous appuierons sur notre coordination transatlantique sans précédent en matière de contrôle des exportations vers la Russie pour poursuivre l’harmonisation de nos approches dans ce domaine critique, tout en stimulant les échanges commerciaux avec l’Ukraine. Nous coopérerons également pour promouvoir le commerce vert, par exemple au moyen de marchés publics écologiques.»
Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, promet des résultats concrets : « Après que nous avons réussi à résoudre avec les États-Unis la question des goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement des ingrédients des vaccins, je suis heureux de constater qu’il existe une ambition commune pour renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement dans d’autres domaines, des matières premières aux semi-conducteurs. Le sommet de Paris est un moment important pour permettre au Conseil du commerce et des technologies de transformer le dialogue transatlantique en résultats concrets.»
C.G
*Les dix groupes de travail portent sur les thématiques suivantes : standards technologiques ; climat et clean Tech ; sécurité des supply chains ; compétitivité et sécurité des ICTS ; gouvernance des données et plateformes technologiques ; utilisation des technologies menaçant la sécurité et les droits humains ; coopération en matière de contrôle des exportations ; coopération en matière de contrôle des investissements ; promotion de l’accès des PME aux technologies et à leurs usages ; défis du commerce mondial.
Les points clés du CCT de Paris-Saclay
Voici les principaux résultats du deuxième CCT selon un communiqué de presse de la Commission européenne :
-Soutien à l’Ukraine
Les coprésidents du CCT ont exprimé leur engagement ferme et partagé à soutenir l’Ukraine contre l’agression militaire russe et se sont mis d’accord sur des mesures concrètes qui ont déjà été mises en œuvre et seront poursuivies dans le cadre du CCT. Ils se sont également engagés à collaborer avec l’Ukraine pour reconstruire son économie et faciliter les échanges et les investissements.
-Intégrité de l’information
Ils sont convenus de renforcer leur coopération pour soutenir l’intégrité de l’information dans les situations de crise, en se concentrant dans un premier temps sur un cadre analytique commun permettant de repérer la manipulation de l’information et l’ingérence de la part de la Russie, ce qui conduira à la mise en place d’un réseau de coopération dans toutes les situations de crise.
-Dialogue sur le commerce et le travail
Les coprésidents sont convenus d’instaurer un dialogue tripartite sur le commerce et le travail afin de promouvoir conjointement les droits des travailleurs reconnus au niveau international, y compris l’éradication du travail forcé et du travail des enfants.
-Contrôles des exportations
La coopération dans le cadre du CCT a joué un rôle déterminant dans la mise en place rapide et harmonisée de contrôles sur les exportations de technologies avancées, notamment dans les domaines de l’aérospatiale et de la cybersurveillance, afin de compromettre la possibilité pour la Russie de poursuivre le développement de ses capacités industrielles et militaires. Les deux parties se sont engagées à prolonger et à renforcer cette solide collaboration.
-Des chaînes d’approvisionnement sûres
Les chaînes d’approvisionnement mondiales étant de nouveau fragilisées par l’agression russe contre l’Ukraine, les deux parties sont convenues qu’il était plus important que jamais de coopérer étroitement pour favoriser la résilience des chaînes d’approvisionnement. Par exemple, l’UE et les États-Unis sont convenus de mettre au point un mécanisme commun d’alerte précoce et de surveillance pour les chaînes de valeur des semi-conducteurs, afin de sensibiliser davantage aux ruptures d’approvisionnement et de mieux s’y préparer, et de développer les échanges d’information afin d’éviter une course aux subventions.
Un groupe de travail spécial sur le financement public d’infrastructures numériques sûres et résilientes dans les pays tiers ouvrira également la voie au financement public conjoint, par les États-Unis et l’UE, de projets numériques dans les pays tiers, sur la base d’un ensemble de principes généraux communs.
-Normes technologiques
Dans le domaine des technologies émergentes, l’UE et les États-Unis sont convenus de mettre en place un mécanisme d’information stratégique sur la normalisation afin de promouvoir et de défendre des intérêts communs dans le cadre des activités internationales de normalisation. Les deux parties s’emploieront à favoriser l’élaboration de normes techniques harmonisées et interopérables dans des domaines d’intérêt stratégique commun tels que l’intelligance artificielle (IA), la fabrication additive, le recyclage des matériaux ou l’internet des objets.
-Intelligence artificielle
Les deux parties sont convenues d’élaborer une feuille de route commune sur des outils d’évaluation et de mesure pour une IA digne de confiance et la gestion des risques.
-Gouvernance des plateformes
L’UE et les États-Unis ont confirmé leur soutien à un Internet ouvert, mondial, interopérable, fiable et sûr, conformément à la déclaration sur l’avenir de l’internet et à la déclaration sur les droits et principes numériques européens. En outre, l’UE et les États-Unis sont convenus de renforcer leur coopération sur des aspects essentiels de la gouvernance des plateformes.
-Accès des PME à la technologie de cybersécurité
L’UE et les États-Unis ont publié le 16 mai un guide commun de bonnes pratiques, qui comprend des ressources pour permettre aux PME d’améliorer leur cybersécurité.
-Aspects du commerce et de la technologie liés à l’environnement et au climat
La promotion de la durabilité est l’une des ambitions premières du CCT. Dans cet esprit, les ministres sont convenus de travailler sur des questions liées au commerce et à l’environnement/au climat, notamment pour favoriser une meilleure compréhension du rôle que le commerce peut jouer pour faciliter la diffusion des biens et services environnementaux, renforcer la coopération en matière de marchés publics écologiques et mettre au point des méthodes communes de calcul de l’empreinte carbone.
-Obstacles au commerce
Les ministres sont convenus de travailler ensemble à des solutions qui contribueront à accroître les échanges et les investissements transatlantiques, notamment par une coopération renforcée en matière de marchés publics et d’évaluation de la conformité, et par des échanges sur les nouveaux obstacles potentiels au commerce, tant au niveau bilatéral qu’en ce qui concerne les pays tiers. Ils sont également convenus de coordonner leurs efforts pour lutter contre les politiques non fondées sur le marché, tout en s’efforçant d’éviter les effets collatéraux sur l’autre partenaire.