La période est sans aucun doute déroutante pour les conjoncturistes du commerce international : d’un côté, la conjoncture économique est porteuse, avec une reprise dans les économies avancées et de meilleures perspectives à l’export pour bien des pays, y compris ceux de la zone euro et la France ; de l’autre, la menace protectionniste venue des Etats-Unis commence à se concrétiser, mais de façon très confuse (annonces de taxes de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium par le président Trump suivies, face au tollé mondial, d’une avalanche d’exemptions et d’un recentrage sur la cible Chine…) tandis que les incertitudes sur l’issue des négociations du ‘Brexit’ demeurent.
Dans ce contexte, on imagine sans mal que les dirigeants entreprises peinent à se forger une vision claire et tranchée des perspectives de leurs activités à l’international. Une impression confirmée par les principales tendances qui se dégagent du dernier sondage d’opinion réalisé par la banque HSBC auprès de 6033 entreprises de taille moyenne (ETM) –ETI pour la terminologie française- et publié sous le titre : « Navigator : now, next and how for business ». A bien des égards, les entreprises naviguent entre un optimisme sur leurs perspectives de développement et la crainte d’un regain de protectionnisme qui pourrait freiner leurs échanges.
Entre optimisme et crainte du protectionnisme
Au plan mondial, plus des trois quarts des entreprises interrogées (77 %) anticipent en effet, une augmentation des échanges internationaux et sont donc optimistes pour le développement de leurs affaires hors de leurs frontières : 33 % estiment que la demande pour leurs produits va progresser, 31 % qu’elles bénéficieront de conditions économiques plus favorables et 22 % anticipent un usage plus intensif des nouvelles technologies, selon cette étude.
Mais elles sont 61 % à estimer que leurs gouvernements sont en train de devenir davantage protectionnistes. Ce sentiment est très élevé parmi les répondants installés dans les zones géographiques du Moyen-Orient / Afrique du nord (70 %), d’Asie / Pacifique (68 %) et aux Etats-Unis (61 %) alors qu’il est plus modéré (50 % des répondants) en Europe.
En France même, 49 % des interrogés partagent ce sentiment et près d’un tiers (30 %) anticipent une hausse des coûts liés à leurs échanges internationaux. De quoi inciter certains – 24 % des répondants en France, soit 1 sur 5- à envisager une implantation à l’étranger pour contourner la menace de nouvelles barrières au commerce.
Les ETI plébiscitent les accords de libre échange régionaux
Y-a-t-il un lien de cause à effet ? Le fait est que selon l’étude HSBC, les entreprises sont nombreuses à privilégier un développement de leur activité dans leur « région d’origine » : en Europe et en Asie-Pacifique, elles sont ainsi 74 % à opérer sur leur zone et à mettre celle-ci en avant dans leur plan d’affaires. En Europe, 54 % estiment que leur zone d’origine sera aussi celle qui générera le plus de croissance pour elles dans les 5 prochaines années.
Les accords ou initiatives de libre-échange à l’échelle de leur zone d’origine sont d’ailleurs perçus par les entreprises interrogées comme ceux ayant le plus d’impact sur leurs affaires : elles sont 40 % en Chine à trouver efficace la Nouvelle route de la Soie et 37 % la Stratégie 2025 pour l’Asean. En France, près de 48 % des ETI estiment que l’Espace économique européen (EEE) a un impact favorable sur leur activité, contre 35 % pour l’accord CETA UE/Canada et 29 % pour l’accord UE/Japon en cours de finalisation.
France : moins performante à l’export que les concurrents de la zone euro
Les perspectives des entreprises en France sont plutôt positives selon l’étude HSBC : 66 % anticipent une augmentation en volume de leurs échanges internationaux en 2018, et même une majorité -62 %- exprime un besoin accru de services de trade finance. Les trois marchés qui arrivent en tête des citations comme moteurs d’expansion dans les 3 à 5 ans sont les Etats-Unis (16 % des répondants), l’Allemagne (13 %) et l’Italie (10 %).
Toutefois relève HSBC, la part des entreprises françaises qui anticipe une augmentation de leurs exportations cette année est très en dessous de la moyenne mondiale avec 11 point de moins et 7 points en dessous de celle de l’Allemagne. « La France devrait continuer à être moins performante que ses concurrents de la zone euro au moins au plan commercial, alors que des problèmes structurels pèsent encore sur la compétitivité française », estime l’étude, qui rappelle que des améliorations pourraient être obtenues si les réformes qui touchent à la compétitivité sont mises en œuvre.
Pour l’heure, deux sujets de préoccupation se dégagent pour les ETI françaises, qui apparaissent pour le moins partagées sur les conclusions à en tirer. D’abord sur les perspectives du marché américain, deuxième partenaire commercial de la France après l’Allemagne, dans l’hypothèse d’un virage protectionniste impulsé par l’administration Trump : la part de celles qui y voient un frein aux échanges est identique à la part de celles qui estiment le contraire, soit 27 %…
Même sentiment partagé pour le ‘Brexit’ : elles sont autant -30 %- à considérer que cela entraînera une réduction des échanges commerciaux avec le Royaume Uni qu’à anticiper au contraire une augmentation. Les ETI françaises inquiètes sont moins nombreuses que les Irlandaises (75 %) et les Polonaises (42%) mais dans la moyenne européenne (38 %). Tout dépendra de l’accord qui sera scellé entre Londres et Bruxelles, alors que le Royaume Uni est le troisième débouché pour les exportations de biens et le premier pour les services français.
Près d’un tiers des exportations françaises devrait se diriger vers les marchés émergents
D’une manière générale, HSBC estime que les ETI –ou ETM- s’en sortent bien dans ce contexte changeant : « globalement, les ETM font preuve d’une remarquable agilité pour naviguer dans le paysage sans cesse changeant des politiques commerciales » commente Régis Barriac, directeur de l’International d’HSBC, dans un communiqué. « Il faut renforcer cette tendance car l’export est un relais de croissance majeur pour les entreprises françaises, avec une perspective de développement remarquable dans les pays émergents : près d’un tiers des exportations françaises devraient se diriger vers ces marchés d’ici 2030. Il faut savoir profiter des initiatives multilatérales comme Les nouvelles routes de la soie, qui nécessitent des investissements énormes en infrastructures qui sont autant d’opportunités pour nos ETM au savoir-faire reconnu ».
D’après HSBC, sur la période 2021-2030, le top cinq des biens à l’export pour la France seront les équipements de transports (28 % de contribution à la croissance des exportations sur la période, soit 10 points de plus que sur la période 2017-2021 selon l’étude), les biens d’équipements industriels (27 %), les produits chimiques (6 %) et notamment les produits pharmaceutique (10 %), les produits agricoles (4 %).
La banque anticipe un taux de croissance moyen de 5 à 6 % par an pour l’ensemble des exportations de biens entre 2017 et 2030, avec une hiérarchie des débouchés au sommet qui resterait stable : Allemagne n° 1, Etats-Unis n°2, Royaume-Uni n°3, Chine n° 4 et Pologne n° 5. Toutefois, à long terme, HSBC anticipe une forte progression des exportations françaises vers le Vietnam, l’Inde et la Chine, être de l’ordre de 8 à 9 % par an sur la période 2021-2030, de sorte que les pays émergents dans leur ensemble pourraient représenter un tiers des exportations françaises de biens en 2030, 6 points de plus qu’en 2016.
Mais la part des services (notamment les services aux entreprises et le tourisme) devrait augmenter à 46 % du total des exportations de biens et services au cours de cette période.
Christine Gilguy
Pour en savoir plus :
-La rapport intégral est consultable (en anglais) au lien suivant : http://www.business.hsbc.com/trade-navigator/research-results
-Une copie (en français) du rapport France est dans le Pdf attaché à cet article
Pour prolonger :
–Export / Enquête : les PME exportatrices toujours plus optimistes que les autres (Bpifrance Le Lab)
–“Brexit”: les PME françaises doivent se préparer sans attendre
–Accompagnement / Export : les bons comptes des accélérateurs de Bpifrance
–Etats-Unis / Protectionnisme : l’UE peine à définir une stratégie face aux menaces de D. Trump
–Exclusif : Ch. Lecourtier veut « donner aux PME l’envie d’exporter »
Et aussi :
– Notre dossier paru fin novembre 2017 dans un numéro spécial du Moci (2048-2049) : 200 000 exportateurs en 2022, enquête sur un défi français
–Le palmarès 2017 des PME & ETI leaders à l’international – 9e Edition (Le Moci)