Malgré le déclenchement de la guerre d’Israël contre le Hamas dans la bande de Gaza après les actes terroristes du 7 octobre, le projet géostratégique de nouveau corridor de communication et d’échange entre l’Europe et l’Asie IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor) est toujours d’actualité. C’est même un projet qui pourrait contribuer à construire « l’après », à condition que la paix revienne dans Gaza dévastée. Gérard Mestrallet, le représentant spécial pour la France, a briefé début juillet les Conseillers du commerce extérieur sur son état d’avancement.
Gérard Mestrallet, le représentant spécial de la France pour l’IMEC (India-Middle East-Europe Economic Corridor), ne ménage pas sa peine pour faire connaître les ambitions de ce grand projet géostratégique de corridor commercial et de communication Asie-Europe aux milieux d’affaires français. Il en a fait des présentations à diverses occasions depuis sa nomination en février dernier par Emmanuel Macron, dont lors de la dernière assemblée générale des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCE) le 1 er juillet.
Devant les CCE, l’ancien patron d’Engie et de Suez a parlé sans détour : IMEC est un « canal de Suez du XXIe siècle », qui se positionne comme un concurrent de la stratégie chinoise Road and Belt Initiative (BRI, ou nouvelles routes de la soie) et qui vise ni plus ni moins qu’à « éviter l’isolement de l’Occident que souhaitent la Russie et la Chine ». « C’est parfaitement vrai » a déclaré Gérard Mestrallet. De fait, malgré leur appartenance au groupe des BRICS+, l’Inde, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ne sont pas sur la ligne agressive de Pékin et Moscou et ont signé pour l’IMEC.
Le lancement du projet, fortement soutenu par les États-Unis, remonte au G20 de Delhi en 2023. Un protocole d’accord avait été signé le 9 septembre, en marge du Sommet, par huit grandes puissances économiques : États-Unis, Arabie Saoudite, Inde, EAU, France, Allemagne, Italie et Union européenne.
Un Corridor terrestre et maritime sur 7000 km
Le représentant de la France en a rappelé les grandes lignes.
D’un coût total d’environ 500 milliardsEn résumé, son ambition est de créer un corridor d’échange et de communication sur 7000 km (par terre et mer), sécure et « vert », qui relierait la côte ouest de l’Inde (Mumbai) à l’Europe via la zone arabique (Emirats arabes unis, Arabie saoudite, Israël) et la mer Méditerranée sans passer par le canal de Suez. Au passage, ce corridor, tout en réduisant les coûts de transport de 30 à 40 %, irriguerait les hinterlands des zones traversées.
Il comporterait des routes commerciales (terrestres par route et chemin de fer, et maritimes) mais aussi une ligne électrique haute tension, une liaison numérique haut débit, une conduite d’hydrogène vert. Le port de sortie sur la Méditerranée dans le projet initial est Haïfa (après un transbordement à Dubaï et un transport par chemin de fer depuis Dubaï vers le port israélien), en Israël, avec un projet de hub qui s’intégrait dans la suite des accords d’Abraham et le processus de normalisation des relations entre les pays arabes et Israël. « Peu après la signature de cet accord, le Hamas a attaqué Israël » a observé Gérard Mestrallet.
Concernant le port d’arrivée en Europe, la France pousse la candidature du port de Marseille, dont des investissements en cours doivent le positionner comme un hub en Méditerranée pour l’hydrogène vert. Le port phocéen est également bien positionné pour desservir par voie fluvial le centre économique de la région de Lyon. Un projet de contournement par voie ferroviaire de la métropole rhônalpine est aussi à l’étude. L’objectif serait de « quadrupler les flux de conteneurs à Marseille » selon Gérard Mestrallet. Mais il y a de la concurrence, italienne en particulier.
Où en est-on aujourd’hui ?
« On peut commencer par ces études malgré la guerre »
Si la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza continue depuis plus de neuf mois malgré les critiques de la communauté internationale et sans que ne se profile un accord de paix, le projet est loin d’être abandonné.
D’après Gérard Mestrallet, les pays participants doivent se mettre d’accord sur l’organisation de la gouvernance d’IMEC (pour le moment, la France est le seul pays à avoir désigner un représentant permanent). Il est question de mettre sur pied un comité de pilotage (Steering Committee). En parallèle, il faut lancer des études de faisabilité, à commencer par celles sur les infrastructures existantes et à construire, ainsi que les études de trafic. « On peut commencer par ces études malgré la guerre » a estimé Gérard Mestrallet. « Il faut positionner IMEC comme le projet du jour d’après. »
Côté français, on s’active pour avancer. Le représentant spécial a constitué une « petite équipe d’experts » composée de hauts fonctionnaires issus de différentes grandes administrations dont celles des Armées, de Bercy et du Quai d’Orsay. « Nous avons déjà organisé des contacts bilatéraux avec des interlocuteurs des pays signataires et d’autres pays ».
« Le bon moment pour l’Occident »
Pour les pays non-signataires, il s’agit principalement de la Jordanie et de l’Égypte. « Nous les avons rassurés, a témoigné Gérard Mestrallet. Nous ne voulons pas concurrencer le canal de Suez, nous voulons générer des échanges supplémentaires ». D’après lui, avant l’IMEC, les prévisionnistes tablaient déjà sur une progression des échanges entre l’Inde et l’Europe de 6 %, de 114 milliards à 175 milliards d’euros. Et de préciser que l’Égypte est considéré comme un « back-up » possible en cas d’impossibilité d’utiliser Haifa, avec son port d’Alexandrie comme « port de secours ».
Pour le représentant de la France, alors que le modèle chinois BRI se heurte aujourd’hui aux réticences d’un certain nombre de pays émergents et en développement qui ont vu leur endettement vis-à-vis de la Chine exploser, c’est « le bon moment pour l’Occident pour pousser un concept non dominateur et plus responsable du point de vue environnemental ». D’après lui, les investissements nécessaires à l’IMEC se montent à plus de 500 milliards d’euros.
La perspective d’une réélection du Républicain -et populiste- Donald Trump met-il en péril l’engagement américain dans ce projet porté par l’administration démocrate de Joe Biden ? Il y a de l’incertitude mais Gérard Mestrallet ne semble pas exagérément inquiet à ce sujet : « je peine à croire que les Etats-Unis se désintéressent du reste du monde » a-t-il indiqué. Et de remarquer qu’au moment de la signature de l’accord, la presse américaine a abondamment parlé de l’IMEC, contrairement à la presse européenne. C’est elle qui a sorti la première une estimation des investissements nécessaires à 600 milliards de dollars, dont un tiers assumé par les Etats-Unis.
Christine Gilguy