Le verdict est tombé fin juillet sur le commerce extérieur français : non, le déficit commercial français ne continuera pas à baisser cette année. Il a atteint près de 24 milliards d’euros (Mds EUR)* au premier semestre (S1), 23,981 Mds exactement, soit 1,59 Md de plus de plus que sur la même période de 2015 et 1,1 Md de plus que lors du deuxième semestre (S2) 2015.
De fait, avec une baisse de -1,4 % (223,491 Mds EUR) les exportations ont fléchi plus rapidement que les importations (-1 %, à 247,472 Mds EUR), creusant à nouveau le déficit… En cause, un recul des ventes de l’industrie manufacturière, en premier lieu l’aéronautique et la chimie. Dans un contexte marqué par une faible croissance de l’économie et du commerce au niveau mondial, les deux principaux moteurs de la réduction du déficit qu’ont été, ces deux dernières années, la baisse des prix du pétrole (à l’import) et la faiblesse de l’euro (à l’export) semblent donc ne plus fonctionner. Le regain espéré de la demande, stimulant pour les exportations, n’est pas au rendez-vous.
Un déficit manufacturier qui annule le nouvel allègement de la facture énergétique
Pour les douanes françaises, cette aggravation s’explique ainsi « par l’élargissement du déficit manufacturier qui l’emporte sur l’allègement de la facture énergétique ». Hors matériel militaire en effet, le solde du secteur de l’industrie manufacturière s’est établi à -32,7 Mds EUR (CAF-FAB) au S1 2016, après -31,8 Mds au S2 2015. De quoi annuler l’effet positif du nouvel allègement de la facture énergétique estimé à 4 Mds EUR au cours des 6 premiers mois de l’année.
Matthias Fekl en a d’ailleurs convenu : « nous bénéficions moins que l’année dernière du diptyque ‘euro faible-pétrole bas’ » a déclaré le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur dans une interview au Figaro le 5 août dernier. « Ce cocktail rend difficile une amélioration de la situation dans l’immédiat ». Et ceci malgré les mesures d’allègement de charges destinées à améliorer la compétitivité des entreprises qu’il cite par ailleurs dans le même entretien.
Après un pic record à 75 Mds EUR en 2011, le déficit commercial avait été progressivement ramené à 45 Mds EUR l’an dernier, le gouvernement espérant se rapprocher du seuil des 40 milliards en 2016, ce qui sera probablement hors d’atteinte. Cette tendance est d’autant plus décevante que selon les derniers chiffres de l’institut européen de la statistique Eurostat, publiés au début de cette semaine, l’excédent commercial global de la zone euro -dont fait partie la France- a, lui, augmenté de 23 Mds EUR par rapport au S14 2015, pour s’établir à 134,5 Mds EUR. Seul bémol : cet excédent est exclusivement généré par l’Allemagne et sa hausse proviendrait surtout de la chute des importations alors que les exportations de la zone euro ont chuté de -3 %, deux fois plus vite que celle de la France.
Pour autant, au-delà de ce bilan global, à l’exportation, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. L’analyse détaillée par secteur des statistiques des douanes est dans le document Pdf attaché à cet article. Mais voici une revue des principaux faits marquants que nous avons relevé dans les dernières statistiques semestrielles livrées par les douanes.
Secteurs en forme : agriculture, luxe, pharmacie, véhicules automobiles, matériels de transports hors aéronautique
Construction naval et œuvres d’arts ont fait des scores quelque peu exceptionnels, le premier grâce à la livraison du plus grand paquebot du monde en mai, le second en raison de ventes record enregistrées vers la Suisse au début de l’année, selon les douanes. Mais plusieurs autres secteurs ont bien résisté au reflux de la demande mondiale.
–Les produits agricoles, dont les ventes sont portées par les exportations de céréales vers les trois principaux clients que sont l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ainsi que le Maroc.
Ainsi, les exportations de produits agricoles/sylvicoles/pêche/aquaculture ont atteint 7,77 Mds Euro au S1 2016, soit un léger redressement par rapport au S2 2015 (+0,2 %), même si elles restent inférieures au montant du S1 2015 (-0,2 %). Le secteur reste excédentaire au cours de ce premier semestre avec + 1,013 Md EUR.
–Les produits de luxe (maroquinerie-bagagerie, joaillerie, parfums et cosmétiques, articles habillement), sont signalés en forme, malgré un essoufflement des ventes d’articles d’habillement.
Ainsi, les exportations ont progressé de 3,3 % par rapport au S1 2015 et de 0,1 % par rapport au S2 pour les produits textiles/habillement/cuir et chaussure (11,323 Mds EUR), mais le solde reste déficitaire de -6,9 Mds EUR.
Dans la branche produits chimiques/parfums/cosmétiques, la performance des deux derniers à contribué à contenir la chute des exportations chimiques, notamment vers les principaux clients européens. Avec 25,413 Mds EUR, le recul des exportations de cette famille de produits atteint -4,8 % par rapport au S1 et au S2 2015, mais elle reste néanmoins largement excédentaire (4,586 Mds EUR).
–Les produits pharmaceutiques font incontestablement partie des produits qui restent en forme avec des exportations de 14,776 Mds EUR au S1 2016 (-2 % par rapport au S1 2015, mais +1,4 % sur le S2 2015), et un solde excédentaire de 1,725 Md (après 1,225 Md au S2 2015 et 1,928 au S1 2015).
– Pour les véhicules automobiles, contrairement aux équipements, c’est nettement le retour. La reprise des exportations, sensible depuis 2013, s’est renforcée au premier semestre avec une progression de +1,6 %, approchant les 15 Mds euros (après + 0,9 % au semestre précédent), même si elle reste encore insuffisante pour réduire le déficit de ce secteur. Cette reprise est à mettre à l’actif du redressement de la production automobile en France, lié aux accords de compétitivité passés par les constructeurs français.
– Matériels de transport hors aéronautique : hors aéronautique, qui à subi le contrecoup d’une baisse des livraisons d’Airbus sur les 6 premiers mois de l’année, plusieurs autres secteurs ont progressé à l’export, comme signalé plus haut.
La livraison en mais du paquebot de croisière géant “Harmony of the Seas” à la compagnie américaine Royal Caribbean Cruise pour près de 1,1 milliard d’euros a dopé les résultats de la construction navale.
Les exportations de matériels ferroviaires ont aussi contribué à soutenir les performances de ce secteur (Maroc, Venezuela, Kazakhstan). De même que la reprise des ventes de véhicules automobiles –un secteur stratégique de l’industrie dont la production se redresse grâce aux accords de compétitivité passés avec l’Etat-, qui s’est poursuivie au cours du S1 2016 (+1,2 % par rapport au S2 2015, à 21,572 Mds EUR).
Au total, le secteur des matériels de transport reste globalement excédentaire (+4,623 Mds EUR) au premier semestre 2016, mais à surveiller de près car l’excédent a diminué de moitié (+7,2 Mds EUR au S2 2015, + 8 Mds EUR au S1 2015…).
Secteurs à surveiller : Aéronautique et spatial, équipements automobiles, agroalimentaire, produits divers de l’industrie…
–Aéronautique et spatial : c’est justement le fort recul des livraisons des secteurs aéronautique et spatial qui explique pour beaucoup le repli des exportations françaises au S1 2016 et la fonte de l’excédent des matériels de transport (lire plus haut). Il est vrai que leur montant avait atteint un record l’an dernier. C’est ainsi qu’il s’est établi à 27 Mds EUR au S1 2016, après deux semestres successif à 29 Mds EUR ! D’après les douanes, les ventes d’avions sont en baisse partout dans le monde sauf en Europe, avec une tendance plus accentuée vers l’Asie (dont Chine) et le Proche et Moyen Orient (Qatar). Même tendance pour les satellites, après un bon cru 2015.
– Equipements automobiles : l’excédent s’érode fortement au fil des semestres en raison des délocalisations de sites de production dans le sillage de celles des constructeurs : il n’est plus que de 0,2 Md EUR au S1 2016, après 0,5 Md au S2 2015… Une tendance qui va peser, à l’avenir, sur le solde commercial du secteur automobile, qui avait pourtant tendance à s’améliorer…
– Industrie agroalimentaires : les produits des IAA sont en petite forme. Au S1 2016, avec 21,873 Mds EUR, leurs exportations ont reculé de -2 % par rapport au S2 2015 et de -1,2 % par rapport à la même période de l’an dernier. En cause : principalement un recul des ventes de boissons (Royaume-Uni, Allemagne, Singapour, Japon) et d’aliments pour animaux (Pays-Bas notamment). Du coup, l’excédent, qui reste substantiel, s’érode : il est passé sous la barre des 3 Mds EUR au S1 2016, après 3,24 Mds au S2 2015 et 3,262 au S1 2015…
–Autres produits industriels : le recul des exportations ayant touché la plupart des secteurs, certes dans des proportions variables selon les cas, citons les cartes et composants électroniques, les instruments de mesure, les appareils électriques et les machines industrielles, dont les ventes ont fléchi à l’export. Le recul a toutefois été plus fort pour les produits énergétiques (en raison d’une nouvelle baisse des ventes de produits raffinés vers les Pays-Bas, la Belgique et les Etats-Unis).
C.G
*Il s’agit du solde FAB-FAB, incluant le matériel militaire. Hors matériel militaire, les soldes par produits sont donnés CAF-FAB