Alors que le projet de loi (PJL) Alimentation issu des concertations dans le cadre des États généraux de l’alimentation (EGA) doit donner un nouveau souffle à la filière, Jean-Philippe Girard, qui préside l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), a fait part de son inquiétude, lors d’une conférence de presse, qui s’est tenue à Paris le 19 mars. La distribution n’a en effet pas tenu ses engagements, et l’export est devenu un ballon d’oxygène stimulant.
Le P-dg d’Eurogerm, société qu’il a fondée en 1989, affirme que les bonnes dispositions prises lors des EGA (juillet-décembre 2017) n’ont pas été tenues dans les faits par la distribution, qui s’est engagée dès le renouvellement des contrats avec ses fournisseurs dans une guerre des prix.
Ainsi, en compulsant les données de son dernier Observatoire des négociations commerciales lancé le 5 mars dernier, l’Ania a pu établir que 46 % des entreprises consultées considèrent que leurs relations avec les distributeurs se sont dégradées. Et pour 71 %, l’augmentation du coût de leurs matières premières n’a pas été prise en compte.
Remonter sur le podium des exportateurs mondiaux
A cette situation, « l’export est une réponse. Le chiffre d’affaires global de la profession a cru de 3,9 % à 180 milliards d’euros en 2017, grâce à l’export et à la hausse des matières premières qui a progressé de 12 % », a expliqué Jean-Philippe Girard. Il n’en reste pas moins que cette industrie majeure pour la France (500 000 exploitations agricoles, 17 650 entreprises alimentaires, 429 000 emplois directs) est « extrêmement fragilisée », en raison de l’effondrement des marges et le retard de compétitivité par rapport à l’Europe.
« L’export représente 21 % du chiffre d’affaires, seulement pourrait-on dire quand on connaît les savoir-faire dans notre secteur », a regretté le président de l’Ania, alors que le moyenne dans le reste de l’industrie s’établit à 36 %. Le gros morceau, c’est l’Europe, puis l’Asie et l’Amérique.
La France est le quatrième exportateur, derrière les États-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas, et « mon objectif est de remonter sur le podium avec une vraie stratégie ». Un but qui ne sera pas facile à atteindre, reconnaît Jean-Philippe Girard. La France est un pays de petites structures : les TPE et PME représentent 32 % de l’export. Prenant l’exemple de son entreprise, le patron d’Eurogerm affirme qu’il faut investir 100 000 à 120 000 euros par an pour obtenir une première commande au bout de la troisième année.
Jean-Philippe Girard est également fédérateur Agroalimentaire du commerce extérieur et le président du comité stratégique Filière alimentaire, mis en place par le Conseil national de l’industrie (CNI), présidé par le Premier ministre Édouard Philippe (*). Interrogé par Le Moci sur « ce que pourrait être, selon lui, une vraie stratégie à l’export », le dirigeant de l’Ania a estimé prématuré de s’exprimer sur ce sujet.
Stratégie internationale : segmenter la réflexion
Néanmoins, il a indiqué sa volonté d’apporter des réponses claires à chaque secteur. Il n’y a donc pas de réponse unique. Il y a « les matières premières, la première transformation, les produits à l’export qui se portent bien et ceux qui perdent », a exposé Jean-Philippe Girard, selon lequel il faut segmenter la réflexion.
S’agissant des céréales, par exemple, le prix du blé est mondial et décidé à la Bourse de Chicago. D’après la Veille concurrentielle FranceAgriMer 2017, la France occupait l’année précédente la deuxième place mondiale pour le blé tendre, avec un score de 591 points sur 1 000, derrière la Russie, avec 630 points, et devant l’Australie, avec 582 points.
Pour les produits « qui perdent », il faut de la promotion. Jean-Philippe Girard se félicite aussi de la volonté du ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, de stimuler l’apprentissage des langues. Enfin, le président de l’Ania se déclare « un fervent partisan d’une Ecole de vente à l’international ».
Les trois mesures phare du projet de loi
Si la conjoncture est globalement meilleure, reconnaît l’Ania, la situation de la filière se redresse plus lentement que dans le reste de l’industrie. A part le solde commercial – un excédent de 7,6 milliards dans l’industrie alimentaire, contre un déficit de 49 milliards dans le secteur manufacturier – tous les indicateurs sont inférieurs (chiffre d’affaires, consommation, inflation, production hors boissons).
Le PJL aujourd’hui au Parlement permettrait de rééquilibrer les relations commerciales en faveur des agriculteurs et des industriels, avec trois mesures phare pour parvenir à un juste prix.
1 La contractualisation. Agriculteurs et transformateurs signent des contrats annuels. La proposition de contrat écrit émanera de l’exploitant agricole – ou de son organisation de producteurs qui dispose d’un mandat de négociation collective – et non de l’acheteur. L’accord final devra tenir compte de l’évolution des coûts et des prix des marchés.
2 L’encadrement des promotions. Fini la dérive des prix, avec des – 60, – 70 % en grande distribution, puisqu’un plafond de 34 % sera fixé. « Nous avons travaillé avec la FNSEA pour faire sauter la guerre des prix », s’est félicité le président de l’Ania.
3 La hausse du seuil de revente à perte (SRP). Pour 18 % des produits alimentaires, le SRP, c’est-à-dire le prix plancher de vente serait relevé de 10 %, ce qui permettrait au distributeur de couvrir ses frais logistiques et de transport.
« Il faut arrêter l’hémorragie, il faut un plan de filière, mais ça ne peut pas se faire sans la distribution », assurait Jean-Philippe Girard. L’impact de la loi, selon lui, pour le consommateur sera minime, de l’ordre de 50 cens par mois et par personne sur la base de l’augmentation de 10 % du SRP pour les produits visés. Le PJL devrait être adopté en juin-juillet, une partie, au demeurant, devant passer par ordonnance. Ce serait le cas de l’encadrement des promotions et du SRP.
François Pargny
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