En quelques mois, le contexte dans lequel évoluent les exportateurs français a été bouleversé : sur la scène internationale, l’isolationnisme et le protectionnisme du président Donald Trump ont généré un regain de tensions commerciales inédites depuis longtemps (Iran, guerre commerciale, OMC…) ; sur la scène nationale, le gouvernement a engagé une réforme inédite du dispositif public d’accompagnement des entreprises à l’export pour redresser la balance commerciale.
Dans cet entretien exclusif accordé au Moci le 22 août, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en charge du Commerce extérieur, du tourisme et de la francophonie, passe en revue tous les points chauds de cette actualité brûlante.
Le Moci : les derniers résultats du commerce extérieur pour le 1er semestre 2018 sont décevants avec un déficit des échanges de biens de – 33,5 milliards d’euros, malgré vos efforts. Quelle est votre analyse ?
Jean-Baptiste Lemoyne : vous le savez bien, ce n’est pas en claquant des doigts qu’on met fin à une série d’années, et même de décennies, de déficit du commerce extérieur français. Très clairement on souhaite mettre les bouchées doubles pour donner aux entreprises et à l’économie française le coup de fouet qui leur permette de gagner en compétitivité et d’être à l’offensive à l’international.
Mais il faut regarder les chiffres dans les détails car un certain nombre d’éléments méritent d’être soulignés. Le déficit des biens et services a cessé de se dégrader : au 1er semestre 2018, avec -13,6 milliards d’euros, il est au même niveau qu’au 1er semestre 2017. Je ne dis pas qu’il faut s’en satisfaire, je dis qu’on arrête la dégradation. En outre, le déficit des échanges de biens s’est réduit : avec -33,5 milliards au 1er semestre 2018, il est inférieur aux – 34,1 milliards du 1er semestre 2017.
Plus intéressant, entre les premiers semestres 2017 et 2018, on constate que la dynamique des exportations de biens, avec + 4,4 %, est supérieure à celle des importations, de + 3,6 %. L’ensemble des exportations de biens et services a cru de 3,2 % par rapport à la même période de l’année précédente. Les chiffres sont les juges de paix. En matière d’exportation, la France continue à faire mieux en 2018 qu’elle n’a fait en 2017, elle ne recule pas, même s’il y a des géographies où elle est mal placée.
On voit bien qu’à l’exportation, toutes les énergies sont mobilisées. Nous avons, avec Jean-Yves Le Drian, fait en sorte qu’un très bon climat s’instaure entre tous les acteurs. Tout le monde travaille main dans la main, que ce soit Business France, les chambres de commerce sur le territoire national comme à l’international, les OSCI, les filières… Et les chiffres de croissance de nos exportations sont encourageants.
« On a déjà amélioré de 10 % la performance, ce qui n’est pas négligeable »
Le Moci : ils restent insuffisants pour couvrir nos importations
Jean-Baptiste Lemoyne : importer n’est pas un mal en soi. Il faut distinguer ce qui relève du renchérissement de la facture énergétique sur la période récente, de la reprise de l’investissement qui est en soi positif, mais bien sûr aussi de l’incapacité de notre appareil productif à répondre à une partie de la demande nationale. On paye des décennies de désindustrialisation. Et la réponse, on a commencé à l’apporter dès le premier jour du quinquennat du président. Quelles ont été les premières réformes ? Poursuivre la baisse du coût du travail, simplifier par des ordonnances un maquis réglementaire qui dissuade les embauches, et aujourd’hui, c’est aussi le plan d’investissement dans les compétences de 4 milliards d’euros, le soutien aux investissements dans l’innovation grâce à la cession de certaines participations de l’État. Mais ce sont des réponses de long terme.
Quand vous regardez les commentaires des économistes suite à la publication des chiffres du commerce extérieur, à la question « que faire ? », ils répondent qu’il y a deux solutions : soit il faut une sorte de dévaluation salariale, mais ce n’est pas le modèle qu’on souhaite, soit il faut investir dans les compétences et l’innovation. Cette seconde option est l’objet de toutes les réformes qu’on a enclenchées depuis un an, avec malheureusement 10 à 15 ans de retard par rapport à nos voisins européens. Souvenez-vous des lois Hartz en Allemagne (2003-2005), du Job Act de Mateo Renzi en Italie (2015) : ce sont des pays dont le commerce extérieur est en excédent de 121 milliards pour le premier et 13 milliards pour le second au 1er semestre 2018.
J’aimerais dire un dernier mot sur ce bilan de la première année complète du quinquennat, puisqu’on a les chiffres du deuxième semestre 2017 et ceux du 1e semestre de 2018 : sur cette année 1 du quinquennat (juillet 2017-juin 2018), le déficit total du commerce extérieur des biens et services s’établit à – 22,5 milliards, contre – 24,6 milliards pour l’année précédente, la dernière du quinquennat Hollande. On a donc déjà amélioré de 10 % la performance, ce qui n’est pas négligeable. Sur les seuls échanges de services, ont obtient un excédent moyen de 13,2 milliards d’euros par semestre sur la première année du quinquennat Macron là où on faisait + 12 milliards par semestre sous le quinquennat Hollande. Là aussi on est à + 10 %.
Ce sont là encore des éléments factuels.
Iran : « Nous souhaitons préserver cet accord»
Le Moci : pour rester sur le commerce extérieur, l’Iran était un grand espoir de relance à l’export pour les entreprises françaises, aujourd’hui bloqué par la nouvelle politique américaine : la première salve de sanctions américaines à été rétablie début août, la loi de blocage européenne est entrée en vigueur au même moment mais ne suffit pas à rassurer : les grandes entreprises quittent le marché iranien et le disent. Que compte faire le gouvernement français ?
Jean-Baptiste Lemoyne : la position de la France sur l’Iran est inchangée. Nous regrettons le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien. Nous souhaitons préserver cet accord pour des raisons stratégiques et, en corollaire, le commerce bilatéral avec l’Iran dans la mesure où le pays respecte l’ensemble de ses engagements dans le cadre de l’accord. L’économiste libéral Frédéric Bastiat disait que là où passent les marchandises, ne passe pas la guerre : il a fondamentalement raison.
Il y a ce rétablissement effectif des sanctions américaines qui ont un effet extraterritorial. C’est un sujet de préoccupation. Mais d’une certaine façon, avec cette décision, les Américains sont aussi en train d’aider les Européens à enfin réfléchir à des solutions pour contrer la portée de ces législations. Il y a quelques années, ce débat n’aurait pas été possible dans les institutions européennes et aujourd’hui on voit une grande unité et une grande détermination européennes. J’en veux pour preuve la déclaration d’Heko Mass, le ministre allemand des Affaires étrangères, le 21 août, appelant à la mise en place d’un canal de financement européen indépendant du canal Swift, qui subit pas mal de contraintes des États-Unis.
Les travaux sont en cours, il revient aux administrations et aux experts de plancher, mais la volonté politique est très clairement affirmée (…).
Ceci est un extrait de la Lettre confidentielle du MOCI n° 294
diffusée le 6 septembre 2018 auprès de ses abonnés
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