Dans une étude publiée fin décembre sur l’évolution du commerce extérieur du Royaume-Uni avec l’Union européenne (UE) et la France entre 2018 et 2023, la Douane française met en exergue deux tendances marquantes depuis le Brexit : la réorientation des échanges britanniques vers d’autres marchés mais le maintien de la France comme partenaire majeur et important « hub » pour son commerce avec l’UE.
Malgré le Brexit, le Royaume-Uni génère toujours le premier excédent commercial de la France : + 9,6 milliards d’euros (Md EUR) en 2023, avec un montant d’importations de 26,3 Md EUR et d’exportations de 35,4 Md EUR. L’Hexagone a ainsi été, cette année-là, le 4ème client des Britanniques et leur 6ème fournisseur.
Mais, d’après l’étude de la Douane sur « les échanges commerciaux franco-britanniques trois ans après le Brexit », publiée le 27 décembre, la France fait un peu figure d’exception dans l’UE et cette performance masque des évolutions profondes du commerce extérieur britannique depuis le rétablissement des formalités et contrôles douaniers aux frontières le 1er janvier 2021, après le Brexit, effectif le 31 janvier 2020, et le rétablissement de droits de douane sur une partie des produits échangés dans le cadre de l’accord commercial entre les deux blocs.
La France, exception qui confirme la tendance
Premier signe de cette évolution, l’excédent commercial bilatéral est en baisse, de 2,5 Md EUR par rapport à 2018. Et il résulte d’une plus forte hausse des importations en provenance du Royaume-Uni que des exportations vers ce dernier : + 5,5 Md pour les premières contre +3 Md pour les secondes. La plupart des produits échangés sont concernés par cette tendance à l’exception des matériels de transport (aéronautique et automobile) et des machines, dont les soldes se sont améliorés l’an dernier.
Dans le détail, selon la Douane, les exportations françaises d’avions et de turboréacteurs ont presque doublé outre-Manche (+ 83 %), à contre-courant de la tendance générale de ce secteur (-5 %) en 2023, de sorte que le Royaume-Uni a représenté 7 % des ventes françaises dans ce secteur, presque le double de 2018 (4 %). Quant aux exportations du secteur automobile, tirées par les véhicules et les camions, elles ont bondi de 62 % en 2023. A l’inverse, les exportations de produits manufacturés divers et des matériels informatique et bureautique sont en recul, creusant le déficit de ces secteurs (entre 500 et 900 M EUR selon les cas).
C’est en revanche une hausse des importations depuis le Royaume-Uni qui explique quasi exclusivement la dégradation des soldes des secteurs produits chimiques, parfums et cosmétiques, mais aussi des produits agricoles et des produits métallurgiques et métalliques et contribue à la baisse du solde des produits des industries agroalimentaires. Pour l’agriculture et les IAA, les importations d’agneaux, de saumons et de cheddar tirent la tendance, même si les ventes de champagne et de vins & spiritueux ont également connu de belles progressions.
Autre évolution qui témoigne de changements en profondeur dans les échanges avec le Royaume-Uni : l’évolution du nombre d’entreprises françaises concernées, qui marque une certaine « baisse d’intensité » selon la Douane. Le nombre d’importateurs chute de -34 % (à 51 770), dont -32 % pour ceux important plus de 100 000 EUR / an (à l’origine des plus gros volumes). A l’exportation la baisse en nombre est moins forte (35 180), enrayées par la progression des exportateurs de petits montants inférieurs à 10 000 EUR (+37 %, contre – 6 % pour les gros exportateurs de plus de 100 000 EUR), probablement portés par le E-commerce.
La Douane estime que le rétablissement des formalités douanières et contrôles sanitaires et phytosanitaires aux frontières, génératrice de coûts supplémentaires (recours à des prestataires), peut expliquer une partie du phénomène.
« Hub » d’import-export de marchandises en transit
Une des explications au recul de l’excédent commercial bilatéral avancé par la Douane tient au fait que les marchandises britanniques qui ne font que transiter par la France pour être livrées dans un autre pays de l’UE sont à présent bien visibles dans les statistiques douanières. En effet, avant le Brexit, les marchandises en provenance du Royaume-Uni et passant par la France pour être livrées dans d’autres pays européens ne faisaient l’objet d’aucune déclaration douanière. Aujourd’hui, elles apparaissent dès lors que l’opérateur les dédouane sur le territoire français.
Autrement dit, la hausse des importations en provenance du Royaume-Uni s’expliquerait par un « effet hub », pour reprendre une expression de FranceAgrimer citée par la Douane, liée à « l’apparition de flux de quasi-transit à l’importation ». Pour les produits agricoles et agroalimentaires, cet « effet » jouerait à plein : soumis à des contrôles sanitaires et phytosanitaires au premier point d’entrée dans l’UE, les importateurs de ces produits auraient choisi de regrouper en France l’ensemble des formalités import, y compris le dédouanement, pour se simplifier la vie plutôt que de faire ce dernier dans le pays de destination. Le même phénomène est constaté à l’export.
La Douane avance une estimation du montant des importations liées à ce « quasi-transit » : 3,7 Md EUR en 2023. Et pour les exportations, ces flux sont estimés à 1,4 Md EUR. Avec un solde de -2,3 Md EUR, donc proche de la perte d’excédent commercial constatée en 2023 (2,5 Md EUR)…
Le commerce extérieur britannique se réoriente
Au-delà du commerce bilatéral, l’autre tendance intéressante relevée par la Douane depuis le Brexit concerne la baisse du poids du Royaume-Uni dans le commerce extérieur de l’UE et, réciproquement, la baisse de la part de cette dernière dans les échanges britanniques. La France, n’échappe pas à cette tendance malgré sa position privilégiée. Un signe que l’ancien partenaire britannique se tourne davantage vers le reste du monde.
Ainsi, vu de l’UE, la part du Royaume-Uni dans son commerce extérieur est en forte baisse : il n’absorbe plus que 5 % des exportations du bloc (contre 6,3 % en 2018) et ne pèse plus que 2,8 % de ses importations (4 % en 2018).
Vu du Royaume-Uni, la baisse de la part de l’UE dans les échanges commerciaux britanniques concerne davantage les importations que les exportations. Entre 2018 et 2023, la part du bloc européen dans les exportations du Royaume-Uni est ainsi passée de 46 à 41 % (- 5 points) tandis que son poids dans les importations britanniques a chuté de 52 à 40 % (-12 points). La part de la France recule également, mais plus modestement : de 6,5 à 5,6 % dans les exportations britanniques entre 2018 et 2023 et de 5,6 à 5,1 % dans les importations.
Globalement, les importations du Royaume-Uni en provenance de l’UE ont diminué de 10 % sur cette période alors qu’elles augmentaient de 48 % en provenance du reste du monde. Ses exportations vers l’UE ont reculé de 6 % sur la même période tout en augmentant de 16 % vers le reste du monde.
Les partenaires qui profitent de cette réorientation sont principalement la Chine et les Etats-Unis dans le Top 5. La Chine a vu ainsi sa part dans le commerce extérieur du Royaume-Uni grimper globalement de 3 points en 5 ans. Les Britanniques lui achètent davantage d’équipements de télécommunication, de matériels informatiques et bureautiques, notamment. Même chose pour le poids des Etats-Unis, qui a grimpé de 3 points également, principalement grâce à l’augmentation des achats britanniques d’hydrocarbures. A l’export, les Britanniques vendent davantage à la Chine (+ 3 points), mais aussi à la Suisse (+ 3 points).
Au final, entre 2018 et 2023, l’Allemagne est passé de la 1ère place des fournisseurs (14 % en 2018) à la 3ème, tandis que la Chine se hissait au 1er rang (13 % de part) et les Etats-Unis au 2ème rang (12 %). A l’export, les Etats-Unis demeurent le premier débouché des exportations britanniques (14 % de part, + 1 point sur 2018), suivis de l’Allemagne, en perte de vitesse (8% de part en 2023, – 2 points).
Logiquement mais progressivement, sur le plan commercial, les Britanniques se détournent donc de l’Union européenne.
C.G
L’étude de la Douane est dans le document attaché à cet article (ci-après)