On s’y attendait, le déficit commercial est reparti à la hausse, la belle embellie des échanges de services n’ayant pu endiguer la dégradation des échanges de biens. Le trou s’établit à -38,3 milliards d’euros (Mds EUR) pour les échanges de biens et services en 2017, en hausse de 42,9 % par rapport à l’année 2016 (-26,8 Mds EUR). Mais ce bilan est clairement plombé par un plongeon de 28,9 % du déficit des échanges de biens, à -62,3 Mds EUR (-48,3 Mds EUR en 2016), symptôme de la grande faiblesse de l’industrie manufacturière. Car pour sa part, le solde des échanges de services est redevenu nettement positif à +5,4 Mds EUR (0,0 Md EUR en 2016), grâce, notamment, au redémarrage du tourisme.
Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui avait la déprimante mission de présenter ce mauvais bilan 2017 du commerce extérieur français, le 7 février au Quai d’Orsay à Paris, a bien résumé la situation à laquelle doit faire face le gouvernement : ces chiffres « montrent l’ampleur des défis à relever, a-t-il reconnu. Il va falloir se retrousser les manches ».
Stabilisation de la part de marché
Seuls éléments positifs dans le panorama global : une part de marché dans les exportations mondiales qui continuerait à être stable, à 3,5 % pour les biens et services (3,1 % pour les seuls biens) et un nombre d’entreprises exportatrices tout aussi stabilisé à 124 057, soit un nombre quasi similaire à celui de 2016.
La compétitivité-coût s’est aussi améliorée depuis 2014 par rapport à l’OCDE, grâce aux mesures de réduction des charges entreprises sous les gouvernements précédents et poursuivis depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Cela a permis aux entreprises de restaurer leurs marges et d’investir, et les a renforcées face à une remontée prévue du cours de l’euro, qui joue sur les prix à l’exportation. Une base suffisante pour repartir ? Elle est en tout cas nécessaire incontournable.
Les services et le négoce en forme
Dans le détail, les importations de biens et services ont progressé plus vite que les exportations : + 6,1 % pour les premières, à 740,8 Mds EUR, contre + 4,7 % pour les secondes, à 702,4 Mds EUR.
Mais c’est l’inverse qui s’est produit dans les services : + 3,9 % pour les exportations (221 Mds EUR) contre + 1,3 % pour les importations (215,6 Mds EUR). D’où un excédent cité plus haut, largement alimenté par le rebond du tourisme (+7,6 %, à 41,3 Mds EUR pour le seul excédent des services de voyages !).
L’excédent du négoce international est demeuré à un haut niveau – 21,9 Mds EUR- malgré un léger repli de 1,5 %.
Biens : le déficit hors énergie s’aggrave de 18,7 %
Le tableau est bien différent pour les échanges de biens : les importations, portées par la reprise de la consommation intérieure et des investissements, bondissent de quelque 6,8 %, à 535 Mds EUR, coiffant sur le poteau de quelques longueurs des exportations pourtant en hausse de + 4,5 %, à 473,2 Mds EUR.
Symptôme des faiblesses devenues structurelles de l’appareil productif français, le commerce extérieur de biens est certes plombé par la facture énergétique qui est en hausse de 24 % avec le redressement des cours mondiaux du pétrole, à 39 Mds EUR en 2017. Mais même hors énergie, le déficit s’accroît fortement de 18,7 %, à -41,2 Mds EUR.
Seuls sept secteurs sur 22 ont une contribution positive au solde
Le tableau des résultats du commerce extérieur par secteurs confirme la dégradation des résultats de l’industrie manufacturière dans son ensemble.
Ainsi, selon des données fournies par les services du Quai d’Orsay et du Trésor, sur les 22 grands secteurs passés en revue par les douanes, malgré un dynamisme à l’exportation de 14 secteurs, seulement sept d’entre eux ont contribué positivement à endiguer le creusement du déficit commercial en 2017 : chimie et cosmétiques, véhicules automobiles, déchets industriels, agroalimentaire, bijouterie, produits de l’édition, électricité.
Dans la chimie et les cosmétiques, les exportations ont progressé de 4,7 Mds EUR au total et la contribution au solde a été positive de 1,7 Md EUR. Selon le détail des données douanières, la chimie a vu ses exportations rebondir de +8,3 % (après -4,5 % en 2016) grâce à la hausse des cours alors que les ventes de cosmétiques et parfums ont connu une forte progression de 11 %, dégageant un excédent de +10,6 Mds (+1,3 Md par rapport à 2016 !).
Les véhicules automobiles, dont les exportations ont bondi de 12,6 % en 2017, soit la plus forte hausse depuis 2010, ont permis de réduire le déficit de cette branche de 800 M EUR, à -9,3 Mds EUR. L’agroalimentaire a également repris des couleurs avec une hausse des exportations de 6,2 % (après seulement 0,2 % en 2016) et un excédent qui s’est redressé de 300 M EUR, à + 6,4 Mds EUR.
En revanche, sous l’effet d’un repli des exportations de 3,8 %, l’excédent aéronautique s’est contracté de 5,6 %, à +17,4 Mds EUR. Mais il est vrai qu’on ne peut demander à cette filière de dépasser ses records chaque année !
Des excédents au grand export
Si la facture énergétique n’explique donc pas à elle seule l’aggravation du déficit des échanges de biens, la remontée de l’euro en 2017 (+14 %), bien que pesant sur la compétitivité, n’est pas non plus un argument convaincant : par zones géographiques, le plus gros déficit commercial avec – 44,2 Mds euros, a en effet été généré par nos partenaires membres de la zone euro en 2017, comme l’a remarqué à juste titre Jean-Baptiste Lemoyne. Il s’est d’ailleurs aggravé de presque 10 Mds (-36,8 Mds en 2016), signe que nos voisins allemands, belges ou italiens profitent à plein de la reprise de la consommation en France.
Bon signaux toutefois, les exportations vers l’ensemble de l’Union européenne (UE) ont nettement accéléré (+ 3,4 % après 0,3 %), malgré un recul vers le Royaume Uni (-0,6 %) lié à la chute de la livre sterling, et aussi vers l’Allemagne (-3,9 %) en raison du recul des livraisons aéronautiques. Surtout, elles ont progressé encore plus fortement -+ 6,7 %- vers les pays tiers, signe d’un réel dynamisme dans la quête de nouveaux débouchés.
Ainsi, les ventes ont progressé de 12,9 % vers l’Amérique (dont + 4,2 % vers les Etats-Unis) et de 14,1 % vers l’Asie (dont + 18 % vers la Chine). Vers le Proche et Moyen Orient, elles ont également été en forte progression avec + 9 %, et encore de 3,7 % vers l’Europe hors UE. Seule contre-performance relevée vers Afrique, avec des exportations stagnantes (-0,2 %), résultat d’une chute de la demande dans de nombreux pays à la suite de l’effondrement des cours des matières premières.
Des excédents qui s’érodent
Les soldes par zones géographiques témoignent toutefois de la persistance de faiblesses : ainsi, si des excédents sont enregistrés avec l’Amérique (+1,3 Md EUR), l’Afrique (+2,8 Mds) et le Proche et Moyen Orient (+ 5 Mds EUR), ils s’érodent.
De 2016 à 2017, l’excédent avec l’Amérique du sud est passé de + 2 à + 1,2 Md, avec l’Afrique il a diminué de moitié (+ 5,4 Mds en 2016) et s’est replié de 500 M avec le Proche et Moyen Orient (+5,6 Mds en 2016).
Avec l’Afrique du nord, l’excédent de 2016 (+1,9 Md) s’est transformé en déficit (700 M EUR), de même qu’avec les pays de l’UE hors zone euro (de + 6,9 Mds EUR à – 700 M EUR).
En outre, les échanges de biens restent fortement déficitaires avec l’UE (-44,9 Mds EUR), l’Europe hors UE (-6,8 Mds EUR) et l’Asie (-28,8 Mds EUR, dont -0,9 Md avec l’Asean).
« Le prix de 20 ans de désindustrialisation »
Aucun doute, le redressement du commerce extérieur français sera un chantier de longue haleine. « Nous pensons que les mesures prises par le gouvernement pour réformer le marché du travail et la fiscalité amélioreront la compétitivité du pays, pour que nous soyons mieux à même, déjà, de répondre à la demande nationale » a insisté Jean-Baptiste Lemoyne. « Nous payons aujourd’hui le prix de 20 ans de désindustrialisation » a-t-il ajouté.
Le secrétaire d’Etat a rappelé les différents chantiers de réforme en cours citant la formation professionnelle et l’apprentissage, ainsi que la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en préparation. Il a aussi confirmé la prochaine refonte du dispositif public de soutien au commerce extérieur, dont le Premier ministre Edouard Philippe doit dévoiler les détails le 23 février prochain.
Cette réforme, dont Le Moci a déjà dévoilé les grandes lignes dans de précédentes éditions de la Lettre confidentielle*, doit aboutir à la mise en place d’un nouveau « service public du soutien à l’export », qui ne laissera plus de place aux « querelles de chapelle ».
Enfin, Jean-Baptiste Lemoyne a conclu en appelant les entreprises françaises à davantage profiter des opportunités des grands accords de libre-échange entre l’UE et des pays tiers comme l’AECG/CETA avec le Canada, ou le « bon accord en cours de finition avec le Japon ». « Il y a tout un travail de pédagogie à faire », a insisté le secrétaire d’Etat, qui compte le rappeler aux partenaires de l’export.
Christine Gilguy
*Lire dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Commerce extérieur : en attendant de nouvelles «cathédrales industrielles »
Et aussi :
-Aides à l’export : Ch. Lecourtier précise aux sénateurs ses propositions
–Accompagnement / Export : les propositions du rapport Lecourtier pour la refonte du dispositif
Pour en savoir plus :
La douane a mis en ligne les statistiques des échanges de biens pour l’année 2017 au lien suivant : http://lekiosque.finances.gouv.fr/fichiers/Etudes/thematiques/A2017.pdf
Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a également mis en ligne un dossier de présentation du bilan du commerce extérieur 2017 : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/actualites-liees-a-la-diplomatie-economique-et-au-commerce-exterieur/2018/article/resultats-du-commerce-exterieur-en-2017
Pour prolonger :
Lire notre dernier dossier paru fin novembre 2017 dans un numéro spécial du Moci (2048-2049) : 200 000 exportateurs en 2022, enquête sur un défi français