Cet article a fait l’objet d’une alerte diffusée auprès des abonnés de la Lettre confidentielle le 26 février.
En déplacement à Roubaix sur le campus de l’Edhec Business School, Édouard Philippe a donc présenté le 23 février la « Stratégie du gouvernement en matière de commerce extérieur » pour en finir avec un déficit commercial qui a dépassé 63 milliards d’euros, « son plus haut niveau depuis 2012 », a rappelé le Premier ministre, devant un parterre composé de 1 300 étudiants de l’École de management de Lille, d’une partie du gouvernement, de nombreux élus régionaux et nationaux et tout l’écosystème du commerce extérieur *. Le Moci revient en détail sur les différents volets de cette stratégie.
Car c’est bien la première fois qu’un chef de gouvernement s’empare ainsi du dossier du commerce extérieur en tant que tel, un fait qui témoigne de l’importance désormais accordée à ce sujet dans les priorités gouvernementales. Quelle est le détail de cette stratégie ? Elle s’insère dans une vision globale qui intègre la politique de redressement de la compétitivité tout en proposant une série de mesures et de réformes visant les dispositifs publics de formation, d’accompagnement des PME et ETI à l’international et de financement export mais aussi la gouvernance d’ensemble de la politique de soutien à l’export. Pour cette dernière, le rôle de pilote des Régions est confirmé et amplifié tandis que l’approche par filière est relancée.
Les préalables : compétitivité, fiscalité, travail
Avant de présenter le plan national, Édouard Philippe a ainsi défini certains préalables pour stopper la dégradation du commerce extérieur, qui, pour lui, « n’est pas inéluctable », à commencer par le rétablissement de la compétitivité de la France. Une compétitivité sans laquelle un nouveau dispositif du commerce extérieur, après bien d’autres tentatives de réformes dans le passé, ne servirait à rien, comme le confiait au Moci, avant l’intervention du Premier ministre, un haut fonctionnaire de Bercy.
Parmi les « solutions » apportées, le locataire de Matignon a cité « l’investissement massif dans les compétences », qui se traduit par la transformation de l’apprentissage et la future réforme de la formation professionnelle. Puis l’arme de la fiscalité, avec une baisse de l’impôt sur les sociétés – qui passerait de 33,3 % aujourd’hui à la moyenne européenne de 25 % d’ici la fin du quinquennat – et de la fiscalité sur l’épargne pour l’orienter vers l’investissement des entreprises. Enfin, continuer à réduire les charges sociales sur le travail et adapter le Code du travail aux contraintes particulières des TPE et PME.
Quant à la Stratégie en matière de commerce extérieur elle-même, elle comporte au total 19 mesures : quatre pour la « formation aux langues et au commerce international », trois pour la « réforme de l’accompagnement », dix pour « la réforme des financements à l’export » ; à ces trois grands piliers de la stratégie, un quatrième axe, « la gouvernance de l’export pour impulser une dynamique inclusive des territoires à l’international », est ajoutée.
Premier thème : la formation aux langues et au commerce international.
Ce volet comporte quatre mesures :
-Mesure n°1 : « l’État financera à chaque étudiant, avant d’entrer en premier cycle universitaire, au mieux et au plus tard avant la fin du premier cycle, une certification internationale en anglais type Cambridge, IELTS ou TOEFL ».
Selon le Premier ministre, il faut transformer l’apprentissage de l’anglais, devenu première langue de la mondialisation, « parce qu’un quart des emplois sont liés à l’export ».
Au lycée, les cours d’anglais seront « repensés dans une logique d’attestation du niveau de langue reconnu internationalement », l’objectif étant que chaque lycéen ait atteint, en terminale, un niveau B2 – correspondant à un niveau intermédiaire avancé.
En France, le prix d’un examen TOEFL est d’un peu plus de 200 euros. Des financements seront apportés pour les élèves en terminale qui suivent un cursus à dimension internationale (un peu moins de 70 000 élèves en sections européennes et internationales) avant une généralisation progressive sous trois ans. Dans l’enseignement supérieur, les certifications devront être généralisées dans les trois ans.
-Mesure n°2 : « développer la reconnaissance des compétences en langues des salariés déjà présents sur le marché du travail au moyen de la formation continue »
-Mesure n°3 : « développer la reconnaissance des compétences en français des collaborateurs étrangers des entreprises françaises, via la diffusion de la certification CLES « français langue étrangère » d’ici 2018 ».
-Mesure n°4 : « créer un parcours de formation à l’export spécifiquement dédié aux TPE, PME et ETI pour les aider à s’internationaliser »
A cet égard, le chef du gouvernement estime que l’enjeu culturel, « c’est le plus difficile à manier ». Car « exporter, selon lui, c’est un métier », qui s’apprend « sur le terrain ». Or, « un chef d’entreprise n’a pas beaucoup de temps pour apprendre l’export ». C’est pourquoi, a-t-il précisé, « avec l’aide des CCI et des conseillers du commerce extérieur de la France, nous voulons diffuser plus largement des formations clefs en mains dans le commerce international très opérationnelles ».
Dans le détail, la Stratégie en matière de commerce extérieur prévoit la mise en place d’un programme de formations export adaptées aux besoins des dirigeants des PME, leur permettant d’aborder leurs difficultés et d’établir un diagnostic approfondi de leur entreprise.
Deuxième thème : la réforme de l’accompagnement
Très attendue des acteurs de l’écosystème du commerce extérieur français, cette réforme comporte trois mesures largement inspirée du rapport « Team France Export » remis au gouvernement par le directeur général de Business France Christophe Lecourtier.
-Mesure n°5 : « un guichet unique de l’export sera créé dans chaque région en accord avec elles. Il visera à regrouper autour des acteurs publics, CCI et Business France, tous les acteurs de l’export (…), mais aussi tous les acteurs du financement export, autour de Bpifrance et des opérateurs privés (…) ».
« On a besoin d’un interlocuteur local unique », a soutenu Édouard Philippe, qui a remercié le directeur général de Business France, Christophe Lecourtier, auteur du rapport « Team France Export », avec ses propositions ** pour « refonder l’organisation et les modalités de notre dispositif public pour le rendre plus lisible, plus simple et plus efficace ». Ainsi, « d’ici à quelques mois des guichets uniques verront le jour dans chaque région française ». Ils « associeront aux collaborateurs des CCI ceux de Business France » et « il n’y aura pas de modèle unique ». A cet égard, l’ancien maire du Havre s’est réjoui que ce soit en Normandie que soit menée « la première déclinaison » entre Région, Business France et CCI. Une autre opération pilote est en cours en Provence-Alpes Côte d’Azur.
Ce déploiement s’effectuant « sous l’autorité des régions », le gouvernement veillera à « renforcer la place des régions dans la gouvernance de Business France ».
-Mesure n°6 : « déploiement au niveau national d’une plateforme numérique des solutions regroupant l’ensemble des offres d’accompagnement à l’export et de financement export. Cette plateforme sera prolongée par un outil de CRM permettant d’assurer de manière mutualisée le suivi des entreprises qui s’appuieront sur la Team France Export ».
Avec un système d’information partagé et la création d’une plateforme digitale de solutions, il sera possible d’offrir au secteur privé des conseils de proximité. Ces outils feront aussi le lien entre les guichets uniques en France et les guichets uniques à l’étranger. Et « l’État examinera favorablement la demande de son financement par le Fonds de transformation de l’action publique à hauteur d’une dizaine de millions d’euros », a dévoilé le chef du gouvernement.
-Mesure n°7 : « mise en place d’un correspondant unique à l’étranger et expérimentation dès cette année par le retrait de Business France dans huit pays »
Ces huit nations sont : Singapour, Japon, Philippines, Hong-Kong, Russie, Norvège, Belgique et Espagne. Comme dans les régions françaises, le gouvernement français estime qu’il doit y avoir « un correspondant unique quel que soit le pays visé ». Édouard Philippe a été clair : « Business France se renforcera en France et sur les marchés complexes, comme l’Afrique où nous devons nous réinvestir ». En revanche, « dans les pays où le marché du soutien aux exportateurs français est mûr et où d’autres acteurs sont prêts à prendre le relais, Business France concédera son activité à des structures privées capables de fournir des services de même qualité ».
Troisième thème : la réforme des financements à l’export
C’est au total dix mesures qui ont été annoncées dans ce volet financement, avec notamment la réforme d’instruments existants et la création de nouveaux :
-Mesure n° 8 : « Bpifrance est conforté dans son rôle d’interlocuteur privilégié des entreprises pour leurs besoins en matière de financements publics, dont elle devient le « guiche unique » pour les financements export publics ».
-Mesure n°9 : « amplification et simplification de l’assurance prospection ».
L’assurance prospection, qui prend en charge 65 % des dépenses de prospection engagée et dont 12 000 entreprises bénéficient aujourd’hui, devient « une avance remboursable », a exposé Édouard Philippe. Les sociétés assurées recevront ainsi, « dès la signature de leur contrat, une avance de trésorerie égale à 50 % de leur budget prévisionnel ». En outre, « à compter de la réception du dossier, un délai de traitement devra être respecté ».
-Mesure n°10 : « création d’un Pass’Export ».
Le premier (notre photo) a été signé à Roubaix par Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État à l’Économie et aux finances, et les Chantiers Piriou (1 000 salariés, dont 400 à l’international, 50 % de son chiffre d’affaires à l’export). « C’est un contrat de confiance sur trois ans », s’est félicité Édouard Philippe. Ce Pass’Export, est-il précisé dans la Stratégie en matière de commerce extérieur, assure à son bénéficiaire « une couverture en garanties publiques aux maximum permis par les engagements multilatéraux de la France ». La contrepartie est que « l’entreprise s’engage par ce contrat à respecter un niveau minimum de part française en moyenne sur l’ensemble des contrats soutenus financièrement par l’État pendant la durée du passeport ».
-Mesure n° 11 : « création d’un instrument de couverture des projets stratégiques à l’international afin de couvrir les projets les plus audacieux et stratégiques de nos entreprises ».
« L’État accepterait de garantir certains projets sans forcément qu’il y ait une opération d’exportation sous-jacente immédiate mais parce que le bouclage n’arriverait pas à se faire sans cela et que derrière, il y a une logique de déploiement de l’expertise et de savoir-faire français », a déroulé le Premier ministre.
-Mesure n°12 : « une garantie aux filiales étrangères d’entreprises françaises va être créée afin de pouvoir soutenir les exportateurs français, y compris lorsqu’une implantation locale est rendue obligatoire par la législation du pays importateur afin de pouvoir remporter un contrat ».
-Mesure n°13 : « un outil de soutien financier à l’export va être développé afin de soutenir les sous-traitants d’entreprises exportatrices. Bien que ces sous-traitants, généralement des PME et ETI, ne soient pas directement exportateurs, il convient de les prémunir des risques associés à l’exportation ».
-Mesure n°14 : « extension de garantie de change à onze devises ».
-Mesure n°15 : « doublement des prêts du Trésor en trois ans d’environ 300 à 600 millions d’euros par ans ».
Édouard Philippe a annoncé une date butoir pour la mise en place, 2020, et cette disposition concernerait des « zones géographiques de conquête ».
-Mesure n°16 : « création de financements export court terme (moins de 24 mois) ».
-Mesure n°17 : « mesures supplémentaires à destination de l’Afrique subsaharienne ».
Il s’agit de la suppression des limites d’encours de garanties (dans la limite du respect des recommandations multilatérales d’endettement soutenable) et de l’assouplissement des critères d’octroi de la stabilisation de taux d’intérêt en assurance-crédit dans le cadre d’une expérimentation d’un an.
Quatrième thème : la gouvernance de l’export
Elle incombe au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et à son secrétaire d’État, Jean-Baptiste Lemoyne et comporte deux principales mesures :
-Mesure n° 18 : « une gouvernance du commerce extérieur refondée avec un renforcement de la place des régions dans la gouvernance de Business France et une gouvernance État/Régions pour le pilotage de la réforme ».
Cette disposition illustre ce que le Premier ministre a annoncé ci-dessous : la montée en puissance des Régions, qui sont appelées à jouer un rôle croissant au sein du Conseil stratégique à l’export et du conseil d’administration de Business France.
-Mesure n°19 : « relance d’une approche sectorielle à l’export : groupes exports des comités stratégiques de filières et confirmation des familles prioritaires à l’export ».
Bien que ce soit la dernière mesure, c’est la première qui a été traitée par Édouard Philippe à Roubaix. Elle a même été abordée avant la déclinaison du plan stratégique, comme un complément indispensable aux mesures de compétitivité, de fiscalité et du travail, qui assurent un bon environnement des affaires. Il est vrai qu’intervenant avant le chef du gouvernement, Jean-Yves Le Drian avait déploré « une certaine incapacité industrielle » de la France et le « déficit de mobilisation » des PME et ETI (125 000 dans l’Hexagone, 400 000 en Allemagne).
E. Philippe : « chaque filière aura sa stratégie à l’export »
Pour sa part, le Premier ministre a pointé la nécessité « de structurer les filières industrielles », notamment en ce qui concerne leur montée en gamme. A cet égard, il a rappelé le travail effectué sous la responsabilité du ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, avec le Conseil national de l’industrie (CNI), indiquant, au passage, que « chaque filière aura sa stratégie à l’export ».
Dans la stratégie du gouvernement en matière de commerce extérieur, il est précisé que les comités de filières pourront être « accompagnés, quand c’est nécessaire, par les fédérateurs » des grandes familles de produits prioritaires à l’export dont la France s’est dotée depuis plusieurs années. Les fédérateurs parviennent à unir les opérateurs et à mutualiser les coûts à l’export.
Le document indique que quatre fédérateurs « sont nommés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères » :
- dans l’agroalimentaire, Jean-Philippe Girard, président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) et P-dg d’Eurogerm ;
- pour l’offre de soins, Jean-Patrick Lajonchère, directeur général du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph ;
- dans la ville durable, Gérard Wolf, président de Brics Access et de la task force Ville durable de Medef International ;
- dans les industries culturelles et créatives, Jean-Noël Tronc, directeur général-gérant de la Sacem.
De notre envoyé spécial à Roubaix
François Pargny
(*) Lire l’article gratuit sur notre site : Commerce extérieur : E. Philippe lance une nouvelle stratégie pour doper l’export
(**) Accompagnement / Export : les propositions du rapport Lecourtier pour la refonte du dispositif
Pour prolonger :
Lire dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui :
–Les Régions apportent leur soutien à la réforme
–Les CCI se réjouissent de la nouvelle alliance avec Business France
–Le président des CCE salut la réforme mais liste ses « points de vigilance »
–L’OSCI applaudit la « manière », reste prudente sur la mise en œuvre
–L’Etat veut aussi simplifier le millefeuille des filières sectorielles
Et aussi :
– Commerce extérieur : E. Philippe réunit l’écosystème à Roubaix pour présenter sa stratégie de soutien à l’export
– Commerce extérieur : en attendant de nouvelles « cathédrales industrielles »
– Commerce extérieur : le plongeon du déficit des biens plombe le bilan 2017
– Notre dossier paru fin novembre 2017 dans un numéro spécial du Moci (2048-2049) : 200 000 exportateurs en 2022, enquête sur un défi français