Invité le 27 avril par la Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie (AHK/CFACI) à débattre à la Kedge Business School sur le thème « Le commerce international à l’heure des protectionnismes. Quel avenir pour l’Europe ? Quel avenir pour le monde ? », Anton F. Börner, président de la Fédération allemande du commerce de gros, du commerce extérieur et des services (BGA) et viticulteur « attaché aux produits de terroir », a surtout centré son intervention sur l’avenir de l’Union européenne (UE).
Tout en s’inquiétant « des risques de repli sur le marché national », ce « Monsieur Export de l’Allemagne », interlocuteur clé de la chancelière Angela Merkel en matière économique, a dénoncé « le populisme » et « les solutions simples » auxquelles, a-t-il martelé, « nous devons résister ». A une dizaine de jours du deuxième tour des élections présidentielles en France, ses propos avaient évidemment une signification particulière, même si, à aucun moment, l’orateur n’a prononcé les noms des deux candidats en lice, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Son message était clair : éviter la « balkanisation de l’Europe », alors que dans son pays se profile aussi des élections fédérales (24 septembre).
Une urgence : déréguler les télécommunications, le fer, la pharmacie
Au terme d’un discours pour « le respect des valeurs » et le refus « des murs », le président de la BGA (1,9 million de salariés, 150 000 entreprises) a répondu à une série de questions sur l’Europe – l’Allemagne et la France en particulier. La Lettre confidentielle du Moci l’a aussi interrogé sur sa perception du commerce international et du protectionnisme, depuis l’élection du président des États-Unis, Donald Trump. En voici les extraits principaux :
Sur l’excédent commercial de l’Allemagne. Selon l’invité de l’AHK, penser comme Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), et Donald Trump, président des États-Unis, qu’il suffit de donner un peu plus de pouvoir d’achat à ses compatriotes « est une idée un peu folle » qui l’a fait sourire. « Le peuple ne se mettra pas à consommer plus. Il voyagera – peut-être – un peu plus, », a-t-il lâché avec légèreté, avant d’asséner : « miser sur la consommation n’est pas réaliste ». Se faisant alors plus ironique, Anton F. Börner a faussement proposé « de mettre les excédents dans une caisse bruxelloise » qui pourrait servir « pour une compensation internationale ». Pour lui, « tout cela ne fait pas avancer les choses et donc il faut quelque chose de nouveau ».
Le président de BGA préconise ainsi « d’améliorer le grand projet d’investissements européen », en commençant par déréguler toute une série de secteurs comme les télécommunications, le ferroviaire et la pharmacie. Dans le premier de ces domaines d’activité, s’il n’y avait cette régulation dans l’UE, traduite par l’instauration de 28 autorités nationales indépendantes, il serait possible « de mettre 50 milliards d’euros de financements privés sur la table ».
Dans le rail, le dirigeant de la BGA a rappelé qu’il avait « fallu du temps pour que le TGV puisse circuler en Allemagne et l’ICE en France » et qu’il était difficile, par exemple, pour les chemins de fer italiens d’investir en Allemagne à cause de l’autorité de régulation de son pays. Dans la pharmacie, déplorait-il, « l’Europe veut qu’il y ait de plus en plus de médicaments disponibles, mais en même temps, elle ne peut rien piloter puisque le secteur est contraint par des règlementations nationales ».
Et le patron de la fédération allemande d’enfoncer le clou en prônant « l’abandon des concepts nationaux », car il faut « une Europe forte face à des grands ensembles comme la Chine et les États-Unis ». Donc, « si on entreprend des projets, ce ne sont pas 100 millions, mais 1 000 milliards- 2 000 milliards d’euros d’investissements qu’il faut et vous verrez alors qu’on ne parlera plus des excédents commerciaux car ils seront réinvestis dans ces projets ».
« L’Allemagne et la France sont les ventricules gauche et droit de l’Europe »
Concernant l’avenir de l’Europe, Anton F. Börner pense que cette dernière est « à la croisée des chemins », avec la possibilité d’un ‘Frexit’, après le second tour de l’élection présidentielle, qui entraînerait dans la foulée la sortie de l’Italie de l’euro. Or, a-t-il assuré en préambule de son intervention, « l’Allemagne et la France sont les ventricules gauche et droit de l’Europe. Si l’un manque, le cœur de l’Europe s’arrête de battre ».
Il est évident pour lui que « l’Europe a besoin de la France et la France de l’Europe », mais il remarque aussi que des élections importantes, législatives, vont se tenir en Allemagne en septembre et que c’est toute l’UE qui est affaiblie aujourd’hui : les Italiens confrontés à de fortes « dissensions politiques » et partagés sur l’euro, les Espagnols « qui n’évoluent pas dans un environnement politique et économique favorable ». Quant aux nations du Nord, « elles sont trop petites pour peser » et les pays de l’Est « cherchent tous leur identité nationale, ce à quoi ils n’avaient pas eu droit auparavant ».
Les solutions ne peuvent pas être trouvées par les seuls chefs d’État et de gouvernement, mais aussi « à l’intérieur de la société ». Mais « comment demander aux populations d’avoir confiance, s’est emporté Anton F. Börner, si, « pour lutter contre le terrorisme, il n’y a pas d’échanges de données entre les pays, parce qu’il n’y a pas de confiance entre eux ».
Le président de la BGA s’en est près aussi à la Commission européenne. Comme viticulteur, il connaît bien à la fois les produits de terroir et les règlements européens. « Comment Bruxelles peut imposer des contraintes qui obligeraient un fabricant traditionnel à modifier sa production. En cas d’infraction constatée, il ne pourra peut-être pas payé. Les fonctionnaires doivent être capables de sortir de la logique technique pour permettre aux uns et aux autres de conserver leur identité », a ainsi plaidé le président de BGA, pour qui il est urgent de « travailler à l’organisation de l’Europe ».
« C’est la tâche principale d’Angela Merkel de convaincre son homologue américain que ce n’est pas la bonne voie »
Sur la question de l’avenir du libre-échange et du commerce international après l’élection de Dinald Trump à la présidence des États-Unis. Si Donald Trump met en œuvre une politique protectionniste, il y a un risque « de récession dans le meilleur des cas et même de dépression » et, faisant allusion au voyage de la chancelière allemande aux États-Unis, Anton F. Börner a affirmé que « c’est la tâche principale d’Angela Merkel de convaincre son homologue américain que ce n’est pas la bonne voie ».
Et de constater que « Trump est un entrepreneur, mais pas un politique » et qu’il fonctionne selon « les statuts binaires de l’économie : j’ai la commande ou je ne l’ai pas, je gagne ou je perds. Sauf que Trump dit je gagne toujours et donc que les États-Unis vont toujours gagner s’ils font ce que je dis ».
Les entreprises « ont peur » de l’imprévisibilité politique. En face de Trump, « qui peut être le concurrent ? », s’est ainsi interrogé Anton F. Börner, qui a répondu « pas l’Europe – elle n’existe pas politiquement – l’Allemagne, un petit peu peut-être, la Chine, oui ». Alors pourquoi ne pas esquisser un rapprochement entre ceux dernières nations, « sachant que l’Allemagne a le soutien de l’Europe ».
« Faire du lobbying aux États-Unis »
Selon Anton F. Börner, comme les entreprises ont également peur des marchés financiers et des banques, l’Allemagne et la Chine auraient un allié de poids avec Wall Street. Et ce, parce qu’en cas de protectionnisme, les actions risqueraient de chuter et tout financement de devenir difficile.
Les retraités pourraient aussi être touchés : environ la moitié des foyers américains détiennent des actions directement ou via des fonds de pension. Aux entrepreneurs et aux retraités, pourraient s’ajouter les ménages qui achètent dans leurs supermarchés des produits chinois à bas prix si l’Administration Trump décide de leur imposer des droits de douane et des taxes.
Le dirigeant allemand recommande ainsi de « faire du lobbying aux États-Unis ». D’autant plus que les États-Unis pourraient subir des mesures de rétorsion. « Imaginez, indiquait le président de la BGA, que le président de Boeing doive expliquer à Donald Trump que les Européens ont décidé de ne plus acheter que des Airbus, ce ne seront plus les ménages américains qui seront cette fois mécontents, mais les salariés du constructeur américain ».
Alors, « faut-il que l’Union européenne signe un accord de libre-échange avec la Chine ? », lui a demandé la LC. Dans une explosion de rire, Anton F. Börner a répondu : « nous Allemands, dès qu’il s’agit d’exporter, nous signerions même un accord avec la Corée du Nord ! ». Dont acte.
François Pargny
Pour prolonger :
–Commerce / Présidentielle : une pétition contre « une aventure protectionniste »
–Commerce / Présidentielle : ce que disent Marine Le Pen et Emmanuel Macron du protectionnisme
-UE / Présidentielle française : Bruxelles scrute les programmes des trois candidats pro-européens
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