L’essentiel : 📌 Présent dans le monde entier, le fabricant stéphanois de dispositifs médicaux (orthopédie, compression et sport) doit faire face à une problématique majeure : l’hyper-segmentation de ses marchés, en fonction des pratiques médicales et des réglementations locales, qui interdisent toute standardisation à grande échelle. Un défi que l’ETI familiale, lauréate de notre dernier palmarès, relève avec brio et pragmatisme en adaptant ses produits aux cahiers des charges locaux.
Les clés du succès : 🔑
Des créations de filiales et des acquisitions locales: cette présence sur place permet à Thuasne de mieux identifier les spécificités culturelles, réglementaires et autres de chaque marché
Du pragmatisme dans les prises de décision: standardiser dès que possible. Et quand ça ne l’est pas, différencier le produit en attendant des évolutions
Multiplier les canaux de vente: distributeur, partenariats avec des concurrents, forces de vente interne… Tous les canaux sont exploités afin de couvrir l’ensemble des schémas, variables d’un pays à l’autre.
Temps de lecture : 4mn
L’HISTOIRE
Rayonner sur un marché mondial hypersegmenté
Thuasne réalise aujourd’hui 60% de son chiffre d’affaires à l’international. Avec 2 400 collaborateurs à travers le monde, il adresse 110 pays via ses 19 filiales et ses 150 distributeurs.
Et la tendance ne cesse de progresser : ces derniers mois deux nouvelles filiales commerciales ont été créées en Australie et en Suisse. Par ailleurs, une croissance externe a été opérée au printemps dernier aux États-Unis, avec l’acquisition de Corflex (150 salariés). Celle-ci faisant suite à une stratégie offensive menée par Thuasne ces dernières années sur le marché nord-américain avec les reprises successives de Townsend Design en 2011, Quinn Medical en 2016 et Knit-Rite en 2020.
Pour autant, ce rayonnement international est complexe. Une complexité dont le secteur mondial de la santé est probablement un des champions et avec laquelle Thuasne doit jongler en permanence afin de sécuriser son business et ses marges.
« Actuellement, la coordination des systèmes de santé n’existe pas, ou très peu, même à l’intérieur de grandes zones géographiques. Il est impossible dans notre secteur d’appliquer la même recette et de vendre les mêmes produits dans le monde entier. C’est ce qui explique que nous ayons aujourd’hui plus de 9 000 références dans nos catalogues. Sans ces spécificités, nous pourrions diviser ce chiffre au moins par dix », observe Delphine Hanton, directrice générale de l’ETI familiale présidée par Elizabeth Ducottet.
Des canaux de distribution très variables
Première des spécificités : des canaux de distribution extrêmement variables d’un pays à l’autre. « Dans certains pays comme la France, nous travaillons beaucoup avec les pharmacies, explique la responsable. Ailleurs, nous collaborons beaucoup avec les orthoprothésistes notamment. Aux États-Unis notamment, le sujet de la distribution est complexe car d’un État à l’autre, et d’une pathologie à l’autre, les méthodes diffèrent et les canaux sont très nombreux : les pharmacies, les praticiens et même les clients en direct pour les pathologies qui ne sont pas prises en charge par les systèmes de santé ».
Pour répondre à cette problématique complexe, Thuasne déploie, ces dernières années, un mix de forces de ventes. Ses équipes en propre sont de plus en plus souvent renforcées par des distributeurs locaux, des grossistes et même par des partenariats avec des concurrents/confrères proposant des produits complémentaires.
« Il y a encore peu, nous étions très focalisés sur nos forces de vente directes mais nous avons décidé de nous ouvrir à d’autres acteurs locaux, y compris sur les pays où nous disposons de filiales. Le marché est tellement complexe qu’il est impossible de maîtriser l’ensemble des canaux de distribution pour chacune des pathologies que nous adressons (et elles sont nombreuses). C’est probablement le moyen le plus efficace de se développer », poursuit Delphine Hanton.
La croissance externe permet aussi de répondre à cette problématique en donnant rapidement à Thuasne certaines clés du marché local.
Des réglementations et des cahiers des charges spécifiques
C’est l’autre facette de la segmentation des marchés adressés par Thuasne : des réglementations différentes d’une zone géographique à l’autre, et, des cahiers des charges spécifiques d’un pays à l’autre (et même d’un État à l’autre aux États-Unis) quant aux conditions nécessaires pour entrer dans les critères de remboursement par les systèmes de santé locaux.
Delphine Hanton ne manque pas d’exemples concrets : « Par exemple, pour les ceintures lombaires, en France, elles doivent avoir une hauteur de 21 et 26 centimètres. Cette contrainte n’existe pas en Allemagne, notre voisine pourtant, mais ce pays en a une autre : la ceinture lombaire doit forcément comporter une partie en silicone…. Ces différences, vous pouvez les reporter à l’échelle de la planète et les multiplier par toutes nos gammes de produits pour chacune des pathologies…»
« Forcément, c’est un véritable casse-tête car il serait économiquement impensable de développer un produit spécifique pour chaque pays, pour chaque gamme » dit encore la responsable.
En équipe pour identifier les adaptations géographiques nécessaires
Alors comment Thuasne s’efforce-t-elle de répondre à cette contrainte forte ?
Les équipes R&D et marketing, les affaires juridiques et les services qualité œuvrent de concert pour identifier les adaptations géographiques nécessaires et les optimiser. A la fin, c’est le comité exécutif qui tranche.
« Les équipes locales travaillent en binôme avec nos équipes corporate pour identifier les adaptations locales indispensables, en essayant de les limiter au maximum. Il faut réussir à avoir le bon équilibre entre le bon produit bien adapté aux cahiers des charges et pratiques locales tout en conservant une rationalisation industrielle la plus pertinente possible », souligne la directrice générale. Tout en reconnaissant que l’exercice n’est pas simple : les produits développés pour un marché précis représentent encore un poids significatif.
Des coûts alourdis dans divers domaines
Les conséquences économiques et organisationnelles ne sont pas négligeables pour l’entreprise. Les coûts de développement sont forcément démultipliés et les coûts industriels plus élevés que pour des plus grandes séries de production.
La logistique est aussi impactée. « Nous avons essayé à plusieurs reprises de simuler des schémas logistiques plus régionalisés, moins locaux, confirme la dirigeante. A l’heure actuelle, ce n’est pas possible car la demande est trop segmentée. Cela engendre des dépenses logistiques plus élevées avec plus de stocks dormants et donc une immobilisation de trésorerie conséquente ».
L’ETI essaie, à son échelle, de faire bouger les lignes de cette hyper-segmentation. Chaque année, elle mène ainsi plus d’une trentaine d’études cliniques visant à établir dans telle ou telle zone géographique le bien-fondé de solutions techniques éprouvées dans d’autres pays. « Nous réussissons ponctuellement à obtenir des conditions de prises en charge identiques. Nous avançons avec ces petits pas », sourit Delphine Hanton.
Elle note d’ailleurs à ce sujet que les autorités de santé locales « benchmarkent » de plus en plus régulièrement chez leurs voisins ou dans d’autres zones géographiques. Une démarche qui pourrait permettre, à long terme, une harmonisation des pratiques de santé. « Les patients, les industriels, les systèmes de santé… Nous serions tous gagnants à une meilleure coordination » conclut la responsable. Mais on est encore loi du but.
Les leçons 📖✨🧠 :
- Une politique de petits pas permet à Thuasne d’avancer sur le chemin de la standardisation en pesant, à son échelle, sur les politiques de santé locales.
- Un travail partenarial est indispensable entre les équipes locales et les équipes corporate pour une segmentation parfaitement optimisée.
Stéphanie Gallo
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