📌L’essentiel : Créé en 2020 par deux amoureux et professionnels du vin, Moderato a placé l’international et la qualité au cœur de sa stratégie pour se faire une place sur le marché de niche des vins désalcoolisés, déjà très appréciés dans le monde anglo-saxon. Un positionnement qui permet à cette PME dont le siège est à Paris, de réaliser 40 % de son chiffre d’affaires à l’export avec du vin sans alcool confectionné dans le Gers. Et de se lancer sans complexes… aux États-Unis.
🔑 Les clés du succès :
– Jouer la French touch sans se reposer dessus
– Allier innovation et tradition
– Surfer sur une tendance en plein essor
Temps de lecture : 4 mn
L’HISTOIRE
La terre ne va pas s’arrêter de tourner…
Convier une quinzaine de sommeliers et œnologues new yorkais à une dégustation de vins français alors que le président des États-Unis menace d’imposer des taxes de 200 % sur les alcools européens, il fallait oser. C’est pourtant l’initiative prise par la jeune pousse Moderato pour présenter ses bouteilles à une assemblée de professionnels.
« Nous ne savons pas si ces taxes concerneront aussi les vins désalcoolisés, concède Karine Debu, directrice export de la marque. Mais la terre ne va pas s’arrêter de tourner et nous nous donnons six mois pour percer. »
Un excès de confiance ? Une question de timing plutôt.
L’entreprise, qui compte aujourd’hui 10 personnes, trouve un importateur-distributeur en octobre dernier, soit un mois avant la réélection de Donald Trump, mais décide d’insister. Car le fait d’être français reste un plus dans l’univers du vin et, surtout, les boissons alcohol free ont le vent en poupe outre Atlantique.
Selon le cabinet britannique IWSR, les ventes de vins et spiritueux désalcoolisés se sont envolées de pas moins de 29 % (18 % pour les vins) en 2023, alors que les boissons alcoolisées n’ont progressé que de 7 %.
Un vin sans alcool mais pas dénaturé
Sur ce segment, où la concurrence est déjà bien affûtée aux États-Unis, Moderato dispose d’un autre atout dans sa manche pour se distinguer auprès des consommateurs : faire cohabiter innovation et tradition dans une bouteille de 75 cl.
« Il faut d’abord un bon vin avant de le désalcooliser », précise Karine Debu. Ensuite, parmi les différentes méthodes qui permettent de séparer l’alcool, la jeune société a choisi « l’évaporation sous vide pour extraire l’éthanol sans perturber la structure du vin ».
« Nous avons également mis au point une technique grâce à laquelle nous récupérons les arômes évaporés pendant la distillation pour le réincorporer au vin », détaille la directrice export. L’idée n’est pas de créer des boissons uniquement pour les personnes abstèmes, mais de leur permettre de partager le plaisir du vin avec des convives qui ne le sont pas.
Pionnière française des vins sans alcool en France, Moderato a délégué sa production à la coopérative Vivadour, dans le Gers après avoir essayé d’autres prestataires. Elle est la première à avoir mis en place une unité de production de vin désalcoolisé en France, ce qui lui confère une certaine maîtrise d’un procédé aussi rigoureux que minutieux. L’embouteillage est réalisé dans la région et le produit fini est 100 % Made in France.
10 % des ventes de vins sans alcool au Québec
Pour mettre au point ce produit et son plan marketing, la startup a également pu compter sur l’expérience de ses deux fondateurs. Fabien Marchand-Cassagne est un entrepreneur spécialisé dans les boissons « engagées » (il a été directeur général des jus de fruits Innocent) et Sébastien Thomas, passé par Pernod-Ricard, est issu d’une famille de viticulteurs et de distillateurs de cognac.
Les deux entrepreneurs ont ensuite débauché Karine Debu qui travaillait depuis 10 ans dans le négoce des grands crus, à Bordeaux, notamment pour le marché canadien, que Moderato lorgnait.
« Il y a quatre ans, les acheteurs canadiens n’était pas prêts pour ce type de produit et le pitch devant un agent de la Société des Alcools du Québec (SAQ) n’avait rien donné, relate-t-elle. Nous les avons revus sur le salon Prowine Paris l’an dernier, nous avons repris les négociations et des commandes ont été passées. Il a donc fallu quatre ans entre le premier contact et la première concrétisation. »
La patience a payé. Aujourd’hui, Moderato représente 10 % des ventes de vin désalcoolisé de la SAQ.
Un marché de niche en pleine ascension
Présente dans 10 pays d’Europe et d’Amérique du Nord, Moderato a, dès sa création, misé sur l’international, le marché français demeurant insuffisamment développé. « En Europe, la tendance aux vins désalcoolisés est plus importante en Suisse, au Danemark, en Allemagne et au Pays-Bas et les échanges sont plus faciles », constate la directrice export.
Également au Royaume-Uni où la jeune pousse a récemment bénéficié d’un coup de projecteur grâce au quotidien The Guardian, qui a élu en janvier dernier la cuvée « Révolutionnaire » de Moderato meilleur vin sans alcool parmi 60 références testées par ses journalistes spécialisés. Un succès d’estime qui a accompagné le lancement de la gamme dans 212 magasins de l’enseigne Majestic à travers toute l’Angleterre.
Si démarcher l’international demande temps et patience, l’exercice s’est avéré payant. En 2024, Moderato a produit 350 000 bouteilles, soit trois fois plus que l’année précédente. Et elle exporte 40 % de sa production.
Grâce à une levée de fonds de 3 millions d’euros en septembre 2024, Moderato espère tripler son chiffre d’affaires à l’export en trois ans et de devenir la référence dans vins sans alcool en France et à l’international.
📖✨🧠Les leçons :
Penser l’international dès le départ en raison d’un marché domestique trop restreint s’avère payant.
Se faire connaître des professionnels du vin (sommeliers, œnologues, journalistes, influenceurs…) permet de viser un public BtoB.
Ne jamais négliger la qualité !
Sophie Creusillet