Menacé de manière quasi-existentielle par les sanctions commerciales agitées par son voisin américain, le Mexique de Claudia Sheinbaum répond par beaucoup de calme et quelques concessions, sans jamais perdre de vue son intérêt national. Une attitude pour l’heure payante, qui pourrait inspirer les nombreux gouvernements qui subissent les foudres de Washington. Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Soulagement
« Nous nous réunissons pour nous féliciter, car dans les relations avec les États-Unis, avec leur gouvernement, le dialogue et le respect ont prévalu, et les droits de douane ou les tarifs qui étaient appliqués aux produits que nous exportons vers le pays voisin ont été levés. C’est un succès pour nous tous », s’est félicitée dimanche la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, discourant devant une foule massive, à Mexico.
La cause de cette joie: la trêve accordée par le président américain, Donald Trump, qui menaçait de frapper tous les produits mexicains de droits de douane de 25%.
Bien que fragile – la trêve ne court que jusqu’au 2 avril – et limitée – elle ne concerne que les produits couverts par l’ACEUM [USMECA], le traité de libre-échange qui lie les deux pays – , cette décision américaine a provoqué un soulagement à la hauteur de la menace quasi-existentielle que constituent, pour le Mexique, ces tarifs douaniers agités par M. Trump.
Déficit croissant
L’économie nationale est en effet plus qu’étroitement liée à celle de son voisin du nord.
Dans un contexte de recomposition post-Covid des chaînes d’approvisionnement mondiales, le Mexique est ainsi devenu, en 2024, le premier fournisseur des États-Unis, dépassant la Chine et le Canada, avec des exportations atteignant plus de 500 milliards de dollars, soit une hausse de 6,4 % par rapport à l’année précédente.
Actuellement, plus de 80 % des exportations mexicaines sont destinées au marché américain. Dans l’autre sens, les États-Unis ont vendu pour plus de 334 milliards de dollars de marchandises au Mexique sur la même période.
Les exportations mexicaines concernent principalement l’industrie automobile, les pièces détachées et l’électroménager. En sens inverse, le Mexique importe des États-Unis d’importants volumes de produits agricoles et de dérivés pétroliers. En novembre 2024, la balance commerciale entre les deux pays affichait un excédent record de 171,8 milliards de dollars en faveur du Mexique.
Ce déficit commercial croissant a été l’un des principaux arguments de Donald Trump pour menacer d’un tarif douanier généralisé de 25 % sur les importations mexicaines.
Trump justifie également ces menaces par la nécessité de renforcer la sécurité frontalière, accusant ses voisins de ne pas faire les efforts nécessaires pour combattre la migration clandestine et le trafic de drogue vers les États-Unis.
Au fil des trêves
Presque deux mois après l’investiture du « Tariff Man », ces menaces n’ont toutefois pas été mises à exécution plus de quelques heures. Le 3 février, il a ainsi renoncé une première fois à ces sanctions qui devaient entrer en vigueur le lendemain, avant, donc, d’offrir une nouvelle trêve peu après l’entrée en vigueur de ces droits de douane, jeudi dernier.
Des reculades qui, si elles paraissent principalement liées aux menaces d’effondrement des marchés financiers américains, le sont aussi à l’attitude adoptée par Claudia Sheinbaum, qui suit fidèlement le précepte d’un célèbre dicton mexicain : « Celui qui se met en colère perd ».
Calme, pragmatique et mesurée, la présidente, en fonction depuis seulement 6 mois, a ainsi toujours privilégié le maintien du dialogue, en dépit des provocations outrancières de Donald Trump.
Quitte, parfois, à plier, en acceptant par exemple, dès le 3 février, d’envoyer 10 000 agents à la frontière américaine pour contenir la migration et le trafic de fentanyl. Une inflexion demandée par le président américain, qui a déjà permis d’arrêter des dizaines de criminels mexicains, et de saisir des tonnes de drogue.
Autre exemple de cette flexibilité : l’expulsion discrète, le 28 février, de 29 barons de la drogue vers les États-Unis. Parmi eux, Rafael Caro Quintero, ancien chef de l’un des cartels les plus violents du pays et responsable présumé de l’assassinat sous torture de l’agent infiltré de la DEA, Enrique Camarena, en 1985. Une concession sans doute entachée d’illégalité, qui envoie néanmoins un signal fort à Washington.
Mme Sheinbaum ne perd pas de vue pour autant les intérêts mexicains. Elle les défend publiquement, mais toujours avec calme et une certaine malice. Face aux dernières menaces de l’épouvantail de la Maison Blanche, elle a ainsi évoqué et affirmer disposer d’un « plan A, d’un plan B, C, D ou toute autre lettre de l’alphabet nécessaire », sans jamais en révéler le contenu.
Fermeté canadienne
Une attitude très différente de celle adoptée par le Canada, lui aussi très dépendant des États-Unis, et lui aussi menacé par des surtaxes de 25% sur ses produits par M. Trump.
Le gouvernement canadien a ainsi immédiatement menacé de répondre œil pour œil dent pour dent aux sanctions américaines. Ottawa, qui a obtenu la même trêve que Mexico quelques heures plus tard, jeudi [6 mars], a certes accepté de suspendre ses contre-mesures, d’une valeur de 87,3 milliards de dollars sur les produits américains, mais seulement jusqu’au 2 avril, date de la fin de la trêve.
La fermeté canadienne ne s’arrête pas là. Doug Ford, le premier ministre de l’Ontario, a ainsi annoncé le maintien des droits de douane de 25 % sur l’électricité exportée vers le Michigan, le Minnesota et l’État de New York, qui alimente environ 1,5 million de foyers et d’entreprises américaines.
« Nous allons continuer à nous battre tant que la menace de tarifs douaniers ne sera pas écartée pour de bon », a-t-il déclaré lundi [10 mars], allant jusqu’à menacer d’interrompre totalement ces exportations si Trump persiste dans sa guerre commerciale.
Mardi [11 mars], le président américain a riposté en doublant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium canadiens, qui devaient passer à 50 % dès mercredi [12 mars]. Les États-Unis et l’Ontario ont néanmoins renoncé à ces sanctions in extremis.
L’attitude dure adoptée par le Canada, qui s’explique largement par les menaces territoriales dont il est ciblé par M. Trump et qui ont suscité un élan patriotique dans le pays de l’érable, ne semble pas moins susceptible de contribuer à provoquer une escalade commerciale entre les deux pays.
Trump conquis
A contrario, le pragmatisme de Mme Sheinbaum face aux États-Unis s’avère, pour l’heure, payant. Il est d’ailleurs salué, tant par les Mexicains, qui l’approuvent à 80%, que par le secteur privé.
« Des solutions doivent être trouvées par le dialogue et le respect des accords commerciaux, en évitant les décisions qui pourraient nuire à l’intégration économique de la région », a ainsi déclaré lundi Octavio de la Torre, président de la Confédération des chambres nationales de commerce, de services et de tourisme.
Plus surprenant : M. Trump lui-même semble conquis, qualifiant Mme Sheinbaum de « femme merveilleuse ». Première femme élue à la tête du pays, issue de la gauche, climatologue et ancienne scientifique du GIEC, la sexagénaire n’a pourtant rien en commun avec son homologue américain.
Cette séquence politique ne lui a pas moins permis de se distinguer de son prédécesseur et mentor, Andrés Manuel Lopez Obrador, proche de Jean-Luc Mélenchon, qui s’était illustré par son dogmatisme et son isolationnisme.
Au-delà du contraste dans l’attitude, la présidente mexicaine a aussi tiré parti de ce bras de fer feutré avec Washington pour se saisir de problématiques négligées par l’administration précédente, notamment en matière de sécurité nationale.
La prudence reste de mise
Claudia Sheinbaum savoure donc son succès. La prudence reste toutefois de mise.
La trêve, fragile et limitée, ne donne de surcroît aucune garantie face aux autres menaces commerciales proférées par le président américain, et notamment les surtaxes sur l’acier et l’aluminium, entrées en vigueur ce mercredi [12 mars], ainsi que les « droits de douane réciproques » promis par la Maison Blanche.
Sur ce dernier point, Claudia Sheinbaum se veut confiante : « Nous sommes optimistes, car le 2 avril, le gouvernement américain a annoncé qu’il imposerait des droits de douane réciproques à tous les pays du monde. Si un pays taxe les exportations américaines, les États-Unis feront de même. Mais le Mexique n’est pas concerné, car depuis 30 ans, nous avons signé deux traités commerciaux qui garantissent l’absence de droits de douane entre nos deux pays », a-t-elle affirmé dimanche [9 mars].
Voilà au moins un danger qui semble écarté.