L’essentiel : 📌 En moins de 5 ans, le groupe Leader a doublé de taille grâce à une stratégie d’acquisitions ciblées. Ce fabricant d’équipements pour la lutte contre les incendies réalise aujourd’hui 70 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 90 % à l’international, loin de ses bases normandes.
Les clés du succès : 🔑
Acquisitions stratégiques : depuis 2016, Leader Group a racheté des spécialistes en Europe, aux États-Unis et au Canada. Dernier en date : le Québécois C.E.T., qui ajoute 15 M EUR au chiffre d’affaires et renforce sa présence en Amérique du Nord.
Innovation : une équipe R&D de 40 personnes soutient l’innovation.
Intégration: le plus souvent, les dirigeants de la cible acquise restent et deviennent actionnaires du groupe; pas de standardisation: les unités gardent leur culture, mais optimisation « pour qu’on grandisse tous ensemble ».
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L’HISTOIRE
De Distributeur à leader industriel
Tout juste de retour dans son bureau d’Octeville-sur-Mer (Normandie), Miguel Ferrara rentre d’un déplacement au Canada. Il vient de finaliser le rachat d’une PME basée au Québec, C.E.T, un fabricant de matériels destinés à la lutte contre les incendies. Recruté en 2008 par le fondateur de ce groupe français basé en Normandie et spécialisé dans la conception, la fabrication et la distribution de produits et équipement pour les pompiers et autres soldats du feu, il en connaît tous les rouages.
Ce n’est que progressivement que, de simple distributeur, Leader Group est devenu fabricant de ses gammes de produits propres, au début principalement pour l’Europe, puis, là encore progressivement, pour les marchés internationaux. « Quand je suis arrivé en 2008 dans le groupe, la part des produits dont nous avions intégré la fabrication était d’environ 20 % et l’objectif était dès cette époque de faire de la croissance à l’international et d’accroître l’intégration de nos propres produits » relate le dirigeant.
La stratégie menée alors repose sur deux axes : le développement en interne d’une fabrication de produits propres et des acquisitions ciblées pour enrichir la gamme ou s’implanter sur de nouvelles zones géographiques. Le fondateur, Thierry Delerue, souhaitait à l’époque préparer le passage de relais en ouvrant le capital aux salariés, ce qui sera fait en deux fois quelques années plus tard, avec un premier LBO réalisé sans accompagnement extérieur en 2017, puis un deuxième LBO en 2021 avec, cette fois, l’intervention de la société d’investissement Geneo Capital Entrepreneur.
Entre 2008 et 2015, la montée en puissance de l’outil industriel est nette : la part des produits propres passe de 20 à 99 % tandis que la gamme s’enrichit grâce à des acquisitions. Ventilateurs, lances, caméras thermiques, matériels de formation, mousse, toute la panoplie pour « attaquer le feu ». S’y ajoute du matériel électronique pour faire face aux impacts de tremblements de terre (capteurs sismiques, sonars, etc.).
En parallèle, la PME accélère à l’international avec la réalisation des premières acquisitions ciblées.
Premières acquisitions ciblées en Europe et aux États-Unis
Une étape importante est ainsi franchie en 2016, avec le rachat d’une société autrichienne spécialiste des caméras thermiques, Photonics, puis, l’année suivante, d’un fabricant américain de ventilateurs, Tempest, qui lui ouvre plus grand les portes d’un marché américain que le groupe français avait commencé à attaquer en 2012. « A partir de là, notre marché, qui était très européen, devient beaucoup plus international. Progressivement, la part du chiffre d’affaires de Leader Group réalisé hors de France grimpe jusqu’à atteindre 90 % aujourd’hui » se souvient Miguel Ferreira.
Avec le rachat en 2024 du Québécois C.E.T (15 M EUR de CA), l’empreinte du groupe en Amérique du Nord s’accroît encore, portant le chiffre d’affaires du groupe à 70 millions d’euros (M EUR), répartis entre l’Europe (35 M EUR), l’Amérique du Nord (20 M EUR) et l’Asie (15 M EUR). La France ne représente plus que 10 % de l’activité.
Le groupe Leader, qui affiche un effectif global de 240 personnes, dispose désormais de 6 sites industriels, dont deux en France, deux aux États-Unis, un au Canada et un en Autriche. Son réseau commercial compte trois filiales (Allemagne, États-Unis, Chine) et un bureau de représentation à Kuala Lumpur, en Malaisie. Dans les pays dits « exotiques », le groupe français s’appuie sur un réseau de partenaires. L’équipe commerciale compte 35 personnes actuellement et son réseau de distributeurs près de 500 « partenaires ».
« Tout ce qui est international va continuer à croître beaucoup plus vite que l’activité en France », estime aujourd’hui Miguel Ferreira.
Les moteurs de l’expansion internationale
« L’attaque du feu est une niche de produits, qui servent à équiper les pompiers et les agents de police secours. Il y a peu de fabricants dans le monde par famille de produits, donc peu de concurrents » explique Miguel Ferreira. « Pour continuer à faire de la croissance, il y a deux options : soit élargir la gamme de produits, soit développer la présence commerciale sur les différents continents ».
D’où la mission qui lui avait été d’ailleurs confiée à son arrivée en 2008 : grandir, soit par l’acquisition de nouvelles familles de produits, soit par le déploiement commercial international, territoire par territoire. « Aujourd’hui, toutes les croissances organiques ou externes que l’on réalise sont menées soit pour prendre de nouvelles parts de marché, soit pour apporter des produits complémentaires à nos gammes » insiste le dirigeant.
Le développement en interne de nouveaux produits, qui demande plus de temps, n’est pas abandonné pour autant : entre 30 et 40 personnes travaillent en R&D chez Leader, à la fois sur le développement de nouveaux produits et la gestion des aspects réglementaires (certification, homologation) pour s’ouvrir les marchés locaux. Mais la croissance externe permet d’aller beaucoup plus vite pour acquérir des produits complémentaires ou prendre des parts de marché.
L’appui d’un accompagnement stratégique
En matière d’acquisition, Miguel Ferreira applique une stratégie rigoureuse et bien arrêtée. « Comme il y a peu de fabricants sur cette niche de produits, et qu’ils sont principalement en Europe et en Amérique du Nord, nous avons établi une liste de partenaires potentiels et nous regardons si nous pouvons trouver des synergies avec ces industriels et/ou les intégrer », explique-t-il. « Toutes les acquisitions possibles, nous les connaissons, et la majorité sont à l’étranger ».
Depuis le second LBO de 2017, le groupe bénéficie de l’appui de la société Geneo Capital Entrepreneur dans cette démarche. « Il y a cinq ans, lorsque le besoin du soutien d’un fonds est apparu, j’avais plusieurs critères pour le choisir : sa capacité à répondre à notre besoin d’apport financier, mais aussi sa capacité à nous accompagner dans les croissances externes ». C’est avec cet objectif qu’il a donc fait entrer Geneo dans le jeu.
En l’occurrence, cette société d’investissement, outre de participer au montage du LBO, a fait sa part dans les projets d’acquisition de Leader, intervenant dans la structuration des projets avec la validation des cibles, la préparation des mémorandums, les due diligences ou encore les échanges avec les banques ou les discussions avec les avocats. « On a pris en charge tout le process d’acquisition depuis l’initiation des discussions avec les cédants jusqu’aux discussions avec les partenaires financiers, souligne Marc Dupuy, directeur associé de Geneo. Ce qui implique notamment la structuration du financement, et la recherche des conseils locaux adaptés »
Convaincre avec un projet gagnant-gagnant
Pour Miguel Ferreira, qui a repris les rênes du groupe après avoir engrangé beaucoup d’expérience à l’international, notamment en travaillant pour les groupes Veolia et Sidel à des fonctions de direction générale ou commerciale, ce n’est pas si compliqué de croître à l’international. « Depuis 15 ans que je travaille sur ce marché, tout le monde nous connaît et nous côtoyons tout le monde », explique le dirigeant sans fausse modestie. Et la perspective de gérer un groupe de plus en plus international, intégrant des cultures différentes, n’est pas un obstacle pour lui. Il sait faire. C’est même en partie pour cette compétence qu’il a été recruté il y a quinze ans par le fondateur.
Ainsi, les dirigeants du Canadien C.E.T n’étaient pas vendeurs : c’est Miguel Ferreira qui les a approchés et a su les convaincre avec un projet qui leur permettait de rester aux manettes de leur société, de prendre des parts dans le groupe français, et d’accélérer le déploiement à l’international de leurs produits très complémentaires de la gamme du groupe français (pompes, véhicules, etc.). En somme, un projet gagnant-gagnant pour ces entrepreneurs.
« Une des règles quand nous intégrons une société est que ses actionnaires reçoivent des parts de Leader Group, résume Miguel Ferreira. Notre objectif n’est pas d’avoir une mainmise totale sur la nouvelle acquisition et d’évincer l’ancienne direction, mais d’assurer au contraire une continuité et de développer ensemble des synergies au niveau des produits ou des zones commerciales ».
Tempest, acquise en 2017, a gardé ainsi son identité. C.E.T, qui était déjà présent aux États-Unis (Californie, Texas) va permettre au groupe français d’y accroître sa présence, de même qu’au Canada, et réciproquement. « Nous allons pouvoir faire des synergies au niveaux des gammes de produits et proposer des systèmes complets » se réjouit Miguel Ferreira. Cerise sur le gâteau pour C.E.T : l’équipe R&D de Leader va travailler à internationaliser les gammes du Canadien dans d’autres zones où il n’est pas présent, en Europe, en Asie et en Amérique latine.
La méthode d’intégration des nouvelles acquisitions est désormais bien rodée : « On a un process établi d’intégration de l’ensemble des activités, qu’elles relèvent de la production ou des activités support, explique Miguel Ferreira. Ensuite, nous avons mis en place des équipes transverses pour différents métiers comme les achats, le commercial, le marketing, la qualité, la finance ou les RH, qui vont intervenir pour les aider à implanter progressivement des flux de process communs. L’objectif n’est pas de standardiser à 100 %, car on a conscience qu’ils ont leur propre culture, mais plutôt d’homogénéiser et d’optimiser les process pour grandir ensemble ».
Grands incendies, catastrophes naturelles…. Des marchés porteurs
On a tous en tête les images effrayantes des incendies géants qui ont ravagé ces dernières années des milliers d’hectares en Californie ou, en Europe, en Grèce, au Portugal ou encore en France, la forêt des Landes. Et la série noire n’est pas près de s’arrêter avec le réchauffement climatique et les épisodes de sécheresse de plus en plus longs et rudes. Un contexte particulièrement porteur pour les industriels de la lutte anti-incendie.
« Ce qui nous drive aujourd’hui, c’est qu’il y a de plus en plus de feux, de plus en plus de catastrophes naturelles, cela ne cesse d’augmenter au fil des ans, confirme Miguel Ferreira. En fonction des géographies, les catastrophes déclenchent des plans d’investissement soit en local, soit dans les pays voisins exposés, soit des groupes d’intervention internationaux pour être mieux équipés en cas de nouvelles catastrophes. »
Pour le groupe Leader, un champ de développement immense est ouvert. « Notre objectif est de proposer des matériels techniquement de pointe et fiables qui permettent aux intervenants de sauver des vies le plus rapidement possible, insiste le dirigeant. Notre mission est de concevoir avec notre département R&D des équipements et produits de haute technologie »
De nouveaux projets d’acquisition dans les tuyaux
D’autres acquisitions sont du reste dans les tuyaux, deux ou trois selon Miguel Ferreira, sur une quinzaine de cibles identifiées il y a cinq ans. Sans compter les propositions qui remontent du réseau de Geneo, « une à deux par mois » selon le dirigeant.
Pas d’objectif précis en termes de taille, mais une volonté affichée « de faire grandir le groupe pour qu’il soit pérenne, mais de rester à taille humaine ». Leader Group a déjà doublé de taille en 4 ans, et son implantation s’étend sur huit pays désormais. Pas de quoi effrayer le dirigeant. « Cela suppose une organisation complexe mais cela reste de petites équipes » souligne Miguel Ferreira.
Le groupe a toutefois musclé son organisation. Un comité exécutif de 22 membres, tous des cadres détenteurs d’expertise et actionnaires, pilote le groupe. Tous les lundis sont consacrés à faire le point sur les opérations dans le monde entier, et des réunions des équipes opérationnelles par produits se tiennent chaque mois. Les équipes du siège se déplacent également régulièrement sur le terrain, Miguel Ferreira lui-même se rend sur site deux à trois fois par trimestre. Revenu du Canada le matin-même de notre entretien, il planifiait de se rendre ensuite aux États-Unis, puis en Allemagne, puis en Autriche.
Pour 2025, l’objectif que se fixent les dirigeants du groupe est de croître de 10 à 15 % pour atteindre de l’ordre de 80 M EUR de chiffre d’affaires, grâce à de la croissance organique et à de nouvelles acquisitions. Les embauches sont au rendez-vous : « Avec les synergies que l’on crée avec C.E.T, on va intégrer 20 à 30 % de personnels en plus soit une cinquantaine d’emplois au niveau groupe. Pour la France, 22 postes sont ouverts pour 2025 ». Profils recherchés : opérateurs pour monter les nouveaux matériels, des postes en R&D, des commerciaux…
Prêt à traverser les tensions commerciales internationales
Le groupe peut-il craindre de voir doucher ses ambitions aux États-Unis avec le regain de protectionnisme promis par Donald Trump ? « Cela risque de nous pénaliser sur certains produits que nous expédions de France et du Canada mais notre implantation locale nous permettra de minimiser le risque de surtaxe, temporise Miguel Ferreira. Sur les États-Unis, l’objectif est de vendre local, Made in USA, ce qui nous permet de nous battre dans les appels d’offres ».
Et quid de l’impact des tensions entre l’Union européenne (UE) et la Chine ? « En Chine, depuis le Covid, on a souffert et on continue à souffrir, la croissance à deux chiffres que nous avons connue avant 2020, c’est terminé, tranche le dirigeant. Et nous n’avons malheureusement pas trouvé de solutions, avec nos partenaires, pour redresser la barre. Nous subissons des taxes très importantes à l’importation qui limitent nos possibilités. Pour le moment, la Chine n’est plus un marché prioritaire pour nous. »
En matière de lutte contre les incendies, il y a de quoi faire ailleurs dans le monde
Christine Gilguy
Les leçons 📖✨🧠:
- La transformation stratégique (de distributeur à industriel) s’est faite parallèlement à l’internationalisation
- La stratégie de croissance externe ne remplace pas la R&D interne: elles se renforcent mutuellement
- Pour réussir l’intégration: harmoniser sans effacer les cultures locales; associer les dirigeants des sociétés acquises au capital du groupe.