📌L’essentiel : Dessintey est lauréate de l’appel à projets du nouveau Fonds français pour la résilience économique de l’Ukraine, dit « Fonds Ukraine », doté de 200 millions d’euros d’argent public et géré par la direction générale du Trésor. Celui-ci doit notamment permettre à des PME et des ETI françaises de participer à la reconstruction du pays et de s’y ancrer. Cette PME stéphanoise de la medtech a su saisir l’opportunité : dans les prochains mois, elle va équiper 45 hôpitaux ukrainiens de dispositifs médicaux innovant de thérapie miroir, très attendus à court terme pour traiter les blessés de cette guerre.
🔑 Les clés du succès :
-Un dispositif médical innovant répondant à un besoin critique et immédiat de l’Ukraine pour soigner les nombreux blessés civils et militaires de la guerre
-L’appui d’un distributeur local et de Business France pour faire connaître sa solution aux autorités ukrainiennes
-Un travail administratif important et minutieux pour monter un dossier de projet et répondre à l’appel à projet du Fonds Ukraine
Temps de lecture : 7 mn
L’HISTOIRE
Un dispositif médical innovant pour pratiquer la « thérapie miroir »
Créée en 2017 par le professeur Pascal Giraux (chef du service rééducation adulte au CHU de Saint-Etienne), Davy Luneau, spécialiste des sciences de la motricité et Nicolas Fournier (ingénieur et entrepreneur), Dessintey a développé un outil numérique (logiciel, caméra et systèmes d’écrans) permettant de générer des illusions visuelles aux patients et d’opérer des thérapies miroir.

Ces thérapies, qui existent depuis longtemps dans la littérature médicale, sont en réalité peu pratiquées par ailleurs car difficiles à mettre à œuvre. Elles visent à leurrer le cerveau, suite notamment à un AVC ou à une amputation, pour réactionner la commande centrale ou atténuer les douleurs du « membre fantôme ». À ce jour, Dessintey, PME de 25 collaborateurs, a équipé 350 établissements en France et dans le monde.
Un contrat significatif de 8 millions d’euros financé par le Fonds Ukraine
D’ici mi-2026, elle en aura équipé 45 de plus, en Ukraine, grâce au Fonds français pour la résilience économique de l’Ukraine, surnommé « Fonds Ukraine ». La PME fait en effet partie le la liste des 19 entreprises sélectionnées pour obtenir un financement de leur projet, révélée le 7 mars dernier par la direction générale du Trésor. À l’échelle de Dessintey et de ses 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, ce marché de 8 millions d’euros est plus que significatif.

Dans le détail, le contrat porte sur la fourniture, pour chacun des 45 établissements ukrainiens positionnés, de quatre dispositifs de thérapie miroir pour la récupération motrice et la réduction des douleurs du « membre fantôme » pour les personnes amputées, ainsi que sur la fourniture de deux « SRT 5 », un nouveau dispositif d’auto-rééducation guidée qui permet aux patients de prolonger leurs séances de rééducation de manière autonome (en hôpital ou en centre spécialisé).
En parallèle, un programme de formation hybride (en ligne et sur site) sera assuré pour permettre une meilleure prise en charge par les professionnels de santé ukrainiens.
Ce fonds français de résilience de 200 millions lancé en juin 2024, qui fonctionne par appel à projets, doit permettre de soutenir l’Ukraine dans son acquisition de divers matériels français dans les domaines prioritaires de la santé, de l’eau, de l’énergie, des infrastructures, du déminage et de la sécurité incendie. L’occasion aussi pour des entreprises de taille petite et moyenne retenues d’avancer leurs pions sur ce marché en réduisant leurs risques financiers, grâce aux financements de leur projet. A condition de candidater avec une proposition solide, et d’être sélectionné.
Un contact avec un distributeurs ukrainien noué dès 2018
Dessintey avait un atout, elle n’arrivait pas en terre inconnue : elle avait déjà fait quelques pas en Ukraine. Et sa participation à l’appel à projet du Fonds Ukraine ne doit rien au hasard.
« L’histoire avec l’Ukraine remonte à 2018, raconte Nicolas Fournier. Sur le salon Medica, en Allemagne, un distributeur ukrainien spécialisé dans les sujets de rééducation, était venu nous voir. Il était très intéressé par nos produits et souhaitait établir un partenariat. Mais nous étions alors trop petits, l’Ukraine n’était pas prioritaire à l’époque, nous ne voulions pas nous éparpiller ».

Le dirigeant se remémore les rencontres qui ont suivi, les années suivantes sur le même salon Medica, avec ce même distributeur. « Nous avions tous envie de travailler ensemble mais ce n’était pas le bon moment, se souvient-il. Nous avons entretenu toutefois de bonnes relations en attendant de démarrer. Et puis, le conflit avec la Russie a éclaté. Le distributeur est revenu vers nous et nous a demandé d’accélérer les discussions car l’Ukraine comptait beaucoup de blessés, beaucoup d’amputations, beaucoup de reconstructions de membres. Nos solutions de thérapies miroir étaient hyper adaptées à la situation. Et là, évidemment, nous avons décidé d’y aller vraiment ».
Dessintey a alors commencé à présenter ses matériels en Ukraine, à participer à des salons. Le distributeur ukrainien est même venu à Saint-Etienne avec une dizaine de médecins « clients » potentiellement intéressés par une acquisition des solutions de la PME française. « Nous les avons emmenés au CHU de Saint-Etienne, ils ont pu se rendre compte concrètement du fonctionnement et des atouts », relate Nicolas Fournier.
L’intérêt « très fort » des Ukrainiens lors de Rebuild Ukraine
La medtech stéphanoise a aussi fait une mission en Ukraine avec Business France et a participé, en juin 2024, toujours avec Business France, au salon Rebuild Ukrain à Varsovie. « Nous avons pu rencontrer beaucoup de maires, de directeurs d’établissements… Nous avons constaté un intérêt très fort pour nos solutions » souligne le dirigeant. De quoi valider la pertinence de son offre pour les besoins ukrainiens du moment.
Depuis le début du conflit, plus de 400 000 soldats auraient été blessés selon une estimation confidentielle des cercles militaires ukrainiens rapportée par le Wall Street Journal en septembre dernier. Chiffre auquel s’ajoutent les blessures subies par les civils suite aux bombardements, effondrements, explosions de mines terrestres, etc.
« Les blessures de guerre que nous observons sont parmi les plus complexes à traiter, analyse le Professeur Pascal Giraux, cofondateur de Dessintey. Amputations multiples, traumatismes cérébraux et atteintes neurologiques profondes qui nécessitent des protocoles de rééducation adaptés et intensifs. La rééducation ne repose pas uniquement sur la chirurgie mais aussi sur des technologies avancées telles que celles développées par Dessintey ».
C’est peu après l’édition de juin 2024 de Rebuild Ukrain que Dessintey a été informée par Business France et par l’association de la filière santé French Healthcare du lancement du Fonds Ukraine, et incitée à se positionner.
L’appui de Business France pour candidater et de French Healthcare pour la solidarité entre pairs
« Nous avons commencé à travailler sur le montage du dossier le 15 juillet, il fallait le rendre pour le 15 août. Le travail a été très important », raconte Nicolas Fournier. C’est lui, le CEO, qui s’est attelé personnellement à la tâche car le sujet a été jugé hautement stratégique compte tenu des enjeux.
« Nous avons monté le dossier, nous avons sollicité tous les clients ukrainiens potentiels, confie-t-il aujourd’hui. Pour une entreprise de notre taille, cela a représenté un travail énorme de documentation, d’organisation, etc. Tous les quinze jours, nous devions compléter de nouveaux formulaires, fournir de nouveaux documents. Cela se justifie évidemment car il s’agit d’argent public dont l’utilisation doit être contrôlée ».
Dans cette tâche, la PME a été épaulée par Business France et ses équipes locales en Ukraine ainsi que par l’association French Healthcare. « Après les premières pré-sélections, nous avons échangé avec les entreprises qualifiées comme nous, dans le secteur de la santé, pour nous entraider et partager des conseils sur nos dossiers respectifs » précise le dirigeant. Cette collaboration s’est ensuite poursuivie, – une fois les entreprises retenues-, et matérialisée dans d’autres domaines. Notamment, le choix d’un avocat ukrainien commun.
Fin prête pour livrer le marché ukrainien
Qu’est-ce qui a permis à Dessintey de finalement passer haut-la-main les différentes étapes de la procédure de sélection du Fonds Ukraine ?
Pour Nicolas Fournier, le fait d’avoir déjà réalisé, au préalable, différentes démarches en Ukraine engrangés des contacts au fil de ses travaux d’approche a largement facilité le processus. « Nous avions déjà fait les certifications de nos produits pour l’Ukraine, nous avions aussi déjà présenté nos produits aux professionnels ukrainiens, nous avions un distributeur local » estime-t-il. Autrement dit, la PME stéphanoise était fin prête pour livrer le marché ukrainien.
Sans compter évidemment le besoin énorme du pays en dispositifs de rééducation à court et long terme. « Les douleurs ont un impact très important sur la santé mentale des soldats, c’est un enjeu majeur aujourd’hui, souligne le dirigeant. Et puis, à plus long terme, nos solutions permettront aux Ukrainiens de mieux travailler sur les sujets de rééducation post AVC ».
Poursuivre la stratégie export avec des distributeurs
Le projet ukrainien est une fierté. Mais la PME voit grand. L’année dernière, Dessintey a réalisé 30 % de son chiffre d’affaires à l’export. Même si le chiffre d’affaires global va continuer de progresser (15 millions d’euros attendus sous trois ans), cette proportion devrait grandir aussi.
Dessintey dispose depuis 2022 d’une filiale en Allemagne mais appuie plutôt sa stratégie internationale sur le développement d’un réseau de distributeurs. Développement poussif au démarrage mais qui aujourd’hui porte ses fruits. « Cela a pris du temps car nous avions une difficulté, nous étions jusqu’à peu, monoproduit. Pour les distributeurs, ce n’est pas forcément intéressant. Désormais, nous avons plusieurs offres, cela facilite les discussions ».
La medtech s’appuie à présent sur une quinzaine de distributeurs, couvrant une trentaine de pays : toute l’Europe, plusieurs pays d’Asie (Corée, Hong Kong, Inde, Singapour, Malaisie, Thaïlande), ainsi qu’Israël et les Émirats arabes unis.
Prochaines étapes : l’Australie et le Mexique. Avant, un jour « pas trop lointain », espère Nicolas Fournier, de réussir une implantation aux États-Unis. « Le marché américain est très difficile, bien plus que le marché asiatique en réalité. Leur système de santé est particulier et les financements très hétérogènes. Nous préférons y aller de manière pragmatique. Pour l’instant, nous menons une étude clinique en partenariat avec l’Université de Columbia afin d’asseoir notre crédibilité et nous appuyer sur un porte-voix important ».
Pour assurer sa montée en puissance industrielle, en lien avec ce fort développement commercial, Dessintey a doublé récemment sa surface de production. Elle sera en capacité, sans investissement supplémentaire, de répondre au programme ukrainien. Cinq recrutements devraient en revanche être finalisés dans l’année.
📖✨🧠 Les leçons :
- Les efforts d’approche mené par Dessintey en Ukraine, avant le lancement du Fonds Ukraine, ont été un facteur clé de réussite pour être retenu dans le programme
- Dans ces dispositifs d’ampleur que sont les programmes publics comme le Fonds Ukraine, l’entraide entre entreprises dans la même situation permet de franchir plus facilement les obstacles, notamment administratifs et réglementaires, en particulier pour les PME
- La participation à des salons et les liens avec Business France et les contacts au sein d’autres réseaux d’affaires comme la French Healthcare permettent d’être visible et identifié, et donc plus facilement sollicité, pour participer à ce type d’appels à projets.
Stéphanie Gallo