📌L’essentiel : Startup industrielle de la greentech créée pour lancer un polymère naturel issu de la caséine, une molécule du lait, qui permet d’offrir des alternatives « vertes » aux matières plastiques pour toutes sortes d’industries, Lactips accélère depuis 2022 en menant de front le passage à l’échelle industrielle et l’internationalisation de son offre. Son moteur : adapter sa gamme de produits aux besoins réels des marchés.
🔑Les clés du succès :
-Une entreprise bien conçue dès le départ, avec un service R&D structuré et performant.
-Le recrutement de managers chevronnés dans les métiers de l’industrie, du marketing et des ventes.
-Une capacité à adapter ses produits innovants aux besoins des clients en coopération avec eux.
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L’HISTOIRE
Un « plastique sans plastique » issu du lait

L’histoire de cette startup de l’industrie née en 2015 et basée à Saint-Paul-en-Jarez (Loire) commence avec une innovation : la mise au point d’un polymère naturel biosourcé, hydrosoluble et biodégradable issu de la caséine, une molécule du lait, permettant la fabrication de « plastique sans plastique ». L’innovation brevetée est le fruit des travaux d’un enseignant-chercheur de l’Université de Saint-Etienne, Frédéric Prochazka, fondateur de Lactips et aujourd’hui son directeur scientifique.
Mais tout l’enjeu a été de réussir le passage délicat à l’échelle industrielle. Il a fallu des financements – Lactips a bénéficié du soutien d’investisseurs de long terme, dont Bpifrance et BNP Paribas Développement -, mais aussi identifier des débouchés commerciaux à long terme.
Pour cela, il a fallu être prêt à remettre à plat le modèle économique initial, basé sur une offre mono-produit à base de caséine, pour explorer de nouvelles applications. Et aller d’entrée à l’international.
Un binôme avec une jambe industrielle et une jambe commerciale

Lactips disposait d’une usine depuis à peine un an et n’avait pas encore de directeur général qu’elle recrutait, fin mars/début avril 2022, Vincent Dupeyroux, aujourd’hui vice-président en charge des Ventes et du marketing. Le nouveau directeur général, Alexis von Tschammer, est arrivé trois mois après.
L’un comme l’autre, chacun dans leur métier, sont des professionnels chevronnés de l’industrie, affichant chacun au minimum une vingtaine d’années d’expérience dans la chimie, la plasturgie ou les équipements d’emballage pour l’industrie agroalimentaire, des domaines connexes aux activités de Lactips. En outre, Vincent Dupeyroux avait déjà accumulé de l’expérience à l’international dans ses postes précédents, surtout en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique.
« Cette double expérience industrielle et commerciale nous a permis de recaler l’entreprise sur des rails industriels avec une perspective marketing et commerciale plus affinée » estime aujourd’hui Vincent Dupeyroux. La répartition des tâches s’est imposée d’elle-même : à Alexis von Tschammer « l’excellence industrielle », à Vincent Dupeyroux « l’excellence commerciale ». « En définissant bien les périmètres afin de s’assurer qu’on pouvait avancer en parallèle sans gêner l’autre » précise ce dernier.
Diversification des applications
En 2022, beaucoup de chemin avait été fait, notamment après une longue période de R&D, mais la route était encore longue. Lactips proposait en effet un portefeuille de produits exclusivement issus de la caséine, ce qui restreignait les opportunités de marché car les fonctionnalités de cette molécule ne répondent pas à tous les besoins des utilisateurs potentiels. Il fallait donc repartir sur de nouvelles bases pour capter ces nouveaux business.
« Nous avons rebâti une feuille de route et identifié des marchés qui demandaient d’autres fonctionnalités que la caséine ne pouvait pas apporter », relate Vincent Dupeyroux. « Nous avons donc fait entrer d’autres matériaux naturels dans nos fabrications, biosourcés et biodégradables pour respecter notre ADN, qui nous ont permis de palier les faiblesses de nos matériaux existants et d’apporter de nouvelles fonctionnalités ».
Un cocon pour jeunes plants
Un exemple. Avec un partenaire allemand à l’origine rencontré sur un salon, Lactips développe depuis deux ans un cocon biodégradable pour l’arboriculture, permettant aux jeunes plants de grandir plus facilement et d’être protégés durant toute la phase de préculture et de pré-croissance. Ce cocon, une fois mis en terre, doit se biodégrader sans laisser de microplastiques.
Au départ, Lactips avait mis au point un premier prototype 100 % à base de caséine : cela fonctionnait mais il se dégradait trop vite pour tenir durant toute la phase de préculture des jeunes plants. L’équipe de R&D a donc amélioré sa copie en intégrant d’autres matériaux biosourcés. Résultat : un cocon dont la biodégradation est ralentie, et dont on peut même monitorer le processus, autrement dit faire en sorte que la biodégradation arrive au moment choisi par l’exploitant.
« Cela représente tout un travail d’ingénierie et de formulation » précise Vincent Dupeyroux. Mais il était nécessaire. « Nous devions entrer dans une phase de scale up industrielle qui nous permettrait de nous ouvrir de nouveaux marchés et surtout d’assurer la fiabilité de nos produits sur leurs nouvelles applications » complète le dirigeant.
Mettre en cohérence l’offre et la demande

Cette diversification des applications est devenue un point clé de la stratégie de croissance de la jeune pousse industrielle. Pour rester sur l’exemple du cocon pour végétaux, les perspectives commerciales sont prometteuses alors que le reboisement est devenu une priorité en Europe dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Au fond, il s’agissait ni plus ni moins de mettre Lactips en position de répondre à des besoins qu’elle n’avait pas identifiés initialement et d’élargir ainsi ses débouchés. « Concrètement, il s’agissait de mettre en cohérence notre offre et la demande », résume le dirigeant.
Dans cette démarche, l’un des facteurs clés de succès a été d’impliquer tous les acteurs de la chaîne de valeur dès qu’un nouveau marché potentiel était identifié. Dans le cas du cocon, « on a avancé ensemble avec le client » souligne Vincent Dupeyroux.
D’autres chantiers de ce type sont en cours. Par exemple, en novembre dernier, la PME française a annoncé un partenariat stratégique avec Walki, entreprise finlandaise leader de la transformation des emballages, avec laquelle elle travaille depuis 2022. Les deux sociétés vont coopérer pour créer des emballages alimentaires entièrement biodégradables et sans plastique à l’aide de polymères naturels, sans impact sur la recyclabilité des papiers et cartons enduits. Concrètement, Lactips fournira à Walki de nouvelles formulations spécifiques du polymère naturel, tandis que l’entreprise finlandaise veillera à répondre aux exigences du marché en termes de propriétés et d’aptitude à la transformation des produits d’emballage finaux. La mise sur le marché des produits est prévue dès 2025-2026
Une vision internationale des débouchés

Même si la diversification des produits est devenue un axe fort de la stratégie de croissance de Lactips, l’entreprise continue à commercialiser ses granulés à base caséine. « Un de nos premiers clients, décroché en 2019 à l’occasion d’une visite présidentielle au Japon, a été Ajinomoto, un groupe agroindustriel japonais, relate Vincent Dupeyroux. Le marché japonais est très sensible aux produits vertueux ». Aujourd’hui, parmi ses clients, Lactips compte aussi CGP Coating, Guyennes, Michelman (US), Truplast (Allemagne) et bien-sûr Walki (Finlande).
L’international a été le « terrain de jeu » dès les débuts de Lactips car le marché français est trop « étroit ». « On a des projets dans toute l’Europe », souligne le responsable. Mais là non plus, cela ne suffira pas car si l’Europe pousse au recyclage des emballages à travers sa directive PPWR, entrée en vigueur le 11 février dernier, son orientation manque encore de clarté sur le biodégradable. « Il nous faut des leviers de croissance au-delà de l’Europe » souligne Vincent Dupeyroux.
Bien que déjà actif au Japon, Lactips ne fait pas des marchés asiatiques sa priorité à court terme. « Ce sont des marchés qui s’évaluent sur le temps long » indique Vincent Dupeyroux. D’autres géographies sont plus porteuses à court terme, en premier lieu l’Amérique du Nord, où il existe une demande pour les produits biodégradables. « Les États-Unis, le Canada, sont des marchés que nous connaissons bien, ils peuvent aller vite car ils ont de l’appétence pour l’innovation et la prise de risque » analyse le responsable.
Une stratégie d’internationalisation pragmatique
Là encore, l’entreprise mettra en œuvre une stratégie pragmatique, « multicanal » car, souligne Vincent Dupeyroux, « nous faisons attention à nos ressources financières ».
C’est tout l’objet de la dernière levée de fonds de 16 millions d’euros bouclée fin novembre 2024 avec des investisseurs de long terme. Menée par le de fonds Blue Ocean géré par Swen Capital Partners, elle réunit un tour de table associant Ocean Capital (géré par Go Capital) et les investisseurs historiques que sont Bpifrance (fonds SPI) et BNP Paribas développement. Objectif : réunir les « ressources nécessaires pour réaliser ses ambitions et devenir un acteur international de premier plan », précisait à l’époque un communiqué de Lactips.
En pratique, un premier axe de la stratégie est de s’appuyer sur ses partenaires industriels et ses actionnaires existants. « Certains de nos actionnaires nous ont déjà permis de mener quelques actions avec un système de portage », souligne le dirigeant. Et l’un de ses partenaires industriels, Mitsubishi Chemical, a donné son accord pour que Lactips utilise son réseau américain lorsque ce sera nécessaire.
Un deuxième axe sera d’utiliser le réseau français : « Nous sommes en relation avec des institutions françaises pour établir une stratégie de pénétration du marché, avec un vrai travail de prospection » confie le dirigeant. Réaliste, il anticipe déjà que si Lactips parvient à percer aux États-Unis, « il faudra envisager de produire sur place ».
Un service commercial connecté aux « voix » des marchés
L’entreprise est fin prête. Bien que de petite taille, une cinquantaine de salariés au total, elle est bien structurée : le service R&D compte 8 personnes qui, outre les projets de développement, gèrent la partie brevet et les aspects réglementaires (homologation, certification). « Lactips a été bien conçue dès le départ » se réjouit Vincent Dupeyroux.
Quant au service commercial, il compte 10 personnes qui ont déjà l’expérience de l’international, organisées en trois pôles orientés sur l’écoute des « voix » des marchés : le premier, « Voice of Market » comme l’appelle Vincent Dupeyroux, suit les tendances des marchés et s’occupe du marketing ; le second, « Voice of Business », s’occupe du suivi des ventes avec deux chefs de produits ; enfin le troisième, « Voice of Customer », regroupe les chefs de projets, des « Business developer » qui travaillent sur les nouveaux produits, en lien étroit avec les grands comptes.
« Nous sommes relativement bien staffé » estime Vincent Dupeyroux. L’entreprise étant en phase de décollage, difficile de donner des chiffres précis. Mais il estime que d’ici 4 à 5 ans, les marchés nord-américains pèseront « un tiers du portefeuille ».
📖✨🧠Les leçons
- Lactips a remis à plat son modèle économique pour saisir toutes les opportunités des marchés ouvertes par son innovation initiale
- La PME a su impliquer ses partenaires et clients dans les projets de développement de nouveaux produits biosourcés pour se créer de nouvelles opportunités en France et à l’international.
- Le soutien de ses actionnaires de long terme a permis de lever les fonds nécessaires à une incontournable internationalisation.
Christine Gilguy