Pour Laurence Tubiana, qui vient d’achever, à l’issue de la 22ème Conférence des parties sur le climat (COP 22) de Marrakech, sa mission d’ambassadrice de la France en charge des négociations climatiques internationales, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis sera « un test de vérité » pour la solidité de l’Accord de Paris conclu lors de la COP 21 organisée par la France du 30 novembre au 10 décembre 2015, et pour lequel elle avait assuré très efficacement les fonctions de négociatrice en chef.
Lors d’une rencontre avec quelques journalistes en marge d’un colloque consacré aux « leçons de la COP 21/22 pour la gouvernance globale », organisé les 12 et 13 décembre à l’Académie diplomatique internationale, celle qui avait été qualifiée de « championne » du climat à la fois par Laurent Fabius et Ségolène Royale, n’a ni caché l’incertitude dans laquelle elle se trouve, ni sa vive inquiétude face à l’arrivée du milliardaire new-yorkais à la présidence américaine, événement inattendu qui s’ajoute au Brexit et à la montée des populistes en Europe. Ce que Trump fera à propos des engagements américains sur la réduction du réchauffement climatique ? « Personne ne sait », a -t-elle ainsi reconnu, et notamment s’il sortira, comme il l’a promis lors de sa campagne, de l’Accord de Paris ratifié par son prédécesseur.
Pour essayer d’y voir plus clair, Laurence Tubiana a fourni toutefois une grille de lecture des facteurs de faiblesse et des facteurs de force de cet accord international, utile pour suivre quelques sujets clés.
Première faiblesse, la disparition du « leadership américano-chinois »
Côté facteurs de faiblesse, la directrice de la chaire Développement durable à Science po Paris en voit deux principaux : le premier est la disparition du « leadership qui s’est organisé autour de la dynamique américano-chinoise » lors des négociations climatiques qui ont permis l’Accord de Paris. Cela pose le problème de son remplacement par un nouveau leadership que la Chine, seule, ne veut pas assurer.
L’Union européenne est évidemment en première ligne, avec une date clé : le prochain G20 que doit organiser l’Allemagne en juillet 2017. Compte-tenu du fait que la France sera à peine sortie d’une période électorale clé avec un nouveau (ou une nouvelle) président(e) élu(e), Angela Merkel apparaît d’ores et déjà, à ce stade, comme un coleader possible, avec Xi Jinping, pour maintenir une dynamique politico-diplomatique. Y compris pour une éventuelle tentative de convaincre Donald Trump de ne pas sortir de l’Accord de Paris…
Le deuxième facteur de faiblesse est l’absence « d’objectifs quantitatifs » précis fixés par l’Accord de Paris aux pays qui le ratifient. « Ce qui est contraignant, c’est de faire des contributions » rappelle Laurence Tubiana.
« L’Accord de Paris ce n’est pas seulement un texte, c’est un mouvement »
Les facteurs de force sont toutefois tout aussi convaincants, ce qui laisse penser que la négociatrice en chef de l’Accord de Paris penche plutôt pour l’optimisme.
Premier facteur de force, le « caractère très distribué de l’Accord de Paris », à ce jour ratifié par 113 États. « À côté de cet axe américano-chinois, de nombreuses autres coalitions se sont greffées », analyse Laurence Tubina. Ces coalitions, dont certaines régionales – en Amérique latine, en Afrique, notamment – ont même fini, selon elle, par « entraîner les pays du Golfe » dans le processus, avec le ralliement de pays comme l’Arabie saoudite. En conséquence, « l’évaluation que l’on fait, c’est que l’Accord de Paris ne va pas disparaître même si les États-Unis en sortent ».
En revanche, il faudra vite que soit défini « qui se chargera de faire connaître le coût politique d’une sortie de l’Accord à Trump ». Compte tenu du calendrier européen, c’est donc la chancelière allemande qui apparaît, pour Laurence Tubiana, la mieux placée.
Deuxième facteur de force, le fait que dans tous les pays, des débats autour du réchauffement climatique se sont enclenchés, notamment à l’occasion de l’élaboration des plans climat nationaux. « Dans tous les pays, il y a des acteurs qui sont pour, observe l’experte. Cela a créé quelque chose qui va continuer ».
Troisième facteur qui découle du précédent : la mobilisation qui a conduit à l’adoption de l’Accord de Paris a été bien au-delà des gouvernements. « En associant les collectivités locales, les entreprises, la société civile, l’Accord de Paris ce n’est pas seulement un texte, c’est un mouvement » estime Laurence Tubiana. Elle en veut pour preuve le fait que même aux États-Unis, plusieurs États fédérés comme l’Oregon, New York ou encore la Californie, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils continueraient leur plan climat.
On l’aura compris, le prochain G20 allemand sera un moment clé pour que Donald Trump clarifie la position américaine. À moins que le nouveau président, qui doit prendre ses fonctions le 20 janvier, ne le fasse avant. Une chose est certaine : il ne faudra pas perdre de temps pour le convaincre, a minima, de ne pas quitter l’Accord de Paris, quitte à ne pas l’appliquer, une des hypothèse actuellement sur la table des négociateurs. « Les six prochains mois vont être stratégiques et se clôturer par ce G20, anticipe Laurence Tubiana. Ensuite, si on doit avoir une présidence de 4 ans, les dégâts seront limités, mais si elle dure 8 ans, cela risque d’être grave… ».
Christine Gilguy