La stratégie chinoise visant à diviser pour mieux régner ne fait plus recette dans les pays d’Europe centrale et orientale (Peco) membres et non membres de l’Union européenne (UE). Les balbutiements autour de l’organisation du sommet au format « 17+1 » – dix-sept pays européens plus la Chine – semblent au contraire attester d’une certaine perte d’influence de Pékin dans la région.
Lancée en 2012 par le Président Xi Jinping, l’initiative de ce sommet visait à renforcer la coopération économique de la Chine avec les États européens réputés moins hostiles, sans passer par la case Bruxelles.
Alors que les investissements au sein de l’Union européenne (UE) subissaient les effets de la crise financière de 2008-2009, les promesses mirobolantes de la Chine de financer la construction de nouvelles infrastructures (routes, rails et ports essentiellement) – dans la cadre de l’initiative « One Road, One Belt » des nouvelles routes de la soie – avaient immédiatement suscité l’intérêt des pays de la région. Même si la manœuvre risquait de porter un coup à la fragile unité européenne.
Six États membres de l’UE prennent des distances
Après son annulation l’an passé pour cause de pandémie, Pékin a tenu, cette fois, à maintenir coûte que coûte l’organisation de l’édition 2021 de ce sommet, le 9 février dernier, sous une forme virtuelle. Regonflé par la conclusion, fin décembre, du traité d’investissement UE / Chine, sous l’impulsion de l’Allemagne, Xi Jinping entendait bien montrer à la nouvelle administration américaine que l’Europe ne lui était pas acquise.
Mais force est de constater que le format de cette réunion ne suscite plus le même engouement auprès des Peco, en particulier les pays également membres de l’UE. A l’approche du sommet, six d’entre eux, sur les douze inclus dans le format 17+1 (*), annonçaient qu’ils ne se feraient représenter qu’au niveau ministériel.
Les pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, ont été les premiers à faire machine arrière. Une position qui aurait été arrêtée avec Paris, au cours d’une visite de leurs ministres des Affaires étrangères fin janvier. Ont suivi ensuite la Roumanie, la Bulgarie et la Slovénie.
Ces six États, qui ont intégré l’Otan en 2004, ont préféré prendre leur distance avec Pékin dans l’espoir de raviver les relations transatlantiques, mises à mal par les quatre années de la présidence Trump.
Promesse d’achats agricoles et de vaccins
Un revers diplomatique pour Xi Jinping qui n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour s’assurer d’une participation large et au plus haut niveau. A l’approche de la réunion, Pékin a notamment proposé de doubler les importations chinoises de denrées alimentaires, en provenance de la région, au cours des cinq prochaines années.
Lors des précédents sommets, l’agriculture s’était en effet révélée comme un enjeu important pour les Peco. Plusieurs pays, dont la Pologne ou la Hongrie plaidaient pour une plus grande ouverture du marché chinois dans ce secteur. D’où la proposition d’augmenter les importations des produits agricoles, complété par l’engagement des autorités d’améliorer les procédures douanières.
Autre carotte brandie par les autorités chinoises : la promesse de distribuer les vaccins conçus dans le pays alors que la pénurie fait rage sur le vieux continent. Un contexte qui en fait une arme redoutable et dont le rôle géopolitique ne cesse de se confirmer.
La Hongrie et la Serbie ont déjà acheté respectivement 5 et 1,5 millions de doses. D’autres États auraient également exprimé leur intérêt pour ces vaccins « Made in China », bien moins coûteux que ses concurrents mondiaux.
Volonté de se rapprocher des États-Unis, méfiance accrue
Mais l’offensive de charme, qui s’est doublée de pressions diplomatiques biens réelles auprès des pays les plus réticents, n’a pas fonctionné comme Xi Jinping l’aurait souhaité. Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette hostilité, toute relative : outre la volonté de se rapprocher de Washington et de Bruxelles, certains États de la région se montrent de plus en plus méfiants à l’égard de la Chine.
« On constate aujourd’hui une approche plus réaliste de la part de ces pays qui attendent depuis près d’une décennie la concrétisation des promesses chinoises », analyse Frank Juris, chercheur à l’Institut estonien de politique étrangère. La perspective d’investissements massifs dans le cadre des nouvelles routes de la soie reste toutefois « la pièce maîtresse de la stratégie d’influence chinoise », tempère cet expert.
Discrétion chinoise sur les projets d’infrastructures
Xi Jinping a en effet rappelé lors du sommet qu’il ambitionnait de faire de la zone, « la première région du monde à être entièrement couverte » par ce programme pharaonique. Aucun projet spécifique d’infrastructures n’a pourtant été mentionné lors de cette rencontre par visioconférence.
Une prudence qui tient sans doute au durcissement de la position de Bruxelles vis-à-vis de Pékin. La Commission européenne a en effet renforcé sa vigilance et déployé une approche plus stricte dans l’examen des accords d’infrastructures entre l’UE et les pays tiers. Le rachat du port du Pirée, à Athènes, par des investisseurs chinois – point stratégique dans la liaison des deux continents – a laissé des traces côté européen.
« Plus question de brader les joyaux de la couronne », ironise un haut fonctionnaire de la DG Commerce au sein de l’exécutif bruxellois. Selon lui l’érosion de l’influence chinoise à l’est du bloc est « une bonne nouvelle ». Elle illustrerait l’unité retrouvée des Européens sur le dossier chinois.
Reste désormais à mettre tout le monde d’accord sur la place que devra jouer l’UE dans un monde en recomposition marqué par les conséquences de la pandémie et les effets collatéraux de la rivalité sino-américaine.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
* Le format 17+1 réunit la Chine et douze pays membres de l’UE (Bulgarie, Roumanie, Croatie, Slovénie, Grèce, Slovaquie, République tchèque, Hongrie, Pologne, Lettonie, Estonie, Lituanie) ainsi que la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Macédoine du Nord.